L'édito des MMO : quand Twitch suspend ses streamers (et Donald Trump) pour leurs comportements déplacés

Twitch se montrera dorénavant intransigeant avec les streamers qui dérapent. Les pro-gamers mais aussi Donald Trump dont la chaîne a été suspendue pour incitation à la haine, alors que les communautés de se font de plus en plus entendre.

L'édito des MMO : quand Twitch suspend ses streamers (et Donald Trump) pour leurs comportements déplacés

Si le jeu vidéo est évidement un loisir qui peut se pratiquer uniquement pour sa seule dimension ludique, il est tout aussi évident que, de plus en plus, l’industrie du jeu empiète sur la sphère publique pour mieux s’inscrire dans la société : on ne joue plus uniquement pour le jeu, on joue aussi pour faire partie d’une communauté (une petite société) et le jeu s’adapte à cette attente – en se déclinant en ligne ou en devenant des « services » (et non plus uniquement des produits) pour mieux évoluer, se pérenniser, voire répondre aux attentes des joueurs et s’inscrire dans l’actualité.
Mais l’exemple le plus frappant de cette « extériorisation » du jeu vers la société depuis quelques années est sans doute le streaming : le jeu n’est plus uniquement un support ludique, c’est un support de « diffusion » à destination d’un public, les jeux sont adaptés en conséquence pour devenir un spectacle et les streamers occupent une place croissante pour animer ces spectacles – au point que le jeu devient accessoire et que le public se connecte davantage pour l’animateur qui peut passer d’un jeu à l’autre, tout en préservant son audience. Et ces streamers sont qualifiés « d’influenceurs », terme ambigu qui recouvre à la fois cette notoriété qu’ils ont su construire auprès d’un public et l’usage qu’ils en font parfois à des fins commerciales – c’est cette capacité d’influence du public qu’ils monnayent auprès des annonceurs.

Dérapages de streamers

Il peut néanmoins arriver que certains de ces streamers dérapent et utilisent leur notoriété à des fins peu avouables – comme on l’a déjà constaté dans nombre d’autres milieux à forte notoriété.
Ces dernières semaines ont ainsi été marquées par une (nouvelle) série d’accusations portées à l’encontre de figures de l’industrie du jeu ou du streaming. Ces personnalités auraient profité de leur statut pour adopter des « comportements abusifs » à l’encontre de joueuses ou de streameuses – évoquant des cas de harcèlements sur les réseaux sociaux ou dans des MMO, impliquant parfois des joueuses mineures, mais aussi des cas d'agressions sexuelles, voire de viols. La guilde professionnelle Method, qui s’est illustrée dans le cadre de plusieurs world first face à des bosses de World of Warcraft, s’est par exemple séparée de certains de ses joueurs suite aux révélations de leur comportement.

Method

On ne reviendra pas ici sur les allégations diffusées sur les réseaux sociaux – on compte plus d’une quarantaine de cas répertoriés, dont certains ont donné lieu à des dépôts de plainte et ont donc vocation à être examiné par la justice.
Ce nouvel épisode est néanmoins significatif de l’évolution des comportements que ce soit au sein des communautés de joueurs ou des principaux acteurs du secteur, indépendamment des considérations judiciaires – avec tous les risques qu'impliquent les « sanctions populaires ». Dans le cas de Method, le comportement d’au moins un joueur de la structure a fait l’objet de rumeurs récurrentes, suivies d’accusations régulières. Longtemps, elles semblent avoir été ignorées au sein de la structure par des dirigeants pourtant manifestement informés. Jusqu’à un dernier cas récent visant une joueuse mineure (sans doute davantage mis en lumière au regard du contexte actuel), entraînant cette fois une condamnation morale de la part des communautés de joueurs et de certains autres pro-gamers de Method, manifestement mal à l’aise avec l’attitude de leur coéquipier. Dans la foulée, bon nombre de sponsors et soutiens financiers de la guilde ont mis un terme à leur partenariat. On ignore si Method pourra rebondir (certains des joueurs restant pourraient être accueillis dans d'autres structures), mais cette fois-ci, les condamnations morales ont produit des effets concrets.

