Une économie gérée par les joueurs : le cœur des « interactions de confiance » entre les joueurs de MMORPG

Les mécaniques de la plupart des MMORPG aujourd'hui ignorent, voire pénalisent les joueurs qui font vivre les univers de MMORPG. Raphael Koster entend y remédier grâce à une économie qui nourrit les interactions de confiance entre les joueurs. 

Une économie gérée par les joueurs

Voici quelques jours, Raphael Koster (vétéran de l’industrie du MMORPG aux Etats-Unis) esquissait le manifeste de son MMORPG actuellement en développement au sein du studio Playable Worlds. Il poursuit aujourd'hui sa réflexion dans un nouveau billet publié sur le blog officiel du studio et s’intéresse cette fois à la gestion économique par les joueurs d’un univers de MMORPG, qu’il considère comme la pierre angulaire du game-design en ce sens que cette dimension économique est la base des « interactions de confiance » entre les joueurs.

Constat : des activités déterminantes mais peu valorisées

Raphael Koster part d’un constat : les MMORPG actuels reposent tous peu ou prou sur seulement quelques modèles distincts :

  • Les MMORPG « old-school » reposant sur la formation d’équipes de joueurs qui jouent souvent ensemble et se connaissent, développent donc une solide relation de confiance mais souvent dans le cadre de longues sessions de jeu parfois difficiles à organiser et dans des jeux dont le gameplay repose quasi-exclusivement sur l’élimination (de monstres, de bosses, d'autres joueurs, etc.) ;
  • Des MMORPG dans lesquels les joueurs « jouent seuls les uns parallèlement aux autres », pour suivre une même trame narrative ou faire les mêmes quêtes, mais sans réelles interactions entre eux ;
  • Ou enfin les « gankbox » qui consistent peu ou prou à éliminer tout ce qui bouge, où la méfiance entre les joueurs est souvent très présente et ce n’est pas vraiment le type de jeux qui intéresse Raphael Koster.

Raphael Koster s’étonne qu’aucun de ces formats de MMO ne s’adresse réellement à la population de joueurs nécessaires au succès d’un jeu : ces joueurs qui rédigent des guides ou cartographie un univers pour en dénicher les moindres secrets, qui accompagnent les nouveaux venus, qui font vivre un univers ou animent les guildes... Pis, ces MMORPG les « punissent par omission » puisque le temps que ces joueurs consacrent à faire vivre un univers, ils ne le passent pas à accumuler de l’xp ou collecter « X machins » pour un donneur de quêtes. Et finalement, ces joueurs les plus investis sont ceux qui resteront à la traine des autres.

Les vertus d'une économie gérée par les joueurs

Comment dès lors mieux impliquer ces joueurs dans le gameplay et valoriser leur investissement ? Selon Raphael Koster, grâce à une « économie gérée par les joueurs ». Mais selon le game designer, il ne s’agit pas simplement de commerce, il s’agit surtout d’interactions.

Et d’illustrer le propos avec l’exemple de son plombier ou de la serveuse du bar d’à côté : Raphael Koster ne connait pas bien son plombier (il ne connait pas ses secrets, ni ne l’invite à son anniversaire) mais quand il a un souci de plomberie, il sait qui appeler. Idem avec la serveuse : il ne la connait pas bien, mais elle lui sourit en lui servant son café. Ce ne sont pas des amis, mais des connaissances avec qui il a noué des « relations de confiance » avec le temps. La base de ces relations a d’abord été commerciale, puis s’est renforcée : le plombier acceptera de se déplacer un dimanche et la serveuse lui demande maintenant comment se porte sa famille ou lui offre un biscuit avec son café, parce que Raphael Koster est un bon client. Et progressivement, des liens plus forts se noueront.

Le sujet a été étudié par la psychologie qui définit les différents niveaux de « confiance » et « d’intimité » qui se nouent entre les individus, jusqu’à ce que ces relations conduisent à former des sociétés, voire des civilisations. C’est ainsi que la confiance se gagne, et que parfois des amitiés naissent. Et Raphael Koster entend décliner ce principe dans son MMORPG.

