Selon Raphael Koster, un design « social en réseau » est déterminant dans les MMORPG

Raphael Koster poursuit son étude du game design idéal de MMORPG et s'intéresse aux « réseaux sociaux » qui articulent les relations entre les joueurs – en prenant soin d'éviter les « trous noirs sociaux » et l'émergence de monopoles.

L'importance d'un design « social » selon Raphael Koster

En attendant de dévoiler concrètement son prochain MMORPG (actuellement en développement au sein du studio Playable Worlds), Raphael Koster expose les grands principes de game design qui, selon lui, devraient gouverner la conception d’un MMORPG aujourd’hui – et Raphael Koster est loin d’être un novice en la matière puisque le premier MMO qu’il a conçu n’était autre qu’Ultima Online au siècle dernier.

Les risques des « trous noirs sociaux »

Dans un nouveau long billet publié sur le blog de son studio, Raphael Koster s’intéresse à la dimension « sociale » des univers virtuels et à son organisation en « réseaux » – un terme aujourd’hui très dévoyé notamment à cause des « réseaux sociaux » et de leurs jeux pas du tout sociaux.
Pour autant, les réseaux sociaux (au sens premier du terme, c’est-à-dire nos réseaux d’interactions avec les autres) contribuent à structurer nos vies – et sont aussi la base de la structure d’Internet.

Le Web permet une analogie parlante. Les réseaux ne génèrent pas des liens égaux entre eux. Certains points du réseau agrègent davantage d’interactions que d’autres – comme Google ou Amazon sur le Web, qui deviennent des centres névralgiques du web, quasi-incontournables. Raphael Koster les qualifie de « trous noirs sociaux » : ils attirent tellement de liens à eux, qu’ils en occultent les points plus modestes (la petite boutique de quartier pourra avoir son site web, travailler efficacement et jouer son rôle auprès de ces clients, elle sera totalement occultée par Amazon qui absorbera toute sa lumière). Le phénomène existe sur le web, tout comme il existe en économie avec l’émergence des monopoles (qui absorbent progressivement tous leurs concurrents plus modestes)... Mais aussi dans les MMORPG.

Appliqués aux MMORPG

Ce phénomène de « trou noir social » existe aussi dans les MMORPG : ce sont ces guildes très puissantes, très organisées, parfois professionnelles, qui vont décrocher tous les world first ou dominer les zones PvP. Elles vont progressivement attirer les meilleurs joueurs, éclipser les plus petites guildes et monopoliser toute l’activité phare d’un serveur – au risque de décourager les autres guildes, qui renoncent à rivaliser, jusqu’à ce qu’elles quittent le jeu.

À un niveau moindre, le phénomène est le même avec le end-game : les joueurs les plus investis qui auront progressé les plus vite joueront entre eux ; et les joueurs arrivés en retard devront progresser seuls, d’autant plus laborieusement. Idem avec l’artisanat (le petit artisan restera dans l’ombre des maîtres artisans dont la production sera recherchée), avec les zones (les zones de départ vite dépeuplées et peu attractives pour les nouveaux joueurs), avec les donjons (difficiles voire impossibles explorer quand on a raté le bon train de niveau), etc.
En d’autres termes, dès lors que des centres névralgiques commencent à se former, ils gagnent en puissance de plus en plus vite et il devient de plus en plus difficile de ne pas être éclipsé.

Et les conséquences se font vite sentir : même pour les joueurs qui redoubleraient d’effort pour intégrer un groupe actif, dès lors que les réseaux sont trop développés, trop centralisés, trop monopolistiques, ils conduisent à l’émergence de sociétés (au sens social) déséquilibrées dont les intérêts ne sont dictés que par les impératifs du monopole et non plus celui des membres – pour intégrer une guilde majeure, il faudra adopter le build dont la guilde a besoin pour ses objectifs spécifiques (un raid par exemple) et peu importe le style de jeu qu’on souhaite jouer ou les objectifs qu’on souhaite se fixer (on aurait peut-être préféré du PvP, de la cueillette ou du roleplay).

Comment casser les monopoles ?

Dans ce contexte, comment empêcher l’émergence naturelle de monopoles dans les mondes virtuels ? D’après Raphael Koster, en faisant en sorte de ne pas exclure de joueurs et de limiter les mécaniques globales dans un univers.

Plus concrètement et toujours selon le game designer, le principal élément d’exclusion des MMORPG aujourd’hui sont les niveaux (bien souvent, un novice ne pourra pas jouer avec un joueur de niveau maximum). Selon Raphael Koster, les niveaux n’ont aucun sens dans un MMORPG et sont simplement le reliquat des parties de Dungeons & Dragons sur table – des jeux de rôle conçus à la base pour un petit groupe de joueurs qui progressaient ensemble et au même rythme le temps d’une campagne. Il existe de nombreuses méthodes pour gommer les différences de niveaux (éviter la progression verticale, le level scalling, etc.).

Raphael Koster ne veut pas non plus séparer les joueurs physiquement : il faut que les proches puissent se réunir facilement. Mais inversement, il faut éviter que les objets puissent traverser l’univers de jeu d’un clic – pour éviter les « marchés globaux » qui encouragent les monopoles mondiaux. Il faut donc éviter les hôtels des ventes mondiaux et favoriser les marchés locaux (les objets devront être déplacés manuellement). Il convient aussi de multiplier les façons de progresser : si tous les joueurs suivent la même voie, les plus rapides distancent les plus lents ; s’il existe de nombreux chemins différents, chaque joueur peut trouver sa place, à son rythme.
Raphael Koster souhaite aussi éviter « l’attachement préférentiel », ce phénomène économique qui conduit un consommateur à fréquenter toujours les mêmes boutiques, par habitude. Il ne faut pas que le joueur se sentent obligés de rester dans la même zone « par habitude » et que chaque zone de l’univers de jeu aient ses propres points d’attraction. Chaque centre névralgique doit avoir de la valeur.

L'importance de l'empathie

Au-delà des astuces de game design, Raphael Koster entend aussi développer l’empathie chez les joueurs – leur capacité à partager et ressentir des émotions les uns pour les autres (parce qu’on est moins enclin à « éclipser » un groupe avec lequel on partage des émotions). Selon le game designer, ça passe notamment par des moyens de communication efficaces entre les joueurs – il s’étonne qu’il ait fallu des décennies avant qu’on intègre des emotes et la possibilité de faire danser son personnage dans un MMORPG, alors que les enfants intègrent les bases de la communication corporelle dès l’âge de trois ans environ.

Plus globalement, Raphael Koster fait le constat que les réseaux les plus forts sont les réseaux les plus hétérogènes, les moins uniformes et centralisés. Une grande diversité d’individus et de styles de jeu permet l’émergence de « sociétés » plus robustes et de communauté plus durables. C’est évidemment ce que recherche tout studio de développement de MMORPG (pour des raisons économiques), mais selon Raphael Koster, c’est aussi le grand intérêt des joueurs puisque chacun peut y trouver sa place et y jouer le rôle de son choix – y être important.

Et l’espoir de Raphael Koster repose sur le fait qu’en jouant dans un monde de ce type, les joueurs en viennent à réaliser l’importance des interconnexions des « réseaux sociaux » qui les unissent les uns avec les autres.

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