« Qu'est qui a cloché avec Star Wars The Old Republic ? »

Quelques mois après son lancement et malgré un budget colossal, SWTOR perd nombre de joueurs et abandonne son modèle à base d'abonnement. L'économiste Ramin Shokrizade identifie ce qui, selon lui, a causé la désaffection des joueurs et l'échec commercial du projet.

HK-51 Jedi

Star Wars The Old Republic restera dans les mémoires comme étant officiellement le projet le plus onéreux du catalogue d'Electronic Arts (on évoque un budget de développement estimé entre 100 et 300 millions de dollars). Pourtant, malgré 2,4 millions de boîtes vendues dans la foulée de la sortie (pour 1,7 millions d'abonnés le premier mois), le MMORPG de Bioware compte aujourd'hui moins d'un million de joueurs payants et si nombre d'éditeurs de MMO s'en contenteraient, le résultat est sévère au regard du coût de développement.
Comment expliquer cette hémorragie de joueurs ? Ramin Shokrizade, spécialiste en économie virtuelle et monétisation de MMO, s'offre une tribune dans les colonnes de Gamasutra et propose quelques pistes de réflexion explicatives (sans volonté d'exhaustivité : « si vous demandez leur opinion à 10 personnes, vous obtiendrez 10 réponses différentes »).

Selon Ramin Shokrizade, la désaffection des joueurs pour SWTOR s'explique d'abord par un gameplay encourageant peu les interactions sociales (l'un des attraits des MMO repose sur leur caractère multijoueur, là où SWTOR est un MMO très axé sur le joueur, évoluant seul). Pour aller plus loin, Ramin Shokrizade rappelle qu'un MMO s'appuie traditionnellement sur trois axes de socialisation :

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  • Le gameplay coopératif, d'abord, invite de petits groupes de joueurs à oeuvrer de concert pour atteindre un objectif commun (c'est l'objet d'une instance, par exemple). Ce type de gameplay permet de rencontrer d'autres joueurs, de faire état de ses qualités de joueurs, mais permet surtout de renouveler un gameplay répétitif (refaire une instance peut être rébarbatif, la refaire avec d'autres joueurs qui proposeront tous des stratégies différentes redonnera de l'intérêt au donjon au fil du temps).
    Or, SWTOR est très axé sur le joueur. Le coeur du gameplay du MMO de Bioware est l'histoire personnelle du personnage et les interactions avec les autres joueurs influent peu sur le gameplay.

  • Le gameplay économique et commercial, ensuite, s'avère souvent très riche d'interactions, confrontant le joueur à un très grand nombre d'autres participants (pour obtenir des ressources, trouver des artisans, revendre ses créations, etc.) et permettant aux meilleurs de se construire une certaine renommée sur un serveur.
    Créer une économie viable dans un MMO n'est néanmoins pas aisé dans la mesure où il convient de réguler strictement la création monétaire et éviter les risques d'inflation (afin que le patrimoine des joueurs conserve une certaine valeur dans le temps et que l'activité des artisans reste économiquement pertinente). Lors du lancement de SWTOR, Ramin Shokrizade a suivi le cours de la valeur des crédits du jeu au regard de leur coût de vente en dollars : en 30 jours, la valeur des crédits de SWTOR avait baissé de 97%. L'argent du jeu n'avait aucune valeur réelle. Mécaniquement, les artisans sont devenus inutiles ou presque et les échanges commerciaux entre joueurs, sans intérêt. Ramin Shokrizade considère même que SWTOR a fait l'objet d'une « attaque économique » délibérée puisqu'une macro permettant apparemment de générer facilement des crédits a été largement diffusée (là où généralement ce type d'astuces est jalousement gardée), afin de générer rapidement une inflation forte dans le jeu. L'économiste y voit un « désastre autant pour EA (le système monétaire du jeu était tué avant même d'être initié) que pour les gold sellers (personne n'avait besoin d'acheter de golds) ».

  • Troisième et dernier facteur d'interaction, le gameplay compétitif (le PvP) permet généralement d'occuper durablement les joueurs, à bon compte pour le développeur (la lutte entre joueurs ne nécessitent pas autant de développements lourds qu'un contenu PvE).
    Sans surprise, on sait que SWTOR était d'abord axé sur le contenu PvE et que les champs de batailles n'étaient pas la priorité du développeur. L'équilibre des classes était conçu pour le PvE et, dans SWTOR, le PvP en devenait frustrant.
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Côte de Novare

Autant d'éléments de fond qui, selon Ramin Shokrizade, expliquent les difficultés de Bioware à fidéliser les abonnés de The Old Republic, ayant trop vite fait le tour du contenu disponible du MMO.

Et au-delà du gameplay de Star Wars TOR, l'économiste identifie aussi des lacunes de conceptions dans le modèle économique du MMO. La plupart des MMO, même à abonnement, intègre dès l'origine du contenu adapté à un modèle basé sur des microtransactions (susceptible de « multiplier de chiffre d'affaires d'un MMO par deux, trois, voire quatre au cours de la première année d'exploitation »), en plaçant judicieusement ce que Shokrizade qualifie de « carottes » (du contenu qui, un jour, pourra être suffisamment attractif pour être vendu à l'unité) et des « portes » (des « opportunités de paiements »). Si nécessaire, le développeur peut alors ouvrir ces « portes » et activer ses « carottes » s'il a besoin de financement (sans être obligé de refondre totalement son jeu lorsqu'il abandonne un modèle qui ne fonctionne plus), lui laissant le temps nécessaire à produire un nouveau contenu. Mais dans SWTOR, ni carottes, ni portes ne semblent avoir été envisagées lors du développement.
Selon Ramin Shokrizade, sans se prononcer sur les qualités ludiques intrinsèques de SWTOR, le MMO de Bioware est un modèle d'échec sur un plan strictement commercial malgré une licence de poids, qui devrait servir de contre-exemple aux développeurs à l'avenir. Et de considérer même que l'exemple de SWTOR sonne le glas du MMO à abonnement, au profit du free-to-play, « même si la tendance est déjà très marquée depuis quelques années ».

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