Facebook acquiert Oculus VR : conséquences et réactions

Facebook mise sur la réalité virtuelle et s'offre Oculus VR pour deux milliards de dollars. L'annonce ne laisse pas indifférent, entre scepticisme et déception. Mais pourquoi une telle opération et pour quelles conséquences ?

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La réalité virtuelle est incontestablement un rêve de geek depuis les premières heures de la science-fiction. Le jeune Palmer Luckey est l'un d'eux et pose, en 2012 (il a alors 19 ans), les bases de l'Oculus Rift, dévoilant une paire de lunette 3D toute dédiée au jeu vidéo. Son prototype, d'abord bidouillé en amateur, s'avère suffisamment convainquant pour rallier quelques grands noms de l'industrie du jeu à sa cause (à commencer par John Carmack qui démissionnera d'idSoftware pour rejoindre le tout jeune studio Oculus VR). Mais aussi et surtout les joueurs, qui financeront la production des premiers prototypes de l'appareil au travers d'une campagne de financements participatifs.
Si les lunettes 3D existaient évidemment bien avant les expériences de Palmer Luckey, son Oculus Rift a néanmoins eu le mérite à la fois de démontrer l'appétence des joueurs pour la réalité virtuelle (son prototype suscite un réel engouement) et de commencer à démocratiser la technologie (elle s'émancipe de la science-fiction et apparait enfin accessible au plus grand nombre).
Dans ce contexte un brin euphorique, la nuit dernière, Facebook annonçait l'acquisition du studio Oculus VR pour la somme rondelette d'environ deux milliards de dollars (un montant de 400 millions de dollars en numéraire auxquels s'ajoutent 23,1 millions d'actions Facebook et des bonus dépendant des évolutions technologiques de l'appareil). Et quelques heures après l'annonce, force est de constater que la nouvelle est diversement appréciée, à la fois par les joueurs et les développeurs.

Entre scepticisme et déceptions

De toutes évidences, cette acquisition d'envergure ne laisse pas indifférent, suscitant au mieux un certain scepticisme, au pire une vraie déception. Et de prime abord, on explique aisément ce sentiment.
D'abord et très superficiellement pour des raisons d'image. Dans l'esprit de nombreux joueurs, Oculus VR était un studio passionné, qui concrétisait un rêve et ouvrait ses plateformes aux développeurs indépendants. Le jeune studio qui prit son essor grâce au soutien des joueurs dans le cadre d'une campagne Kickstarter se vend aujourd'hui, pour la bagatelle de deux milliards de dollars, à un géant de l'industrie du jeu web à l'image plutôt délétère. Choc de culture et atterrissage brutal dans le monde réel.

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Ensuite et un peu craintivement parce que cette association peut effrayer. La principale promesse de l'Oculus Rift consiste à immerger l'utilisateur dans des mondes virtuels dans lesquels s'abandonner. À tort ou à raison, Facebook traine l'image d'un groupe intrusif, prompt à commercialiser les données personnelles des internautes. Une image peu compatible avec un périphérique qui manipule la notion d'identité de soi.

Enfin et surtout plus prosaïquement, l'opération suscite aussi des interrogations concrètes parce que l'Oculus Rift était pensé comme un périphérique pleinement dédié au jeu, mais que Facebook n'est pas un groupe vidéo ludique. On connait l'histoire : le réseau social a rapidement su attirer les internautes et générer un trafic imposant, mais a longtemps peiné à monétiser son audience. C'est finalement en greffant des applications ludiques à sa plateforme (les fameux « jeux sociaux ») que Facebook a commencé à générer des revenus grâce aux microtransactions. Dans la culture Facebook, le jeu s'est donc imposé comme une option de monétisation, pas forcément comme une ambition ludique.
Et les gamers séduits initialement par l'Oculus Rift (mais un peu moins par les jeux sociaux) se montrent forcément dubitatifs quant à cette opération financière. C'est le discours tenu notamment par Markus "Notch" Persson, qui annonce annuler son projet de portage de Minecraft sur l'Oculus Rift (se disant enthousiaste par la réalité virtuelle, mais refusant de travailler avec Facebook dont les motivations sont jugées « trop nébuleuses » et dont la plateforme est historiquement « trop peu fiable »).

