Création de My.Games : rencontre avec Elena Grigoryan sur l'avenir du groupe et du MMO

Fort d'un catalogue réunissant Warface ou Lost Ark, Allods Online ou Conqueror's Blade, Mail.Ru et My.com vont fusionner pour devenir la nouvelle entité internationale My.Games. Elena Grigoryan nous présente les ambitions de cette fusion et les projets à venir du groupe.

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La Russie est évidemment un territoire de poids dans l’industrie mondiale du jeu vidéo et du jeu en ligne (au point d’attirer l’attention des principaux studios mondiaux quand la Chine ferme son marché) et parmi les acteurs locaux, le groupe Mail.Ru s’impose comme une référence – avec un catalogue de jeux en ligne et de MMO plutôt riche, regroupant en vrac des titres comme Allods Online, Skyforge ou Revelation Online et Warface, ou plus récemment Conqueror's Blade (en version occidentale) et Lost Ark (en version russe), pour les distribuer en Russie sous la marque Mail.Ru ou en Occident sous la bannière My.com.
Pour mieux refléter ces activités mondiales, le groupe Mail.Ru vient de créer une nouvelle franchise internationale, My.Games, devant chapeauter l’intégralité de ses activités « gaming » et ayant vocation à financer et distribuer les projets de développeurs tiers. Pour mieux appréhender cette évolution, nous avons eu l’opportunité d’interroger Elena Grigoryan, directrice marketing de la division « Games » de Mail.Ru Group et qui doit devenir la future directrice marketing de MY.GAMES.

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Mail.ru est déjà très impliqué sur le marché du jeu. Pourquoi créer une nouvelle structure (My.Games) ? Quels développements en espérez-vous ? Quels seront les changements pour les joueurs ?

Jusqu’à présent, la division Jeux de Mail.Ru Group était représentée par deux entités distinctes. En Russie et en CEI, on travaillait sous la marque Mail.Ru Group, alors qu’en Occident, notre marque était My.com.
Avec ces deux marques, nous avons obtenu de grands résultats : nos activités « gaming » représentent un tiers du chiffre d’affaires total de Mail.Ru. Au cours du premier trimestre 2019, le chiffre d’affaires total de Mail.Ru Group tourne autour de 303,97 millions de dollars, alors que nos activités « gaming » ont généré 102,38 millions de dollars. D’après des données publiques, MY.GAMES se classe dans le Top 50 des sociétés de l'industrie mondiale du jeu en termes de chiffre d’affaires. Mais malgré ces bons résultats, et le fait que My.com et Mail.ru ont toujours représenté une seule société, nous avons le sentiment que nous manquons d’une identité et d’un positionnement mondial unique.

Aujourd’hui, plus de 540 millions de joueurs dans plus de 190 pays sont inscrits sur nos jeux. Avec MY.GAMES, nous aurons une marque unique, indépendamment de l’origine des joueurs ou des plateformes de leur choix. Cette nouvelle marque nous donne l’opportunité de revoir notre stratégie de développement mondial, et de nous assurer que nous pouvons aller de l’avant avec succès sur un marché mondial.

L’année dernière, Mail.ru a pris le contrôle de Warface (le shooter sur PC et console) et a acquis le studio Bit.Games (spécialisé dans le jeu mobile). Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur les jeux et types de jeux que vous pourriez financer via My.Games ? Davantage de « jeux pour gamers », plutôt des « jeux occasionnels » ? Avez-vous des exemples ?

Notre priorité consiste à concevoir les meilleurs jeux possibles, pour nos millions de joueurs à travers le monde. Nous n’avons pas de préférences particulières en termes de genres ou de plateformes. Les publics sont différents et nous essayons d’en tenir compte dans notre catalogue.

Par exemple, Bombastic Brothers lancé récemment était inspiré des classiques du jeu de plateformes. Bien qu’étant un jeu mobile moderne, il renvoie les joueurs au début des années 90 – quand la plupart d’entre nous avaient des consoles 8-bits à la maison, avec des run-and-gun shoot-'em-ups.

En tant qu’investisseur dans l’univers du jeu, nous recherchons toujours des nouveautés et des idées novatrices, ayant un fort potentiel commercial. Nous accueillons volontiers les propositions des développeurs audacieux et imaginatifs, qui souhaitent passer à l’étape suivante aux côtés d’un partenaire d’envergure mondial. Nos partenaires doivent être ambitieux, audacieux, et passionnés quant au fait de créer quelque chose de nouveau. En plus d'offrir un soutien financier, nous pouvons également partager notre expertise en termes de développement, de marketing et de lancements de jeux à l'international.

De longue date, les MMO sont toujours été très présents dans votre catalogue de jeux. Quelle est votre perception du marché des MMO aujourd’hui ? Envisage-vous le développement d’autres MMO dans le futur ?

Les MMO restent la première source de revenu en Russie, mais ils sont plus difficiles à exploiter à une échelle mondiale, comparés aux jeux mobiles par exemple.

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Cette année, nous nous préparons à lancer Conqueror's Blade (de Booming Games) pour les joueurs PC en Russie, en Europe et aux Etats-Unis, et nous éditerons l’un des MMO les plus attendus cette année, Lost Ark (signé par SmileGate) en Russie et CEI. Nous continuons aussi à développer la licence Warface. L’année dernière nous avons lancé sa version console, et en 2019, nous annoncerons une version mobile du jeu.

Nous avons aussi lancé trois jeux mobiles cette année : Space Justice, Bombastic Brothers et Evolution 2. Nous avons plusieurs autres sorties mobiles de prévues d’ici la fin de l’année. Globalement, nous objectifs est de continuer à étendre notre catalogue de jeux sur ces trois plateformes principales.

