L'édito des MMO : vers une divergence du marché des MMORPG

À en croire les comptes trimestriels des exploitants de jeux en ligne, les « MMO modernes » et les « MMO classic » trouvent chacun leur propre public. De quoi envisager, à terme, une scission du marché du MMORPG ?

Edito des MMO

C’est un constat fait régulièrement : l’âge d’or des MMORPG serait passé. Et effectivement, le temps semble loin où tous les principaux éditeurs de l’industrie du jeu se devaient d’avoir au moins un jeu massivement multijoueur dans leur catalogue, où les annonces de développement de nouveaux MMORPG se multipliaient, et à chaque fois dans l’espoir de rivaliser avec les ténors du secteur – à commencer par World of Warcraft et ses 12 millions d’abonnés (en 2010). On le sait, rares sont ceux à avoir obtenu le succès escompté.

Pour autant, si certains ont échoué, nombre d’autres MMORPG historiques ont aussi rencontré le succès auprès des joueurs. Ils perdurent aujourd’hui et évoluent avec leur temps au gré de l’état de l’art, que ce soit en termes de technologies, de fonctionnalités ou de gameplay – World of Warcraft mais aussi Final Fantasy XIV, The Elder Scrolls Online, ArcheAge ou encore Guild Wars 2 ont drastiquement fait évoluer leurs mécaniques au fil des années pour répondre aux nouvelles attentes des joueurs d’aujourd’hui.

Des MMORPG modernisés

Parallèlement et même s’ils sont moins nombreux qu’alors, de nouveaux MMORPG continuent encore d’être lancés, ils sont évidemment le reflet de leur époque. Et il rencontre parfois le succès, au moins commercialement. C’est le cas par exemple de Black Desert Online, signé par Pearl Abyss. Au cours de ce mois de février 2020, le développeur sud-coréen publiait ses comptes trimestriels pour l’exercice 2019 et y annonçait un chiffre d’affaires en progression de 123% au cours des cinq dernières années. En 2019, le studio a vu son résultat opérationnel (+20%) et son bénéfice net (+237%) augmenter significativement depuis l’exercice précédent, et c’est principalement le fruit de l’engouement suscité par Black Desert (la licence pèse pour 86% dans les résultats du studio) et d’EVE Online (14%).

Odylita

Et on sait comment Pearl Abyss analyse le succès populaire de son « MMO moderne » : le studio s’est d’abord focalisé sur le développement technologique et la conception en interne d’un moteur capable à la fois d’afficher des graphismes plutôt esthétiques et de gérer un gameplay résolument dynamique. De quoi piquer la curiosité des joueurs enclins à tester le MMO d’action, et manifestement de les fidéliser suffisamment longtemps pour assurer la croissance du studio depuis cinq ans (depuis le lancement coréen de Black Desert).

C’est notamment ce qu’expliquait Jeonghee Jin, la patronne Pearl Abyss America, dans le cadre de la Gamer Connects 2020 de Londres voici quelques semaines. Pearl Abyss avait certes envisagé d’utiliser des technologies déjà existantes pour concevoir Black Desert avant de se rendre à l’évidence : concevoir un moteur spécifique offrait à la fois davantage de latitudes en termes de créativités et coûtait moins cher au regard des objectifs. Et le studio va poursuivre cette stratégie pour ses prochains titres : Crimson Desert, Plan8 ou DokeV exploiteront la prochaine mouture du moteur interne du développeur. Les MMO se modernisent donc pour mieux répondre aux attentes actuelles des joueurs.

Et un engouement pour les versions classiques

Kebos Lowlands (Old School RuneScape)

Mais parallèlement, au cours de ce mois de février, Blizzard et NetEase ont également publié leurs comptes trimestriels faisant état du succès populaire de son « vieux » World of Warcraft Classic – un nombre d’abonnés « doublé » en Occident et un nombre d’abonné « record » en Chine. De son côté, le studio britannique Jagex vante aussi la popularité croissante de RuneScape et sa version Old School Runescape (la version « classique » de son MMORPG historique), qui aurait attiré un nombre record de 1,1 millions d'abonnés payants.

On se souvient par ailleurs des propos de J. Allen Brack (aujourd’hui patron de Blizzard) aux visiteurs de la BlizzCon qui réclamaient une version « Classic » de World of Warcraft : les joueurs pensaient vouloir un WOW Classic, mais déchanteraient une fois en jeu face au caractère daté du gameplay. Blizzard a finalement cédé aux joueurs et aujourd’hui, les résultats financiers de Blizzard détrompent les a priori de J. Allen Brack. En d’autres termes, il y a aussi un marché pour les « vieilles versions » de MMORPG, qui trouvent aussi leur public. Et ce n’est peut-être pas qu’une question de nostalgie.

Vers une divergence de l'offre ?

Pour aller plus loin, « MMO modernes » et « MMO classiques » ne semblent pas s’opposer. Au regard des chiffres, le marché du MMO semble diverger : il y a à la fois un public qui apprécie le confort des fonctionnalités récentes que peuvent offrir les MMORPG d'aujourd'hui, qui s’amuse avec un gameplay dynamique et apprécie des graphismes particulièrement soignés ; et un autre public qui se languissait d’expériences de MMORPG peut-être un brin plus austères mais aussi plus authentiques et laissant davantage de place aux interactions entre les joueurs et à un certain goût de l’effort.
Et on constate cette même divergence en matière de modèle économique : les « MMO modernes » plus accessibles rechignent souvent à ériger des barrières financières trop élevées (ils doivent être aussi accessibles économiquement et optent pour des offres free-to-play ou buy-to-play) ; mais les « MMO classiques » parviennent encore à attirer des abonnés prêts à débourser quelques euros tous les mois pour profiter d’une offre de jeu complète. 

Alors qu’en déduire ? À l’évidence qu’il existe un vrai marché (sans doute de niche mais s’adressant à des joueurs prêts à ouvrir leur porte-monnaie) pour des offres de « MMORPG à l’ancienne ». Alors certes, « MMO à l’ancienne » ne veut pas dire « MMO au rabais » car on sait que peu importe l’offre, les joueurs sont aujourd’hui infiniment plus exigeants qu’il y a encore quelques années – parce que l’offre est pléthorique et souvent à des coûts potentiellement quasi-nuls. Mais ça signifie néanmoins aussi que cette offre n’a pas à se cantonner aux versions classiques des vieux MMORPG : elle pourrait aussi prendre la forme de nouveaux jeux massivement multijoueurs qui s’inspireraient de mécaniques à l’ancienne. En d’autres termes, il suffirait peut-être qu’un développeur s’y essaie ?

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