Les motivations d'une acquisition

Si cette acquisition a surpris nombre d'observateurs et déçus quelques joueurs, elle se veut logique pour les deux protagonistes de l'opération.
Facebook affiche clairement ses ambitions : la réalité virtuelle incarne l'avenir de l'industrie des nouvelles technologies et pourrait s'imposer comme l'une des prochaines « plateformes technologiques ». Le géant des réseaux sociaux est (partiellement) passé à côté de la révolution mobile, il n'entend pas prendre de retard sur celle de la réalité virtuelle. Cette acquisition se veut la garantie d'un partenariat de long terme avec l'Oculus VR, et tout comme Facebook a su s'imposer comme le coeur du web communautaire (en tant que plateforme), le réseau social entend s'assurer une place de choix sur la plateforme du futur, la réalité virtuelle.

Project Morpheus
Wearable computing

Et pour Oculus VR ? Pourquoi s'être vendu à Facebook, au risque de prendre le contre-pied des attentes de sa cible principale (les joueurs) ? Sans doute parce que le studio n'avait pas vraiment le choix.
La réalité virtuelle s'impose comme l'un des principaux avenirs de l'industrie vidéo ludique. Oculus VR en est sans doute l'un des principaux artisans mais comme tous les pionniers, le studio doit aussi concilier avec des concurrents (colossaux) qui prennent conscience du potentiel du secteur et revendiquent donc leur part du gâteau -- et s'en donnent les moyens.
On le sait, Oculus VR a démarché les principaux constructeurs de consoles en quête de partenariats. En vain. Tous ont préféré concevoir leur propre périphérique : Sony proposera son Project Morpheus sur PlayStation 4 ; lors de la GDC, Microsoft indiquait travailler aussi sur une offre de périphérique de réalité virtuelle sur Xbox One. Tout comme Valve, qu'on sait très investi dans le wearable computing, mise sur la réalité virtuelle à la fois pour sa petite console à venir et sa plateforme Steam.
Oculus VR pouvait certes s'appuyer sur le soutien des joueurs, mais ce n'est manifestement pas suffisant pour rivaliser avec les exploitants de « plateformes vidéo ludiques » pesant chacun quelques milliards de dollars d'investissements en recherches et développements ou en communication. Rester seul face à la concurrence naissante ou trouver un partenaire plus exotique, Oculus VR a manifestement fait son choix et s'est associé à un autre type de plateformes : un réseau social, Facebook. Le duo invente au passage la Social Reality.

Pour quel avenir ? On se gardera évidemment de toutes prophéties hasardeuses. Mais on se souvient que les cadres d'Oculus VR n'entendaient pas limiter la réalité virtuelle aux seuls jeux, et souhaitaient ouvrir la technologie à nombre d'autres secteurs (la médecine, le cinéma). Une approche sans doute compatible (voire en parfaite adéquation) avec les ambitions sociales de Facebook.
Mais a contrario, si ce partenariat a sans doute de quoi assurer les moyens de ses ambitions au studio Oculus VR, on imagine qu'il ouvre aussi un boulevard à ses concurrents les plus « ludiques ». De toutes évidences, Sony (voire Valve) saisira l'occasion de se positionner comme le constructeur du « vrai casque 3D pour gamers » (tout comme Sony a imposé sa PS4 comme la vraie console pour gamers face à Microsoft), en s'appropriant une place jusqu'alors revendiquée par Oculus VR. Mais quel que ce soit le positionnement des acteurs du secteur à l'avenir, l'acquisition d'Oculus VR par Facebook a au moins une signification claire : la réalité virtuelle grand public n'est plus un rêve de science-fiction.

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