Multiplier les interactions entre joueurs, de toutes sortes

Rahael Koster entend multiplier les interactions (commerciales) entre les joueurs et faire en sorte qu’elles aient une valeur dans le gameplay : une chose à vendre, un service à rendre, une mission à confier, comme obtenir des matériaux, fabriquer des objets, les transporter ou les vendre, les réparer, mais aussi divertir d’autres joueurs, pratiquer le roleplay, dessiner des cartes, décorer l’intérieur de bâtiments, gérer une guilde ou aider un nouveau joueur, voire réaliser un stream sur Twitch...

Autant d’élément qui devraient être valorisés dans le jeu, qui devraient s’inscrire dans le processus de progression du personnage et dans le gameplay, afin que le joueur puisse « vendre son expertise et sa passion ». Faire en sorte que l’amateur de raid ait besoin de l’artisan, que l’artisan ait besoin du roleplayer pour se divertir, que le roleplayer ait même besoin du ganker pour alimenter ses histoires... « Parce que c’est comme ça que se construit un monde ».

Et de conclure : « souvent, ce mécanisme est qualifié "d’économie gérée par les joueurs" (a player-driven economy). Parfois, les gens pensent qu’il s’agit d’une question de modèle économique. Quand on connait un peu mieux les jeux en ligne, on estime que c’est quand un joueur fabrique les objets utilisés par d’autres joueurs – et c’est vrai, ils le peuvent et l’artisanat devrait être davantage mis en avant. Mais même ces aspects sont une façon très réductrice de penser cette approche.
Une économie gérée par les joueurs n’est pas une question d’argent. Il est question d’une façon de jouer qui permette de valoriser un rôle dans un écosystème. Tout est question des façons merveilleuses ou bizarres de vivre et de jouer, et de trouver comment nos hobbies les plus incongrus peuvent être déterminants pour quelqu’un d’autres.
En définitive, il s’agit de faire en sorte que chacun soit important. Parce que nous le sommes, importants. Les plombiers, les serveuses, les roleplayers, les amateurs de raids... Et dans la phrase "économie gérée par les joueurs", le mot clef n’est pas économie, mais joueur. Et le joueur, c’est vous. »

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Réactions (25)

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  • gank... s'il approuve le procédé, plus besoin de se poser la question si c'est à suivre ou pas... encore un à éliminer.
    2/4/2021 à 17:51:37
  • Ils commencent à y en avoir un paquet de prophètes qui semblent avoir retrouver la Foi dans le désert du mmorpg. J'ai envie de dire que c'est pas trop tôt la remise en question après tout ces mmo triple A, mais bon, ça ne reste que des mots donc tant que c'est pas suivis de fait, je ne lui accorde pas plus de crédit qu'aux autres. Enfin, c'est quand même le signe d'une renouveau du marché maintenant que tous les mastodons qui ne pensent que pognon sont enfin passé à autre chose, donc ça reste une excellente nouvelle.
    2/4/2021 à 18:34:44
  • Message supprimé par son auteur.
    2/4/2021 à 18:53:28
  • Peter Molyneux a ouvert une écoles ? Plus sérieusement, c’est bien de parler et de rêver mais à force on est toujours déçu au point de retourner sur les mêmes jeux… Il faut concrétiser les rêves au bout d’un moment
    2/4/2021 à 20:21:32
  • Intéressante son analyse. J'ai hâte de voir quelles mécaniques il va pondre pour essayer de valoriser ces interactions, et si elles se rapprochent des pistes que j'envisage.
    3/4/2021 à 09:30:34
  • C'est bien ce qu'on répète depuis des années, les mmorpg actuels n'ont aucune intéraction entre les joueurs.

    Quand je répète depuis des années qu'on joue tout seul sur WoW retail, ceux de mauvaise foi ici me répondent "non non si tu veux du social c'est à toi d'aller le chercher".

    C'est complètement idiot de devoir aller "le chercher", c'est le game design qui doit prévoir des situations d'intéraction entre les joueurs, pas eux-mêmes uniquement.
    3/4/2021 à 17:06:25


  • Qu'on donne un cookie et 200 millions de dollars à cet homme !

