Rétrospective 2014 : la fermeture de Vanguard Saga of Heroes

Si plusieurs gros MMORPG ont été lancés en 2014, d'autres ont aussi fermé leurs portes définitivement cette année. Vanguard est l'un d'eux. Il se voulait particulièrement ambitieux et ne rencontrera jamais son public. Retour sur la vie et la mort du MMORPG de feu Sigil Games.

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Au fil des ans, l'offre de MMORPG s'étoffe drastiquement et l'année 2014 n'a pas échappé à la règle -- on recensait récemment quelques-uns des nouveaux titres lancés cette année. Il en va néanmoins des MMO comme du reste : quand certains naissent, d'autres meurent. Et en 2014, l'une des morts de jeu massivement multijoueur parmi les plus marquantes est sans doute celle de Vanguard: Saga of Heroes, tant le jeu s'annonçait prometteur mais sans avoir jamais réellement concrétisé ses ambitions. Rétrospective de la vie, puis de la mort de Vanguard.

La genèse de Vanguard : les ambitions de Brad McQuaid

L'histoire de Vanguard est intimement liée à son principal développeur, Brad McQuaid, vétéran de l'industrie du MMO et initiateur de plusieurs projets ayant marqué les joueurs férus de jeux massivement multijoueurs. Ainsi, dès 1999, il participait à la création du studio Verant Interactive (qui deviendra Sony Online Entertainment fin 2001, suite à son rachat par le groupe Sony) où il travaillait alors sur quelques-uns des principaux MMO de l'époque, notamment le premier EverQuest (à l'époque où le MMO comptait une équipe de développement de 23 personnes) ou plus tard sur Star Wars Galaxies.

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Quand Verant Interactive est racheté par Sony, le (petit) studio américain prend en charge le développement des jeux en ligne du groupe japonais et Sony Online est divisé en deux entités : l'une en charge du développement de jeux occasionnels promotionnels (des déclinaisons online de la Roue de la Fortune ou de Jeopardy!, des licences appartenant à Sony Pictures) et l'autre assurant le développement de MMORPG, les jeux « premium » du groupe. Brad McQuaid assure un rôle de directeur créatif de cette seconde entité et acquiert progressivement une vraie réputation, tant auprès des joueurs que des professionnels de l'industrie naissante du MMO aux États-Unis. EverQuest est un succès pour l'époque et Star Wars Galaxies s'annonce comme l'un des très gros projets à venir du groupe (notamment grâce à sa licence de poids). Mais le jeu est développé dans les bureaux d'Austin de SOE, au Texas, quand le siège du groupe reste historiquement basé à San Diego en Californie. Brad McQuaid est tenu de régulièrement sillonner les États-Unis. Cette vie ne lui convient pas et il quitte Sony Online en octobre 2001.

Fort de l'expérience acquise, que ce soit en game design ou en termes de gestion d'équipe, il raconte être alors approché par plusieurs concurrents (Electronic Arts, NCsoft ou Microsoft). Avec peut-être (déjà) un brin d'arrogance, il dit prendre « la mesure de ses qualités personnelles » et, alors que Sony Online initie le développement d'EverQuest II, décide de fonder son propre studio (avec Jeff Butler, une autre figure historique de Sony Online qui travaille aujourd'hui sur EverQuest Next) pour concevoir son propre MMORPG : il fonde donc le studio Sigil Games Online en janvier 2002 (d'abord financé avec des fonds propres) pour développer Vanguard: Saga of Heroes.