Des plateformes qui prennent leur responsabilité

Et dans ce contexte, suite à la multiplication de ces cas « d’abus sexuels et de harcèlements impliquant des streamers de Twitch », la plateforme de streaming annonce également son intention de se montrer plus vigilante sur ces sujets et de bannir définitivement les streamers qui seraient convaincus de comportements inappropriés, qu’il s’agisse de harcèlement ou de propos haineux (qui pourront être signalés anonymement).
Et, hasard du calendrier ou non, la plateforme vient de se faire remarquer en suspendant temporairement la chaîne Twitch de Donald Trump (pour une durée non précisé) où le président américain en campagne pour sa réélection diffuse ses discours aux joueurs. Pour justifier la suspension, la plateforme indique interdire les « incitations à la haine » et cible plus spécifiquement deux discours du président américain dans lesquels il qualifie les Mexicains aspirant à émigrer aux Etats-Unis « de dealers, de criminels et de violeurs » et s’attache à décrire l’agression d’une jeune femme américaine par un « hombre » (sous-entendu, un hispanique).

925934522.jpg.0.jpg

Qu’il s’agisse de streamers ou du président américain (Twitch indique ne pas faire de différence), la décision de Twitch est loin d’être anodine puisque la plateforme sociale assume ici une responsabilité qu’elle refusait jusqu’à présent – au même titre que Twitter qui a également censuré récemment des tweets de Donald Trump ; puis de Facebook qui a désactivé une publicité jugée raciste de la campagne du président américain ; ou encore aujourd’hui, du subreddit « The_Donald » dédié au président américain qui a également été fermé du fait de cas de harcèlement et des contenus haineux qui y sont publiés.
Des décisions loin d’être anodines, donc, car traditionnellement aux Etats-Unis, les réseaux sociaux sont considérés comme de simples diffuseurs, impliquant qu’ils ne sont pas responsables juridiquement des propos tenus sur leur plateforme (à l’exception des contenus terroristes et pornographiques). Ils se distinguent donc ainsi des médias dont les contenus sont éditorialisés et qui endossent la responsabilité de ce qu’ils décident de publier. Depuis maintenant quelques semaines, les réseaux sociaux font donc ce choix de sanctionner ouvertement les comportements auxquels ils n’adhèrent pas. Ce n’est évidemment pas nouveau (bon nombre de streamers ont déjà été suspendus voire bannis, sans que grand monde s’en émeuve), mais la décision est d’une autre envergure quand elle cible le président des Etats-Unis ou des streamers drainant des millions de spectateurs ou recrutés à grand frais.

Et ce mouvement est manifestement peu du goût des supporters du président américain puisqu’en représailles, des hackers (russes ?) se sont manifestement lancés à l’assaut d’une autre plateforme sociale, Roblox, le jeu en ligne créatif destiné aux jeunes joueurs qui revendique 100 millions de joueurs actifs chaque mois. Ils y auraient modifié des avatars pour les affubler des casquettes « MAGA » (pour Make America Great Again, le slogan des trumpistes) et encourager les joueurs à « demander à leur parent de voter Trump ». Au moins un millier de comptes auraient été compromis.

« Ma plateforme, mes règles »

Les plateformes s’assument donc là pour ce qu’elles sont, c’est-à-dire des espaces publics mais de droit privé, qui peuvent faire le choix d’adopter des règles spécifiques et des interdictions qui s’imposent à (tous) leurs utilisateurs, même au président des Etats-Unis. Une attitude qui dénote aux Etats-Unis, pays de la liberté d’expression – où on reste néanmoins libre de s’exprimer librement mais ailleurs, et tant pis pour les streamers (ou présidents) qui ont sciemment fait le choix d’utiliser des plateformes privées comme organes de communication officielle publique sans appréhender qu'ils se doivent donc d’en respecter les règles – l'un des autres fondements de la société américaine, très attachée à la notion de propriété privée.

Les réseaux sociaux ou les jeux en ligne sont des microsociétés qui fédèrent des communautés comptant parfois des millions d’utilisateurs. Et comme toutes les sociétés, elles sont régies par des règles, certaines explicites et d’autres tacites. Les plateformes édictent donc des règlements, mais entendent manifestement maintenant les appliquer sans passe-droit. Et apparemment avec le soutien d’au moins une partie des communautés d’utilisateurs qui s’impliquent aussi moralement pour dénoncer les comportements inappropriés : à l’encontre des joueuses harcelées sur Twitch ou, dans le cas de Roblox, pour dénoncer une « instrumentalisation inacceptable » de jeunes joueurs du jeu en ligne dans l’espoir d’un gain politique très hypothétique.

Réactions (55)

Afficher sur le forum