Interview de Starr Long - Partie 1

Richard Garriott et Starr Long, deux grands noms du jeu-vidéo, nous ont accordé une interview exclusive pour nous présenter leur nouveau MMORPG, Tabula Rasa.

Si Tabula Rasa vous est étranger, il s'agit un jeu de rôle massivement multi joueurs qui vous place au coeur d'une guerre épique entre une race alien xénophobe, avide de conquête galactique, les Bannis, et une coalition de soldats rebelles qui a traversé la galaxie pour les arrêter. Tabula Rasa tente de combiner l'immersion d'un jeu de rôle avec l'action d'un jeu de tir à la première personne et de permettre à tous les joueurs d'avoir un impact significatif sur le déroulement global de la guerre.

Richard Garriott, célèbre créateur de la série Ultima et du MMORPG Ultima Online, est également le fondateur d'Origin Systems puis de Destination Games. Il est aujourd'hui le producteur exécutif de Tabula Rasa, son second MMORPG.
Starr Long, chef de projet original d'Ultima Online et co-fondateur de Destination Games, est aujourd'hui producteur de Tabula Rasa.

JeuxOnLine : Vous êtes principalement connu avec Richard Garriott pour votre série de jeux-vidéo médiévaux "Ultima". À l'exception de quelques titres maintenant anciens comme Bioforge et les tous premiers Ultima, pratiquement tous vos jeux se sont déroulés dans un univers médiéval-fantastique. Tabula Rasa est un changement radical.
Aviez-vous envie de créer un jeu de science-fiction depuis longtemps? Ou étiez-vous simplement lassé par les jeux médiévaux?
À partir de quand avez-vous commencé à penser à la conception de Tabula Rasa et quelles ont été vos inspirations?

Starr Long : C'est une très bonne question. Je suis le partenaire de Richard depuis environ quinze ans maintenant et j'ai assisté à l'essentiel de cette transition. Pratiquement tout ce que nous avons fait jusqu'à présent était du médiéval-fantastique.

Si vous regardez les trois premiers Ultima, Richard y avait ajouté un peu de science-fiction. Il y a avait des voyages dans le temps, une navette spatiale et un pistolet laser. Une des inspirations originale pour les tous premiers Ultima étaient en fait Time Bandits. Vous en retrouvez donc quelques éléments. Mais ensuite, à partir d'Ultima IV, Richard opta pour du médiéval-fantastique pur et dur.  Son inspiration principale était alors JRR Tolkien. Cela a duré pendant environ vingt ans et mon expérience s'était alors presque exclusivement limitée aux Ultima et, comme vous savez, j'ai été le chef de projet d'Ultima Online. 

Quand nous avons fini Ultima Online, nous avons tous voulu faire quelque chose qui s'orientait davantage vers la science-fiction. Nous pensions avoir exploré le médiéval-fantastique aussi loin que nous le pouvions, au moins, en tout cas, du point de vue d'une expérience de jeu solo. Ultima IX était en quelque sorte la conclusion de l'histoire d'Ultima et nous voulions faire quelques chose de différent. Nous considérions de plus qu'Ultima Online serait là pour toujours.

Alors, plutôt que d'en faire une suite, nous avons pensé que nous devions continuer à l'enrichir tout en travaillant sur un titre de science-fiction. Nous avons parlé de créer un Privateer Online ou un Wing Commander Online ou quelque chose comme ça. Mais à la place nous avons dû commencer Ultima Online 2. Nous nous sommes alors séparés d'Electronic Arts et nous avons rejoint NCsoft

Nous ne voulions pas faire du médiéval-fantastique. Nous voulions avoir quelques éléments fantastiques dans le jeu mais nous voulions clairement nous orienter vers la science-fiction.

Notre inspiration pour le jeu est très large. D'un point de vue gameplay, nous nous sommes inspirés de grands films de guerre et de jeux-vidéo traitant de périodes de guerre afin de nous faire une idée de la vie au coeur d'une guerre. Cela nous a amené à créer un monde de jeu où les PNJ se combattent en permanence plutôt que de rester en place à attendre de se faire tuer. 

Pourquoi nous avons choisi la science-fiction plutôt que le médiéval-fantastique ? Il y avait une part de lassitude vis à vis du genre médiéval-fantastique mais c'est aussi parce que nous souhaitions un nouveau défi. Nous pensions avoir fait tout ce que nous voulions avec le médiéval-fantastique et nous pensions pouvoir être plus créatifs et plus libres - et en même temps relever un challenge - en faisant de la science-fiction, un domaine dans lequel nous n'avions pas autant d'expérience, bien que nous soyons tous d'énormes fans de science-fiction. D'un point de vue "divertissement", la science-fiction a toujours fait partie de nos vies, mais d'un point de vue "création de jeu", c'est quelque chose de nouveau pour nous.