    Une analyse rafraîchissante après les âneries à base de nostalgie oldschool et de themeparks toujours plus grands et plus vides de sens qu'on nous promet, faute de savoir prendre le plus petit recul sur les échecs précédents. Enfin, les dévs commencent à réaliser que c'est précisément le travail invisible des "faiseurs de communauté" qui fait tenir les MMO dans le temps, et que ces joueurs sont pénalisés sur des titres qui font la part belle au farm no-brain et à la progression verticale. À mon sens, c'est l'une des raisons qui a poussé les guildes à devenir de moins en moins organisées et socialement sélectives (notamment par manque de temps alloué à cette question), avant de détruire lentement mais sûrement le concept même de social tel qu'on l'expérimentait il y a vingt ans. Quand aider un inconnu est pénalisant, on le laisse en plan. Quand c'est récompensé, il y a plus de chance qu'il trouve de l'aide. Tabler sur les bonnes volontés individuelles pour résoudre une équation qui concerne une population entière, c'est de la candeur ma placée.

    Reste à savoir si de ces quelques mots peuvent émerger un concept qui tiendra la route. Identifier le problème est un premier pas, mais les professions de foi ne résolvent pas tout non plus. Quant à intégrer le gank dans une dynamique sociale positive, je demande à voir...

    Citation de Hidei :
    Quand je répète depuis des années qu'on joue tout seul sur WoW retail, ceux de mauvaise foi ici me répondent "non non si tu veux du social c'est à toi d'aller le chercher".

    C'est complètement idiot de devoir aller "le chercher", c'est le game design qui doit prévoir des situations d'intéraction entre les joueurs, pas eux-mêmes uniquement.
    +1

    À l'évidence, si une action n'est pas mise en avant par le game design, récompensée ou valorisée à travers le jeu, ce n'est pas seulement inutile au sens strict, cela devient une perte sèche pour le joueur. On le voit bien depuis 15 ans : les joueurs pensent de plus en plus leur temps de jeu en le rationnalisant comme de vrais professionnels (
    3/4/2021 à 18:28:28
  • Citation de Vhailör :
    Ils commencent à y en avoir un paquet de prophètes qui semblent avoir retrouver la Foi dans le désert du mmorpg. J'ai envie de dire que c'est pas trop tôt la remise en question après tout ces mmo triple A, mais bon, ça ne reste que des mots donc tant que c'est pas suivis de fait, je ne lui accorde pas plus de crédit qu'aux autres. Enfin, c'est quand même le signe d'une renouveau du marché maintenant que tous les mastodons qui ne pensent que pognon sont enfin passé à autre chose, donc ça reste une excellente nouvelle.
    non lol.
    le temps passe, la seconde vague de joueur de mmorpg commence a adopter le même discours que les anciens (même si sur le fond les espoirs sont diamétralement opposé) du coup les mecs changent de baratin...
    quand j'vois des pro. qui en viennent a commencer a réfléchir au meilleur moyen de régler un problème qui n'existait absolument pas sur les plus anciens soft du genre ...
    tu sais qu'il a rien a espéré
    Citation de derioss :
    Mouai des grands discours on en a eu tout les quoi 2/3 ans.
    AMEN !
    4/4/2021 à 18:41:03
  • Citation de Grimm :
    quand j'vois des pro. qui en viennent a commencer a réfléchir au meilleur moyen de régler un problème qui n'existait absolument pas sur les plus anciens soft du genre ...
    tu sais qu'il a rien a espéré
    Cette analyse est incorrecte, parce qu'incomplète. Elle ne tient pas compte de la différence de contexte entre les deux époques. La question qu'on doit se poser, c'est "Pourquoi les MMO précédant WoW n'avaient pas ce genre de problèmes ?". Nombre de personnes vont répondre :
    - jeux de niche donc de passionnés, joueurs comme développeurs, aujourd'hui c'est que pour le pognon.
    - il faut revenir aux mécaniques oldschool, yake sa de vré pour ke les gens y souaillent contents (mais combien de concernés exactement... mystère ).

    Pour ma part, je pense que ce n'est pas aussi simple. Certes, la disparition de certaines mécaniques (difficulté nécessitant le regroupement, interdépendance des classes, donjons et boss complexes) mais surtout l'apparition d'autres mécaniques (équilibrage PvP pour tout le monde, partyfinder) ont largement contribué à générer des murs entre les joueurs qui n'existaient pas à l'époque. Certes, la population de joueurs qui a explosé au début des années 2000 a sorti le genre du jeu de niche pour en faire un genre plus grand public, entraînant de profondes modifications des pratiques (jeux plus accessibles, courbe de progression aplatie, contenus de remplissage, standardisation des game design). Mais même si les dévs ont constamment pensé leur démarche à court terme, se contentant de résoudre des problèmes qu'ils généraient eux-mêmes au fil des années en modifiant la nature même du MMO pour le rendre bien trop proche d'un jeu solo, ils ne sont pas responsables de tout.