Vanguard sur le papier

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Lors des premiers mois d'existence de Sigil, Brad McQuaid et Jeff Butler posent les bases de ce que devait être Vanguard : le successeur spirituel d'EverQuest, modernisé en termes de technologies et complété de fonctionnalités alors inédites -- à l'époque, World of Warcraft était en développement et le duo s'attendait à une concurrence sévère, il fallait donc se montrer ambitieux.
Vanguard se veut un titre « AAA » et un MMORPG next-gen. Il repose sur l'Unreal Engine 2.5, pour générer un monde gigantesque et immersif, d'un seul tenant, qu'on pouvait explorer à dos de montures volantes -- Brad McQuaid voulait « un monde dans lequel on pouvait monter au sommet d'une montagne et voir des kilomètres à la ronde ». Pour se démarquer de World of Warcraft et de ses graphismes cartoon (qui permettront pourtant au MMO de Blizzard de toucher le grand public), Vanguard mise sur une grande finesse graphique pour l'époque. Et pour animer ce monde « énorme », Telon, comptant plusieurs continents auxquels on accède par bateau, le développeur conçoit un gameplay à l'avenant, reposant sur trois principaux piliers : d'abord « l'aventure » promettant des « combats épiques », de l'exploration, des donjons et raids ; ensuite des mécanismes d'artisanat solides reposant sur l'interaction des joueurs ; et enfin un système de diplomatie permettant de progresser pacifiquement, reposant sur des sortes de duels stratégiques inspirés des mécaniques de jeux en ligne de cartes à collectionner.

Sur la base de ce concept, Brad McQuaid et Jeff Butler démarchent Microsoft. Le géant américain est intéressé par le projet, en devient l'éditeur et en assure le financement. Avec les fonds de Microsoft et l'expérience de Brad McQuaid, toute l'industrie imagine que Vanguard sera le prochain blockbuster massivement multijoueur.

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Sigil grossit rapidement (trop, sans doute) : la vingtaine de membres de l'équipe d'origine accueillent rapidement une centaine de salariés supplémentaires, un prototype est développé et le développeur s'attèle à produire du contenu en masse (il faut remplir le monde immense de Vanguard). Et les premières frictions apparaissent.
Le département artistique confié au grand Keith Parkinson est unanimement salué (le jeu parait superbe pour l'époque), mais le département « programmation » dirigé par Dave Gilbertson parvient certes à relever certains des défis technologiques de Vanguard (le monde d'un seul tenant), mais à sa sortie, le MMORPG nécessitera une configuration inaccessible à la plupart des joueurs (et sera injouable faute d'optimisation) et le département en charge de design connait des dissensions internes : trois game designers se partagent les trois piliers de gameplay de Vanguard. Et si les secrets du studio ne sont pas révélés, l'un sera à peu près fonctionnel au lancement (l'aventure), mais les deux autres (l'artisanat et la diplomatie) resteront atrophiés au regard des promesses initiales.

Quand le développement dérape

À en croire Brad McQuaid, le développement de Vanguard a commencé à péricliter avec un changement d'équipe chez Microsoft. L'interlocuteur historique de Sigil chez Microsoft, Ed Fries, a en effet été amené à changer d'affectation et la nouvelle équipe en place ne croyait manifestement pas au succès du MMO. Et c'est cohérent, puisqu'à l'époque, en 2005, Microsoft mise plus volontiers sur sur sa nouvelle console, la Xbox 360, que sur le jeu PC et tous les MMO édités à Microsoft seront successivement sabordés. À la même période, le marché du MMO évolue aussi drastiquement : Blizzard investissait des millions de dollars dans le développement puis l'exploitation de World of Warcraft qui enregistre des records de population et Sony Online revendiquait haut et fort son statut de leader historique (à l'époque) du secteur avec la licence EverQuest. Deux concurrents majeurs pour Vanguard.
Selon Brad McQuaid, Microsoft aurait alors coupé les vivres de Sigil (au cours de l'été 2006), arguant que le budget initialement convenu était dépassé, que le développement du jeu prenait du retard et qu'il convenait donc de lancer Vanguard (la sortie du jeu, alors déjà repoussée, était attendue au cours de l'année 2006). Or Vanguard est encore en alpha, injouable en l'état, et a besoin d'encore un an de développement que Microsoft refuse de financer.

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Brad McQuaid se lance alors en quête d'investisseurs externes susceptibles de financer la fin du développement. Peu répondront présents mais, beau joueur, John Smedley (le CEO de Sony Online, ancien employeur et ami de Brad McQuaid) accepte de lui venir en aide. Aussi insolite que cela puisse paraitre, Microsoft et Sony Online trouvent un accord et SOE acquiert les droits de Vanguard (et reprend la moitié des salariés de feu Sigil). Par « amitié », John Smedley est en mesure de financer « six mois de développement supplémentaires, mais pas une année ».
Faute de mieux, Brad McQuaid accepte et, avec le recul, salue le geste de John Smedley : « ils ont fait ce qu'ils ont pu en termes financiers [...], et je suis même extrêmement heureux qu'ils aient été en mesure de nous venir en aide car sans eux, le jeu n'aurait même jamais été lancé ».

