Les raisons des départs successifs chez Blizzard : burnouts, coupes budgétaires, image dégradée

Au cours des derniers mois, plusieurs cadres de Blizzard ont quitté le studio. Pourquoi ? Pour des raisons multiples, parmi lesquelles le besoin de changement (trop peu de licences), des processus trop lourds, des coupes budgétaires trop drastiques ou une pression trop forte. 

Campus Blizzard

Si l’industrie du jeu connait traditionnellement un turn-over important, on constate depuis maintenant quelques années que plusieurs des cadres emblématiques de chez Blizzard Entertainment ont quitté leur studio – à commencer par son président Mike Morhaime, mais aussi Chris Metzen, Frank Pearce, Alex Afrasiabi, Ben Brode et Dustin Browder, Omar Gonzalez ou encore récemment Jeff Kaplan, parmi de nombreux autres.

Comment expliquer ces départs successifs ? Dans une longue enquête, IGN s’est attaché à recueillir le sentiment d’analystes et observateurs du secteur, mais aussi de cadres ou anciens cadres du studio. Assez classiquement, les raisons de ses départs sont multiples, mais dessinent aussi une évolution interne chez Blizzard et fait penser que le développeur connait actuellement une période charnière.

Une société face à des artisans

En substance et parmi les raisons évoquées, on retient par exemple des cas de burnouts : des salariés fatigués de travailler pendant des années sur les mêmes licences qui ne se renouvellent pas ou peu et éprouvent le besoin de changer d’air – plus encore pour ces salariés qui ont fait toute leur carrière ou presque chez Blizzard, parfois depuis 10 ou 20 ans, à l’heure où la mobilité professionnelle est de plus en plus la norme.

Pour d’autres, Blizzard est un studio devenu trop gros, avec des processus décisionnels trop lourds – des échanges impliquant des dizaines de personnes et plusieurs départements avant la moindre prise de décision.
Dans le même esprit, les équipes se heurtent manifestement aussi à des coupes budgétaires : longtemps, Blizzard a pratiqué la politique du « quoi qu’il en coute » (le studio était capable de saborder des projets de plusieurs dizaines de millions de dollars et de financer des refontes), et a laissé place à des coupes budgétaires et des politiques d’économies. En conséquence, les rémunérations sont en bernes : des primes n’ont pas été versées ou ont été reportées à plus tard, notamment parce qu’elles sont indexées sur les résultats et que les sorties majeures de Blizzard (les plus rémunératrices) sont souvent espacées de plusieurs années. Parallèlement, des projets ont aussi été abandonnés : des titres historiques dont l’exploitation a été arrêtée et des projets non encore annoncés dont le développement a été suspendu (des jeux mobiles ou un FPS StarCraft).

Plusieurs de ceux travaillant sur ces projets ont préféré quitter Blizzard pour fonder leur propre studio, afin d’y retrouver l’atmosphère des développeurs inde et s’atteler à des projets leur tenant à cœur. D’autant que selon les concernés, aujourd’hui, les investisseurs sont plus enclins à financer le « savoir-faire » (des équipes expérimentées) plutôt que des technologies. Dans le lot, on trouve les fondateurs Frost Giant (dont 80% des salariés viennent de chez Blizzard), de Second Dinner, puis ceux de Lightforge Games, Secret Door ou Moonshot (sous l’égide Dreamhaven) entre autres.
Ces salariés ont manifestement pris les propos de Chris Metzen à la lettre, quand il indiquait que certes Blizzard est une société productrice de jeux, mais que ses salariés se considéraient aussi comme « des artisans et des artistes, des créateurs, des auteurs ou des poètes ». 

Activision face à Blizzard

Campus Blizzard

D’autres encore évoquent aussi un climat délétère qui s'installe au sein du groupe. Longtemps, travailler chez Blizzard était considéré comme concrétiser un rêve. C’est moins le cas aujourd’hui : depuis le lancement d’Overwatch, les équipes de Blizzard ont dû faire face à l’annonce de Diablo Immortal lors de la BlizzCon 2018 (le studio cherchait à faire la démonstration qu’une montée en gamme du jeu mobile était possible, quand les joueurs ont appréhendé le jeu comme un projet sous-traité au Chinois NetEase) ; puis dans la foulée, le studio a dû faire face à l’échec de Warcraft III: Reforged, à la baisse de régime des activités esportives du studio et le déclin de l’Overwatch League. Face à l'absence de sorties d'envergure et pour accélérer les cadences de production, des équipes ont dû être remaniées pour accélérer le développement de l'extension Shadowlands de World of Warcraft. Mais là encore, des salariés ont dû renoncer ou repousser certains de leurs projets. 
Parallèlement, Diablo 2: Resurrected a pris du retard (à cause Warcraft III : Reforged), Overwatch 2 et Diablo IV ne sont pas attendus avant 2022 ou 2023 au mieux.

En outre, une forme de concurrence avec Activision semble aussi s’installer : à la tête du groupe Activision Blizzard, la culture d’entreprise est valorisée, mais quand elle rapporte. Or aujourd’hui, la créativité de Blizzard Entertainment rapporte moins que les productions d’Activision (Call of Duty) ou de King (Candy Crush), notamment du fait des délais de production très lents des jeux de Blizzard. 

Une période charnière

Dans un contexte où travailler chez Blizzard fait moins figure de « job de rêve », où la rémunération est en berne et où la pression du résultat augmente, certains salariés seraient donc davantage enclins à aller voir ailleurs.

Pour autant, Blizzard a aussi de la ressource – et conserve une position largement enviée par bon nombre de développeurs. Le studio mise gros sur ses titres à venir : Blizzard estime que Diablo Immortal pourrait surprendre positivement les joueurs et contribuer à changer l'image des jeux mobiles, en plus d'enregistrer des résultats qui pourraient être meilleurs que ceux du Call of Duty Mobile d’Activision. Et à plus long termes, Diablo IV et Overwatch 2 pourraient être les nouvelles locomotives du train Blizzard permettant de renouer avec les joueurs et d’enregistrer de gros résultats financiers – à la fois pour vanter le modèle Blizzard auprès d'Activision et regonfler les rémunérations des salariés (les primes sont notamment suspendues aux résultats des deux jeux).

Reste à déterminer si le studio saura renouer avec son image d’antan sans les cadres qui l’ont façonnée à l’époque, et s’imposer dans un contexte où la concurrence se fait de plus en plus féroce.

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