La Lettre de JeuxOnLine - Août 2016

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Traditionnellement, l’été voit s’enchainer les salons vidéo ludiques, que ce soit sur le continent nord-américain (l’E3 le mois dernier), en Asie (la ChinaJoy de Shanghai, avec son lot d’annonces de MMO sur plateformes mobiles) ou encore en Europe (la gamescom de Cologne le mois prochain). Tous réservent évidemment leur lot d’annonces et de révélations, mais à l’évidence, au cours de ce mois de juillet, le petit monde vidéo ludique s’est surtout emballé pour un certain Pokémon Go, le jeu en réalité augmentée de Niantic (cette filiale de Google à qui l’on doit déjà Ingress).
Pour la première fois, le jeu invitait n’importe quel possesseur de smartphones Android ou iOS (mais paradoxalement pas Windows Phone, alors même que Microsoft se veut le chantre de la réalité augmentée face aux tenants de la réalité virtuelle) à devenir (presque) réellement un chasseur de Pokémons. On connait le fonctionnement du jeu : en s’appuyant sur des cartes géographiques bien réelles et sur la base de données alimentée initialement par Ingress, les joueurs arpentent le monde (ou leur quartier) en quête des 151 pokémons lâchés de la nature à ce jour, à l’aide leur smartphone.

Et si la mécanique ludique de Pokémon Go est encore relativement limitée (se promener pour attraper des pokémons puis les faire s’affronter sans une once de stratégie, même si le développeur promet que seuls 10% des fonctionnalités et du contenu initialement envisagés sont disponibles à cette heure), l’imposante popularité de la licence et la vraie curiosité suscitée par la réalité augmentée ont suffi à initier un phénomène -- qui s’est ensuite s’autoalimenté jusqu’à l’overdose, selon un principe qu’on connait bien : la popularité née de l’attrait de la licence et de la curiosité naissante pour une technologie encore jeune attire le traitement médiatique, qui attire une popularité plus grande encore, qui fait elle-même l’objet d’un traitement médiatique encore plus large, jusqu’à ce que le phénomène soit récupéré et exploité bien au-delà de son cercle d’origine (on ne compte plus les applications devant faciliter la vie des chasseurs de pokémons, les anti-virus qui promettent de protéger nos smartphones des failles du logiciel ou les agences voyages qui imaginent des séjours sur-mesure pour compléter sa collection, entre autres).
Au-delà du « phénomène » Pokémon Go, qui n’a sans doute pas un intérêt énorme aujourd’hui au regard du peu de recul dont nous disposons (la seule vraie question est de savoir si le studio Niantic sera capable de capitaliser sur cette popularité ou si la bulle explosera aussi vite qu’elle s’est gonflée, faute de réelles mécaniques ludiques pour la pérenniser), le jeu permet peut-être néanmoins d’appréhender certains des enjeux ludiques de la réalité augmentée. Et la question peut sans doute intéresser aussi les joueurs de MMO tant la structure de Pokémon Go peut rappeler celle d’un jeu massivement multijoueur -- et ce n’est peut-être pas un hasard puisque John Hanke, aujourd’hui CEO de Niantic, a aussi été l’un des anciens artisans de Meridian 59 qu’on considère traditionnellement comme le premier MMO en 3D à avoir été commercialisé, avant de s’atteler à concevoir le premier « monde virtuel miroir » chez Keyhole, qui Google Earth suite au rachat du studio par Google).
On constate donc que Pokémon Go entend immerger des joueurs dans un monde (mais de l’envergure du nôtre, un brin « augmenté »), que les joueurs deviennent leur propre avatar dans ce monde (en tant qu’individu mais aussi au regard des données personnelles qu’ils confient au développeur, que ce soit leur localisation dans « l’univers de jeu » ou leur liste d’amis) et que le tout est lié et animé par des serveurs capables d’accueillir des cohortes de joueurs simultanément qui interagissent ensemble. Et les joueurs explorent cet univers (c’est l’une des bases du jeu), en découvre certains secrets (avec l’ampleur du crowdsourcing généré par Ingress), voire se l’approprient et contribuent à l’animer (comme quand par exemple des bars attirent des pokémons dans leur établissement pour y attirer une clientèle de chasseurs). On attend encore des ligues ou des guildes dignes de ce nom et avec de réelles implications ludiques, mais d’ores et déjà, on prend la mesure des possibilités des interactions sociales -- le jeu parvient déjà à réunir des joueurs qui ne se connaissaient pas autour de spots communs, et dispose évidemment des meilleurs outils sociaux (les joueurs eux-mêmes, la parole avec des emotes plus vraies que nature, etc.).
On le comprend, la réalité augmentée pose les bases de l’univers de MMO le plus vaste et le plus riche qui soit, capable d’accueillir des cohortes de joueurs animés par une même communauté d’intérêt. Reste peut-être néanmoins à y ajouter de vraies mécaniques ludiques pour que ce monde invite à un peu plus que de simplement arpenter son quartier, le nez collé à son smartphone. Et peut-être est-ce alors que les game designers de MMO devraient entrer en jeu, pour imaginer un gameplay à la hauteur de cet univers et de ses possibilités communautaires.

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