JOL : Tabula Rasa est un jeu d'action rapide dont le principe est d'affronter les "Bannis". Votre précédent jeu massivement multi-joueurs, Ultima Online, est connu pour être bien plus qu'un jeu dit de "monster-bashing". Les joueurs peuvent y créer leur maison, la décorer, construire des villes, confectionner des vêtements, ouvrir leurs propres magasins, faire du théâtre, jouer aux échecs, pêcher et bien d'autres choses.
À part combattre les "Bannis" et accomplir des quêtes, que proposera Tabula Rasa aux joueurs?

S.L. : Cette question est également excellente. Si vous regardez l'histoire des jeux massivement multi-joueurs ces dix dernières années, vous observerez que ce style s'est orienté dans deux grandes directions.

Il y a ce que nous appelons la simulation de monde virtuel, aussi surnommé le "bac à sable". Ultima Online est l'expression quasi-ultime de ce genre en ayant placé quelques murs et en ayant créé une simulation de monde, et en laissant les joueurs faire tout ce qu'ils veulent. Parmi les jeux du même genre, on peut citer Star Wars Galaxies par exemple.

Et il y a l'autre direction, qui a été initiée par EverQuest, dans laquelle la progression est basée essentiellement sur le gain de niveaux, l'acquisition d'objets et plus généralement sur l'accomplissement d'épreuves. Lineage et Lineage 2 sont eux aussi basés sur ce principe. De la même façon, beaucoup de simulations de monde virtuel sont en fait une expérience guidée et planifiée d'avance où vous obtenez des points d'expérience puis montez en niveaux et où les nombres sont très présents. World of Warcraft et Guild Wars sont de bons exemples de ce genre de jeux. Le centre d'intérêt de ces jeux est de combattre, de monter en niveaux et d'accumuler des objets.

Ces deux grandes catégories ont eu leurs succès et Tabula Rasa suit clairement davantage la direction que Guild Wars, Lineage et les autres jeux de ce type ont empruntée. Le jeu repose sur le combat, entre vous et l'environnement et entre les joueurs. Mais si le but principal est de combattre, nous avons aussi d'autres activités auxquelles les joueurs peuvent prendre part qui ne se limitent pas au combat.

Tabula Rasa n'est pas autant un monde virtuel qu'Ultima Online pour la simple et bonne raison que cela n'était pas notre but. Il y a par contre plusieurs aspects du jeu qui sont très similaires a Ultima. Un aspect important des simulations de monde virtuel est l'interaction des objets du monde entre eux et avec les joueurs. C'est quelque chose que nous mettons vraiment en avant dans Tabula Rasa.

Dans la plupart des jeux comme WoW et EverQuest, si vous regardez attentivement le monde, vous remarquerez qu'il est très statique, qu'il ne s'y produit aucun réel changement. Quand vous voyagez dans une zone, rien n'y change vraiment, les PNJ se tiennent presque toujours aux mêmes endroits et ne font rien de particulier. Dans notre jeu, nous voulions un environnement beaucoup plus dynamique. Les PNJ interagissent ainsi entre-eux et avec les joueurs. Ils ne restent pas plantés là en attendant que quelque chose se produise avec un joueur. Ils peuvent par exemple combattre entre eux et cela s'applique à toutes les créatures de toutes les planètes.

Certaines créatures sont des proies et d'autres des prédateurs. Vous pouvez ainsi vaquer a vos occupations dans une base et voir des prédateurs chasser leurs proies sans aucune interactions de votre part. Encore plus intéressant et intrigant, les armées de créatures bonnes et de créatures mauvaises se combattent constamment et ne le font pas toujours au même endroit. Des transports peuvent atterrir et décharger des troupes pour qu'ensuite ces troupes de soldats partent en patrouille. Durant cette patrouille, ils peuvent croiser des troupes de PNJ ennemis et déclencher un combat. Croyez-le ou non, ils combattront pour des points stratégiques d'un territoire, appelés "points de contrôle". Ces "points de contrôle" ont un impact important sur certaines variables d'environnement comme par exemple : quels téléporteurs sont accessibles aux joueurs, quelles missions sont disponibles, quels vendeurs le sont aussi...

L'environnement est donc beaucoup plus dynamique et en tant que tel se rapproche beaucoup d'une simulation. Vous pouvez obtenir une mission d'un PNJ qui est dans une base militaire et quand vous y retournez après avoir complété cette mission, vous vous rendez compte que la base a été envahie par l'ennemi. Pour faire revenir ce PNJ, vous devrez donc vous organiser avec d'autres joueurs pour reprendre le contrôle de la base.

