Pour mieux protéger les salariés de l'industrie du jeu, Jeff Strain encourage la syndicalisation

Après avoir travaillé chez Blizzard (comme salarié), puis avoir fondé ArenaNet et Undead Labs (comme patron), Jeff Strain milite pour une syndicalisation massive de l'industrie américaine du jeu, afin de mieux protéger les salariés du secteur. 

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On l’a noté, les tribunaux californiens vont être amenés à se pencher sur la culture d’entreprise de Blizzard, qui fait face à des accusations de sexisme. Au-delà de sa dimension juridique, l’affaire suscite de nombreuses réactions au sein du groupe Activision Blizzard, mais aussi dans toute l’industrie du jeu aux Etats-Unis, qui s’interroge sur les conditions de travail du secteur – dénonçant tantôt des comportements toxiques de certains dirigeants, tantôt des conditions de travail trop peu protectrices des salariés.

Dans ce contexte, Jeff Strain publie une lettre ouverte sur IGN, intitulée It's Time et dans laquelle il appelle les salariés de l’industrie du jeu à se syndiquer.
Et la parole de Jeff Strain pourrait trouver un certain écho dans le secteur puisqu’il a longtemps été salarié chez Blizzard (il a rejoint Blizzard à une époque où le studio comptait quelques douzaines de salariés et participé au développement des premiers StarCraft et Diablo, puis sur les bases de World of Warcraft) avant de passer de l’autre côté de la barrière en devenant patron d’ArenaNet puis d’Undead Labs, deux studios qu’il a contribué à fonder.

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Et selon Jeff Strain, la question du sexisme se posait déjà lors de ses jeunes années chez Blizzard.

(...) En 1998, après une réunion cataclysmique avec l’un des fondateurs [de Blizzard] à propos de nos objections à propos de corps de femmes empalées et démembrées dans la bêta de Diablo, mon épouse et moi avons commencé à planifier notre départ de chez Blizzard. Finalement, avec quelques autres collègues ayant des idées similaires, nous avons déménagé à quelques milliers de kilomètres loin de la sphère d’influence de Blizzard pour créer un studio indépendant.
Le temps que j'ai passé chez Blizzard a laissé une marque indélébile sur ma vie et ma carrière, encore présente aujourd'hui. J'ai surtout appris comment une culture de l’abus peut se propager et s'amplifier au fil du temps, comment l'expression "réservé aux joueurs hardcore" est un écran de fumée pour parler de "bro culture", comment le fait de favoriser un sentiment "d'exceptionnalité" de l’entreprise inhibe l’expression des salariés qui doivent simplement "faire avec" s’ils aiment l’entreprise et ses jeux, et comment une direction passive qui ferme les yeux peut finalement être le plus grand des abus. (...) »

En quittant Blizzard, Jeff Strain indique s’être attaché à créer des studios au sein desquels l’ambiance de travail serait sereine (« personne n’est parfait, mais j’ai essayé d’apprendre et d’améliorer les choses à chaque fois »), notamment en portant une attention particulière aux recrutements et à ses choix de partenariats.
Et s’il contribue à son niveau (des studios de quelques centaines de salariés, mais qui restent des studios indépendants), Jeff Strain estime néanmoins qu’un changement de standard significatif dans l’industrie du jeu passera forcément par une évolution au sein des grands groupes du secteur. Et pour atteindre l’objectif, toujours selon Jeff Strain, l’industrie du jeu devrait massivement se syndiquer.

(...) Nous avons besoin de syndicats.
Les syndicats ont été créés dans ce pays pour protéger les travailleurs des traitements abusifs, cruels, odieux, inacceptables et illégaux des entreprises. C’est leur principal objet. Si cette semaine nous a montré quelque chose, c’est que nos collègues même au plus bas de l’échelle ont besoin d’un soutien et d’une protection de base.
Je suis un entrepreneur, et un vétéran de trois studios indépendants qui ont connu le succès. Je suis très au fait des questions financières, légales, contractuelles et administratives en matière de développement de jeu. Je sais aussi que je n’ai rien à craindre des syndicats, ni aucune société qui traite équitablement et justement ses salariés, qui propose des assurances maladies de qualité, qui respecte les minorités et qui encourage plus globalement une vie saine. Ca parait simple, mais nous avons vraiment besoin d’aide en la matière. Les géants de cette industrie nous ont montré cette semaine que nous ne pouvons pas simplement leur faire confiance pour pour modérer et gérer la richesse et le pouvoir que les joueurs et les fans leur ont donnés.
J'invite mes employés à se syndiquer, et j'apporte mon soutien total à la création de syndicats à l'échelle du secteur. J'encourage également les dirigeants des sociétés de l'industrie du jeu, grandes ou petites, corporatives ou indépendantes, à se joindre à moi pour soutenir et défendre la syndicalisation en tant que mesure concrète et réalisable qui permettrait d’améliorer notre industrie. En tant que patron de studio, je me retrousserai les manches et travaillerai avec les créateurs de syndicats dans un esprit de collaboration. J'attends avec impatience le jour où la joie et l'amour de ce que nous créons pour nos joueurs se refléteront aussi dans nos lieux de travail pour tous les employés. »

On le sait, les syndicats aux Etats-Unis sont peu présents dans de nombreux secteurs d’activité, mais ils sont aussi souvent très puissants dans les corporations où ils existent – et donc souvent très redoutés par les chefs d’entreprises (on se souvient par exemple dans la campagne très active d’Amazon pour empêcher la création d’un syndicat dans l’entreprise). La position de Jeff Strain détonne donc dans le milieu professionnel américain, mais s’il est entendu, les méthodes de travail dans l’industrie du jeu pourraient évoluer significativement – que ce soit en termes de protection des salariés et d’environnements de travail, mais peut-être aussi en termes de temps de travail et de lutte contre le crunch, par exemple.

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