Epic vs. Apple : Apple n’est pas un monopole, mais devra ouvrir (un peu) l'écosystème iOS

Après un an de procédure dans le litige opposant Epic Games à Apple, la juge Yvonne Gonzalez Rogers vient de rendre une injonction permanente contre Apple (qui ne pourra plus interdire les boutiques tierces), tout en estimant qu'Apple ne viole pas les lois anti-trust américaines.

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En août de l’année dernière, Epic Games engageait des poursuites contre Apple afin de contester les pratiques commerciales appliquées sur les appareils iOS. On se souvient du principal enjeu de l’affaire : les applications distribuées sur les appareils d’Apple ne peuvent être monétisées que via les solutions de paiements d’Apple, qui s’arroge au passage une commission de 30%. Epic Games réclamait la possibilité de laisser le choix aux utilisateurs de Fortnite : utiliser les solutions de paiements d’Apple ou une solution tiers (comme celle d’Epic qui proposaient des tarifs 20% moins élevés car non soumis à la commission d’Apple).

Les développeurs pourront s’affranchir des solutions de paiements d’Apple

Après une petite année de procédure et d’échanges d’arguments, la juge Yvonne Gonzalez Rogers vient de rendre une injonction permanente contre Apple : la marque a 90 jours pour modifier ses pratiques commerciales et faire en sorte de ne plus imposer uniquement l’utilisation de ses propres solutions de paiement aux applications distribuées du iOS.

Selon l’injonction de la juge californienne, « à titre permanent, [Apple ne pourra pas] interdire aux développeurs d’inclure dans leurs applications et leurs métadonnées, des boutons, des liens externes ou toute autre mode d’actions qui dirigeraient les clients vers des solutions d’achats tierces, en plus des achats In-App, et de communiquer avec leurs clients via des données de contacts qu’ils ont volontairement indiquées via l’enregistrement de leur compte dans l’application. »

En d’autres termes, un développeur d’applications pourra indiquer l’existence et renvoyer vers sa propre boutique (pratiquant éventuellement des tarifs moindres), parallèlement aux ventes réalisées sur l’AppStore soumises à la commission d’Apple. Et ce même développeur pourra informer les utilisateurs de l’existence de ce choix en utilisant les données de contacts que les utilisateurs auront renseignées via l’AppStore lors de l’installation de l’application – Apple avait déjà fait cette concession aux développeurs ayant initié une action de groupe qui vient de régler via une transaction amiable.

Mais Apple n’est pas un monopole

Faut-il dès lors y voir une victoire écrasante d’Epic Games sur les pratiques commerciales d’Apple ? Peut-être pas totalement. Car la juge Yvonne Gonzalez Rogers souligne aussi (et surtout ?) qu’Apple ne profite pas d’une position monopolistique dominante – Epic entendait démontrer qu’Apple est un « monopole illégal » au sens des lois anti-trust américaines.

Or, selon la juge californienne, si « Apple jouit d’une part de marché considérable, supérieure à 55 %, et des marges de profits extraordinairement élevées », ce succès commercial ne suffit pas à démontrer « une infraction au droit de la concurrence ». Et d’asséner : « Le succès n’est pas illégal ». Pour justifier sa décision et déterminer la position de monopole ou non d’Apple, la juge a estimé que la part de marché du groupe devait s’évaluer au regard du « marché des transactions des jeux mobiles », « pas en fonction du marché global du jeu » (comme le prétendait Apple pour y minimiser sa place), « ni uniquement l’écosystème d’Apple reposant sur l’AppStore » (comme le défendait Epic pour démontrer une position de monopole). Sur cette base, le tribunal californien estime qu’Apple n’est pas un monopole au regard des lois anti-trust fédérales et d’Etat.
Et on imagine que les représentants d’Apple sont soulagés puisqu’une violation des lois anti-trust aurait pu conduire à un démantèlement du groupe.

Et Epic Games doit respecter ses obligations contractuelles

Par ailleurs, la juge Yvonne Gonzalez Rogers estime aussi qu’Epic n’a pas respecté ses obligations contractuelles en cherchant à contourner la solution de paiement d’Apple, de son propre chef et sans décision de justice préalable.
Dans les faits, on se souvient que le choix d’Epic faisait figure de provocation volontaire : le développeur a sciemment contourné la solution de paiement d’Apple, a refusé les solutions amiables avec Apple pour que Fornite soit exclu de l’AppStore et que des poursuites puissent être engagées.

En conséquence, Epic devra reverser à Apple l’équivalent de la commission non perçue via l'AppStore pendant les quelques mois de litige (30% d’un peu plus de 12 millions de dollars). Et sur les réseaux sociaux, le patron d'Epic Tim Sweeney apparait manifestement mécontent de ce jugement, considérant que la décision « n’est pas une victoire pour les développeurs et les consommateurs » et que « Epic se bat pour une concurrence loyale entre les méthodes de paiements in-app et les boutiques mobiles, pour des milliards de consommateurs ». Et Tim Sweeney envisagerait d’interjeter appel de la décision.

Mais ce n'est que le début ?

Si la décision de la juge Yvonne Gonzalez Rogers tente manifestement de ménager la chèvre et le chou, on retiendra néanmoins de la séquence que les GAFAM sont actuellement dans le collimateur des autorités de nombreux pays.

La Corée du Sud vient d’adopter une loi qui interdit aux plateformes mobiles d’imposer leur propre boutique aux développeurs ; le Japon réfléchit à des dispositions similaires ; les géants des nouvelles technologies sont actuellement mis au pas en Chine ; suite à cette décision californienne, l’administration démocrate américaine envisage aussi de légiférer ; et l’Europe entend aussi réguler les pratiques commerciales et fiscales des GAFAM. Manifestement, tôt ou tard, les géants du web de plus en plus omniprésents dans nos vies devront faire des concessions commerciales au profit des libertés publiques.

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