Nous essayons aussi de raconter les histoires d'une façon beaucoup plus détaillée que la plupart des jeux en ligne. En fait, c'est la façon dont nous utilisons des instances. Dans la plupart des jeux, le but est surtout de se balader et tuer des choses et même les instances sont finalement des lieux privés pour tuer des choses. Les développeurs s'assurent ainsi qu'il y a suffisamment de butin pour tout le monde et que vous n'êtes pas en compétition avec d'autres joueurs pour les mêmes objets. Dans notre jeu par contre, les instances sont utilisées pour raconter par séquence des histoires très détaillées que vous trouveriez habituellement dans des jeux de rôles solo.

Vous pouvez ainsi réaliser toute une série d'activités vraiment intéressantes comme trouver des codes d'accès que les PNJ connaissent, les entrer dans un terminal pour désactiver des systèmes de sécurité, activer des téléporteurs afin de faire venir des renforts, libérer des prisonniers et les escorter vers l'extérieur ou apprendre comment la famille d'un personnage s'est faite kidnappée afin de la secourir ensuite.

Nous avons aussi des paraboles éthiques un peu comme dans Ultima IV - Richard a été une sorte de pionnier dans ce domaine avec les Vertus. Contrairement à la plupart des jeux où lorsque vous obtenez une mission tout est noir ou blanc, nous tentons d'user de paraboles éthiques. Habituellement vous n'avez qu'une chose à faire, ce que la mission vous demande d'accomplir. Dans notre jeu, certaines missions sont un peu plus subtiles que cela.

D'un point de vue axé strictement sur les fonctionnalités du jeu, nous avons un système d'artisanat très robuste où les joueurs sont en mesure de créer des armures, des armes ou d'améliorer les armures et armes existantes et de commercer avec les autres joueurs. Les joueurs pourront donc prendre part à un système économique et d'artisanat solide. Ils ne pourront pas ouvrir leur propre magasin comme dans Ultima mais ils pourront créer des objets et les partager avec les autres joueurs.


JOL : Est-ce que les joueurs pourront avoir des maisons, les aménager et les décorer ? Il me semble que dans la première  incarnation de Tabula Rasa - avant la refonte du jeu il y a quelques années -  il était prévu que les joueurs puissent avoir des maisons ? Mais je n'ai rien entendu de tel récemment. Que prévoyez-vous à ce sujet ?

S.L. : Nous ne prévoyons pas à ce jour de lancer le jeu avec un système de maison de joueur. La première incarnation de Tabula Rasa proposait des maisons de joueurs instanciées. Les maisons ne faisaient pas partie de l'environnement, du monde du jeu.

Nous avons pensé que les bénéfices qu'en tireraient les joueurs ne seraient pas équivalents aux efforts que cela nous aurait demandé. Nous avons ainsi décidé de nous concentrer sur d'autres aspects du jeu. Il n'y aura donc pas de maisons de joueurs à la sortie du jeu.

JOL : Dans Tabula Rasa, les joueurs doivent s'unir contre une race d'extra-terrestres meurtriers et xénophobes, les Bannis, pour sauver la Terre. Le principe du jeu en fait un jeu de collaboration - où tout le monde affronte l'ordinateur - plus qu'un jeu de compétition où les joueurs se combattraient les uns les autres.
J'ai lu que pour gérer le PvP dans Tabula Rasa vous prévoyiez d'implanter un système de guerres de clans humains plutôt que de permettre, par exemple, aux joueurs d'incarner des Bannis.
Ne pensez-vous pas que l'idée d'une sorte de guerre civile, alors que les humains sont supposés être unis contre les Bannis, est en quelque sorte en contradiction avec l'histoire du jeu ? Il est par exemple plutôt difficile d'imaginer un serveur entièrement PvP où tous les humains s'entretueraient, laissant les Bannis détruire la Terre pendant ce temps.

S.L. : Très bonne question. Je suis toujours un peu amusé par cette question car elle implique un optimisme incroyable en la nature humaine. Cette déclaration insinue que les humains sont à la base de bonnes personnes et que si faisions face à une menace, nous nous unirions tous et la combattrions à l'unisson, quelle qu'elle soit. Mais je peux vous citer de multiples exemples dans l'histoire où c'est plutôt l'opposé qui s'est produit.

Les humains peuvent être merveilleux et coopérer entre-eux et l'essentiel de l'histoire du jeu appuie cela. Ainsi nous nous unissons et pas seulement entre humains mais également avec d'autres espèces d'autres planètes pour combattre les méchants.

Par contre, il existera toujours des factions dissidentes, comme il y a des partis politiques dans certains pays qui continuent à se combattre même si le pays est en guerre contre un autre pays. C'est à peu près la même chose dans le jeu. Même si nous nous sommes unis pour combattre les méchants, certaines factions ne s'entendront peut-être pas très bien ensemble.