Le marché du MMO se transforme. Les appareils mobiles puissants et les consoles (qui ont des compatibilités de plus en plus naturelles et des cycles de vie de plus en plus longs) sont des plateformes prometteuses pour les jeux multijoueurs. Nous constatons aussi une croissance significative pour les jeux free-to-play sur consoles. La concurrence d’intensifie, alors que les grands éditeurs occidentaux lancent de plus en plus de « jeux services » et que les géants asiatiques s’étendent en Occident. Donc oui, nous poursuivons nos propres développements dans ces trois directions : le PC, les consoles et le mobile.

Vous exploitez plusieurs jeux en Russie, et d’autres en Europe occidentale. Considérez-vous que les goûts des joueurs russes sont similaires à ceux des joueurs occidentaux ? Avez-vous des projets visant à termes à distribuer toutes vos licences en Russie, en Europe et dans le reste du monde ?

En tant que développeur, nous souhaitons que nos jeux et services soient accessibles à autant de joueurs que possible à travers le monde. En tant qu’éditeur, nous voulons aussi toucher la plus grosse audience possible.

Cependant, chaque marché est différent et chaque public a ses propres préférences. Si, par exemple, on compare le public russe PC avec celui d’Europe occidentale, je dirais que les joueurs russes tendent à préférer des jeux plus compétitifs et hardcores. Les joueurs russes sont très intéressés par les jeux de stratégie historiques et le MOBA Dota 2 est très populaire ici – bien plus que League of Legends, qui est davantage joué en Europe.

Parfois, nous constatons aussi des différences en termes de plateformes. Par exemple, nous savons que les lancements sur console sont bien plus populaires en Amérique du nord qu’en Russie. Donc le continent nord-américain est un marché vital pour nous quand on envisage un lancement sur consoles. Mais nous ne considérons pas qu’un unique marché puisse être plus important qu’un autre dans l’ensemble.

Envisagez-vous, voire prévoyez-vous d’exploiter un jeu comme Lost Ark en Russie mais aussi en Europe occidental (où le MMO est manifestement très attendu) ?

Pour l’instant, nous n’exploiterons Lost Ark qu’en Russie et en CEI.

Vous contrôlez déjà ESforce group. Pouvez-vous nous parler de vos projets en matière d’esport, que ce soit en Russie et au-delà ?

L’esport connait une croissance rapide au sein de l’industrie du jeu. Presque toutes les sociétés de jeu investissent dans l’esport d’une façon ou d’une autre, que ce soit en investissant dans des équipes, des contenus, des plateformes dédiées ou en organisant des tournois. Avec l’acquisition d’ESforce en 2018, nous pouvons étendre nos opportunités plus encore.

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Pour le moment, nous sommes concentrés sur le fait d’étendre nos propres infrastructures, incluant notre propre plateforme PVP.gg. Cette plateforme en ligne internationale dédiée aux sports électroniques réunit à la fois les développeurs, les organisateurs de tournois, ainsi que les athlètes d’esport – du débutant au professionnel. Le principal objectif de cette plateforme est d’accompagner les fans d’esport pour les aider à organiser leurs propres compétitions à travers le monde.

Enfin, Warface, l’un des jeux les plus populaires de notre catalogue, est aussi un jeu compétitif majeur pour nous. Depuis 2013, nous avons organisé plus de 200 tournois Warface avec un montant total de dotations de plus de 640 000 dollars.

Comment voyez-vous l’industrie du jeu dans les quelques prochaines années ? Apparemment, aujourd’hui, l’industrie tend de plus en plus à se concentrer (quelques grands groupes possèdent de plus en plus de studios de développement). Vous adoptez manifestement aussi cette stratégie. Pensez-vous qu’à long terme, l’industrie du jeu sera contrôlée uniquement par ces quelques grands groupes ?

L’avenir de l’industrie du jeu est extrêmement enthousiasmant. Il y a plusieurs tendances majeures qui, à mon avis, auront un impact significatif sur ce qui arrive. D’abord, les studios vont continuer à diversifier leurs expériences de jeu. Nous va constater l’émergence de pléthore de nouveaux genres et de jeux cross-plateformes dans les années à venir.

Deuxièmement, si le cloud gaming parvient à prendre son envol, ça pourrait tout changer. Google, Microsoft et plusieurs autres grands groupes, au regard de leur récent positionnement dans le secteur, pourrait faciliter drastiquement l’accès aux derniers jeux pour les joueurs, sans avoir à investir dans du matériel onéreux. Le cloud gaming pourrait augmenter le nombre de joueurs dans le monde, en rendant les jeux plus accessible à un public plus occasionnel. Pour autant, à mon avis, il reste encore de sérieux obstacle à surmonter. Jusqu’à ce que ce soit le cas concrètement, il est difficile d’avoir des certitudes quant au succès du procédé.

Troisièmement, j’entrevois que toujours plus de studios de l’industrie du jeu s’orienteront vers des modèles économiques à base d’abonnement. Mais il est sans doute un peu tôt pour en parler concrètement, dans la mesure où peu de société ont opté pour cette voie pour l’instant.

Enfin, je crois que l’industrie chinoise du jeu a un énorme potentiel. Actuellement, très peu d’éditeurs comprennent réellement comment fonctionnent les publics chinois, ou comment choisir les bons canaux de distribution et établir un contact efficace avec les joueurs locaux. Le marché est aussi unique en termes de régulations gouvernementales (très contraignantes), et de mécanismes qu’on trouve rarement ailleurs dans le monde. Mais malgré cette complexité, la Chine a un énorme marché en marché en termes de nombre de joueurs, et est donc très attractive pour les développeurs et les éditeurs. Nous observerons les sociétés du marché chinois très attentivement aussi, tout en avançant aussi nous-mêmes dans cette direction.

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