    Le premier élément perturbateur, celui à l'origine de la dynamique désastreuse d'aujourd'hui, c'est précisément la démocratisation d'internet. Or, c'était incontrôlable et surtout irréversible, donc espérer revenir aux mécaniques oldschool, où la découverte et le partage d'informations au sein d'une communauté étaient le nerf de la guerre, c'est du fantasme. Aujourd'hui, tu as des guides pour tout et n'importe quoi en dix secondes, la possibilité de connaître toutes les mécaniques du jeu, toutes les strats et tous les builds avant même d'avoir posé un pied dans la zone bébé. Dès lors qu'il est possible et rentable de jouer seul, 99% des joueurs le feront, parce qu'ils n'ont plus besoin des autres pour progresser. À partir de là, même avec un gameplay "oldschool", on retrouvera les problèmes des MMO modernes.

    Je ne vois pas non plus les joueurs retourner massivement sur des jeux basés sur le grind, qu'on parle des plus jeunes ou des anciens qui ont connu cette époque. Le fantasme de "c'était mieux avant" ne doit pas nous faire oublier ce que c'était à l'époque et pourquoi c'était tolérable (nouveauté du genre et peu de concurrence, principalement). La réalité, c'est que lorsqu'on retourne sur un vieux jeu, on est content trente secondes avant de se souvenir qu'on détestait certaines mécaniques et qu'on n'a plus le temps ou l'envie de farmer 10h par jour pour un vingtième de level à peine. Sans compter qu'une fois la course au pex et à l'équipement terminée, on en vient à se demander pourquoi on a fait tout ça. On se retrouve à tourner en rond, parce que ces jeux n'ont pas de vraie finalité, ils sont vides de sens même lorsqu'ils sont remplis de contenus. Leur but n'est pas de nous contenter, c'est ce n'est de nous maintenir sur le serveur dans l'espoir de plus : plus de pex, plus de stuff, plus de stats, donc plus d'heures à farmer sans aller voir ailleurs. Les jeux mobiles sont encore plus caricaturaux à ce niveau, démontrant qu'on a cessé de créer pour le plaisir du joueur, seulement pour générer une addiction pour un jeu à l'exclusion de tout autre.

    Il faut revoir le modèle en tenant compte d'une population devenue très exigeante et capable d'avancer bien plus vite qu'avant car soutenue par des guides, des soluces, des vidéos et tout le catalogue du ternet. Et pour ça, je ne vois aucune autre solution qu'un contenu unique généré pour chaque joueur en fonction de ses choix, sans que ce soit répétitif ou pénible (comme les horribles quêtes PvE de EvE). De cette façon, le joueur devra résoudre ses problèmes sans pouvoir recourir à une solution déjà prémâchée. Retour de l'esprit d'aventure. Rajoutons la nécessité du gameplay de groupe via une difficulté (légèrement) réhaussée et une bonne interdépendance et on sortira du cul-de-sac antisocial, sans pour autant céder aux sirènes du oldschool. À mon sens, c'est faisable. Il faut juste renoncer au modèle de progression verticale, au gameplay solitaire hors des donjons et aux bonnes vieilles recettes éculées du grind comme du PNJ-quête-XP. Un jeu se doit d'être fun. Un MMO se doit d'être fun ET social. Si les titres les plus récents se gaufrent, c'est parce que les dévs restent sur les mêmes rails depuis le succès de WoW. Il faudrait saluer ceux qui tentent d'en sortir, plutôt que de systématiquement les rejeter avec cynisme.
    4/4/2021 à 19:50:20
  • On enfonce des portes ouvertes, je pense que beaucoup ont compris depuis très longtemps où se trouvent les vrais fondamentaux des MMORPG, mais à chaque fois, tout cela est rattrapé par des considérations extérieures à la vision initiale du projet.
    Il suffit que le service marketing et communication mette son nez là-dedans pour que tout devienne saccagé.
    5/4/2021 à 13:11:53