Vanguard sera bien lancé en janvier 2007, après cinq ans de développement, mais loin d'être techniquement optimisé et aussi complet qu'initialement annoncé. Plus de 250 000 copies du jeu sont vendues, mais lors des premières semaines d'exploitation, les joueurs dépassent rarement le niveau 2 ou 3. Non pas que le jeu soit mauvais, mais il difficilement jouable. Plus tard, Brad McQuaid concèdera que « le jeu n'était pas optimisé, le client n'était pas optimisé, les serveurs n'étaient pas optimisés... le lag était infâme ».
A posteriori, plusieurs salariés de Sigil se montreront très critique à l'égard de Brad McQuaid, qui aurait été très peu présent au sein du studio pendant des mois (notamment à cause de problèmes d'addiction à la drogue), aurait recruté ou promu des novices à des postes clefs, l'équipe de développement n'aurait pas eu les outils nécessaires pour assurer correctement la conception du jeu et Sigil n'aurait compté qu'un unique testeur en interne avant que Sony Online ne mette sa propre équipe de testeurs à disposition des développeurs de Vanguard.

Chronique d'une mort annoncée

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Les premiers mois d'exploitation (en fait, jusque fin 2008) sont consacrés à la correction de bugs et à l'optimisation du MMORPG. Mais le mal est fait et Vanguard reste dans les mémoires comme « une tragédie ».
D'autant plus que le gameplay est particulièrement exigeant. Conformément aux ambitions initiales, Brad McQuaid et Jeff Butler avaient imaginé un « vrai MMORPG », dans lequel des interactions sociales entre les joueurs étaient une composante ludique nécessaire (le jeu en groupe était privilégié, un artisan expérimenté avait besoin de l'aide d'aventuriers, etc.). Las, Vanguard compte de moins en moins de joueurs, compliquant la progression des plus investis. Et le MMO commence une lente agonie -- en 2009, la population de joueurs abonnés est jugée « insignifiante » et l'année suivante, les derniers serveurs sont fusionnés (il reste alors un serveur nord-américain et un serveur international).
Après quelques années d'exploitation discrète sur les serveurs de Sony Online, en août 2012, Vanguard cherche un second souffle en free-to-play et en version européenne (le groupe allemand ProSieben signe un accord d'exploitation avec SOE afin de distribuer le MMO en Europe) -- et le studio réintègre Brad McQuaid au sein de ses effectifs pour organiser la transition. Si le jeu fait alors l'objet de quelques mises à jour de contenu (de nouvelles instances ouvrent leurs portes), force est de constater que le jeu ne connaitra jamais la popularité à laquelle il aspirait initialement.

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Au cours du second semestre 2013, Sony Online connait des difficultés financières et procède à une « restructuration » (on évoque le licenciement de quelque 200 salariés). Dans la foulée, en tout début d'année 2014, le studio annonce la fermeture de plusieurs des MMO de son catalogue, dont Vanguard. Le MMO initialement signé Sigil Games fermera ses portes définitivement le 31 juillet dernier, après sept ans d'exploitation en demi-teinte (pour ne pas dire chaotiques) et avoir englouti un budget évalué à 35 millions de dollars. Sur le papier, Vanguard promettait d'être l'un des MMO les plus ambitieux du genre, destiné à un public de joueurs expérimentés et intégrant des fonctionnalités disponibles dans aucun autre titre. Pour nombre de joueurs, il ne restera que le souvenir d'un immense gâchis que beaucoup imputent directement à Brad McQuaid.
Aujourd'hui, il a initié le développement d'un nouveau MMO, Pantheon: Rise of the Fallen, reprenant les principaux mécanismes de Vanguard. Faute d'investisseurs et après l'échec d'une campagne de financement participatif (Bard McQuaid espérait lever 800 000 dollars et n'en obtiendra qu'un peu plus de 180 000), le développement se poursuit tant bien que mal avec une équipe de développeurs amateurs et bénévoles. Manifestement, aujourd'hui, la magie n'opère plus comme en 2002.

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