Dans cette société future où nous maîtrisons des technologies de clonage et de résurrection et où vous ne mourez jamais vraiment, la structure militaire pense que - et ça fait partie de l'histoire du jeu - les guerres de clans sont en fait des sortes de valves pour relâcher la pression. Elles permettent aux forces combattantes de se débarrasser d'une manière quasi inoffensive des tensions qu'elles peuvent avoir accumulées entre elles.  Au final c'est un peu l'exercice d'entraînement ultime. Alors, bien que la structure militaire ne soutienne pas cela officiellement dans la fiction, elle regarde poliment dans une autre direction.

C'est un peu comme un combat de boxe. Il y a de bons exemples de fiction à propos de cela. Si vous regardez par exemple la série télévisée Battlestar Galactica -  ils font du bon boulot -  c'est une histoire similaire où l'humanité est au bord de l'extinction mais où les humains continuent à se combattre les uns avec les autres. Ils continuent à s'entretuer, ils continuent à boxer, ils continuent à se battre...

Je peux comprendre qu'en surface cela puisse paraître contradictoire, mais nous pensons que ça s'inscrit vraiment bien dans la fiction et que ça colle bien avec les évolutions scientifiques. Et une fois de plus, cela nous ramène à la complexité de la nature humaine.


JOL : Est-ce que chaque serveur de jeu de Tabula Rasa avancera à son propre rythme dans l'histoire ? Est-ce que l'évolution de la guerre contre les Bannis sera réellement différente pour chaque serveur ?
Pouvons-nous imaginer que certains serveurs se débrouillent beaucoup mieux que d'autres, avec des régions entièrement libérées des Bannis et prospères alors que les mêmes régions sur d'autres serveurs seraient totalement dévastées ?
Est-ce que certains monstres ou quêtes ne seront disponibles que sur certains serveurs qui auront suffisamment avancés dans la fiction ?

S.L. : C'est une très bonne question. Nous utiliserons les zones d'instances comme lieu où les joueurs verront et ressentiront le plus la progression dans l'histoire. Les zones communes sont des endroits en constante variation plutôt qu'en progression régulière.

Une partie de ce que vous théorisez est en fait vrai, dans le sens où il est possible que sur un serveur les joueurs soient beaucoup mieux organisés et qu'ils soient donc en mesure de prendre et garder des points de contrôle plus longtemps et donc de rendre certains PNJ donneurs de missions accessibles aux autres joueurs et donc d'affecter la façon dont les créatures vont répliquer. Alors que sur un autre serveur où les joueurs seraient moins organisés, les Bannis pourraient envahir les points de contrôle plus souvent.

Mais dans tous les cas, le jeu est programmé pour faire varier constamment son état et donc, même s'il est possible que les joueurs soient en mesure de prendre et de conserver des points de contrôle pendant un certain temps, il sera presque impossible pour eux de les tenir indéfiniment ; vague après vague après vague, les méchants vont continuer d'essayer de reprendre le point de contrôle, jusqu'à ce qu'ils réussissent.

Il y aura des différences d'un serveur à l'autre selon le niveau d'organisation des joueurs mais pas tant que ça. Nous n'arriverons jamais à un point où ils auraient exterminé tous les Bannis de la surface du monde, car ces derniers continueront à envoyer des renforts. Même s'il y aura des variations à chaque fois et même si  l'organisation des joueurs pourra avoir une influence, nous n'arriverons jamais à une situation où un serveur serait « tombé » alors qu'un autre ne le serait pas.
 

JOL : Et à propos du dévérouillage de contenus ? Est-ce que les joueurs pourront activer des contenus sur certains serveurs sans qu'ils le soient sur d'autres ?

S.L. : Oui... Ce n'est pas non plus exactement... Il y a... En fait c'est vraiment une excellente question, mais je ne devrais vraiment pas en parler maintenant...

Interview réalisée par Mind, transcrite par LorDragon et Mind et traduite par LorDragon, Sk00ma et Mind.
Merci également à Ashikan, Exarkun, Hanny Drocéphale, Incan, Niark, NuitBlanche et Uther pour leurs idées de questions !

Interview de Starr Long - Partie 2
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Genres Action, jeu de rôle (rpg), MMO, MMORPG, stratégie, tir, fantasy, futuriste / science-fiction, post-apocalyptique

Bêta fermée 2 mai 2007
Bêta ouverte 2007
Sortie 2 novembre 2007
Arrêt 28 février 2009

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Note moyenne : (265 évaluations | 39 critiques)
8,0 / 10 - Très bien
Evaluation détaillée de Tabula Rasa
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