La vente d'objets virtuels dans les MMOG/MMORPG #12

:: Propriété intellectuelle dans les MMOG


Rédigé par Uther, en janvier 2005
mis à jour en janvier 2006

 

Mais afin d'analyser plus en détail une telle problématique, la notion de propriété virtuelle nécessite d'être appréhendée sous un angle double : technique d'une part et juridique d'autre part, l'un découlant de l'autre.
Différents auteurs (principalement américains) comme Molly Stephens, se sont attachés à définir techniquement la notion de propriété dans un monde artificiel.

M. Stephens , "In-game Assets"[49]
"Par exemple, de nombreux utilisateurs peuvent posséder une épée d'acier. Seule une unique copie du code logiciel définissant l'apparence de cette épée d'acier existe dans la mémoire du serveur et la localisation de ce code dans la mémoire a une adresse.
La base de données des avatars ne stocke que cette adresse qui représente la possession. Quand un utilisateur perd une épée d'acier, le programme du serveur efface simplement l'adresse de la liste des possessions associées à cet avatar. Quand un utilisateur gagne une épée d'acier, le programme du serveur ajoute cette adresse à la liste."

Les principes de droit français posés par le code de propriétés intellectuelles veulent qu'un auteur puisse revendiquer des droits moraux et patrimoniaux sur ses créations (c'est-à-dire, très caricaturalement, être reconnu comme l'auteur de la création et avoir la capacité d'exploiter sa création, notamment commercialement).

illustrationDans le cadre d'un univers persistant, un utilisateur consacre du temps à la "fabrication virtuelle" d'un objet mais n'en est pas pour autant le créateur. Et c'est ssn doute la principale confusion régnant en la matière : le "fabricant" d'un objet virtuel n'en est pas pour autant le créateur. A lire la description de Molly Stephens, le "fabriquant virtuel" ("l'artisan" dans un MMORPG) ne créé rien, il se contente de remplir une série de conditions prévue par une équipe de programmeurs, permettant d'ajouter ou de supprimer un objet artificiel (déjà existant dans une base de données) au patrimoine d'un avatar. En conséquence, dans la plupart des cas, le joueur ne peut juridiquement faire valoir aucune création originale, l'empêchant de revendiquer la moindre propriété sur l'objet. Il n'est qu'utilisateur d'un objet et ne dispose que d'un droit d'usage limité.

Ainsi, la gestion des patrimoines des avatars dans certains univers artificiels permet d'apporter une réponse simple de prime abord à la question de la propriété virtuelle. Est seul propriétaire du contenu d'un MMOG, le propriétaire de l'univers virtuel lui-même. Dans une grande majorité de cas, ce propriétaire n'est autre que le studio de développement qui commercialise le logiciel. Pour légitimement pouvoir commercialiser des objets virtuels, il faudrait que leur auteur (au sens du droit de la propriété intellectuelle, c'est-à-dire l'éditeur du MMORPG) en donne l'autorisation aux joueurs qui utilisent les objets.
A défaut de droits (d'auteur) sur le programme générant un univers virtuel, l'utilisateur du programme n'est par extension qu'utilisateur du contenu numérique. Par analogie avec un droit civil in game, cet utilisateur ne disposerait que de l'usus (l'usage de la chose), mais ne pourrait revendiquer ni le fructus (profiter des fruits de la chose) et encore moins de l'abusus sur l'objet.
Ce constat fait écho aux théories (anglo-saxonnes) de Lawrence Lessig[50] : en matière de régulation du cyberespace, la parole de celui ayant le contrôle du code (ou des serveurs, ici) a force de loi. Même si l'utilisateur d'un programme peut utiliser la chose en sa possession, il suffira de désactiver le serveur sur lequel est installé l'univers virtuel pour le priver de l'usage de son objet (sans qu'il puisse contester cette perte) et en conséquence nier l'existence de la moindre forme de pleine propriété.

Si seul les créateurs de MMOG peuvent se prévaloire d'un droit de pleine propriété sur les objets virtuels, sur quelles bases juridiques reposent la « vente d'objets virtuels » par les joueurs ?
On l'a vu, seul le créateur d'un objet virtuel (on estimera ici qu'il s'agit du studio de développement) peut se prévaloir d'un droit juridiquement reconnu sur l'objet, lui permettant de le vendre. La réalité des faits montre néanmoins qu'en plus de joueurs isolés, des sociétés connues et reconnues de tous (comme IGE) commercialisent des objets virtuels en toute impunité ou presque. On se demander pourquoi un studio de développement de MMOG sûr de son bon droit n'intente pas d'actions en justice contre ces sociétés afin de faire cesser la commercialisation d'objet émanant de sa création.

Cette absence de jurisprudence semble être le fait d'une certaine frilosité des développeurs de MMOG. En effet, juridiquement, les "sociétés de commercialisation" comme IGE ne "vendent" pas des objets virtuels, des devises ou des avatars, ces sociétés affirment ne commercialiser que du temps de jeu.
L'achat d'un objet virtuel ou d'un personnage de haut niveau par un joueur s'analysera juridiquement comme une prestation de service par laquelle la société vend le fait qu'un de ses salariés ait joué X heures pour acquérir un objet, pour le compte du joueur client. Concrètement, l'acquéreur d'un objet virtuel paie un joueur pour jouer à sa place afin d'obtenir un objet. Il ne paie pas l'objet lui-même, même si le résultat final consiste dans les deux cas à remettre un objet aux joueurs acquéreur.
Telle est la ligne de défense tenue par une société comme IGE ou encore lors de l'affaire "BlackSnow Interactive vs. Mythic Interactive" en 2002.

On notera néanmoins que si cette argumentations trouvent un certain fondement pour une société de commercialisation d'objets virtuels, un joueur ne peut en aucun cas s'en prévaloir lorsqu'il acquière frauduleusement un objet virtuel (le joueur viole le CLUF qui l'unit à l'exploitant de MMO et peut avoir à en répondre). Nous y reviendrons.

Ainsi, la notion de propriété virtuelle du contenu d'un monde artificiel apparaît comme intimement liée à la notion propriété de l'ensemble du programme lui-même.
Mais en acquérant le logiciel client (le "client" du programme, par opposition au "serveur") ou en payant tous les mois l'abonnement nécessaire pour se connecter et accéder à un monde virtuel persistant, l'utilisateur devient-il propriétaire d'une portion de cyberespace, voire de l'univers virtuel ?

Afin d'apporter un élément de réponse, il convient d'étudier la relation contractuelle existant entre l'éditeur du monde virtuel et son utilisateur.

 

2.3. Relation contractuelle unissant l'éditeur à l'utilisateur

On l'a vu, un texte législatif général et à portée universelle semble encore difficilement applicable aux univers virtuels persistants. C'est la raison pour laquelle l'accès à un monde artificiel est généralement soumis à la signature d'une convention entre l'éditeur et l'utilisateur. Ces "contrats de licence d'utilisateur final" (CLUF) déterminent généralement les conditions et modalités par lesquelles l'éditeur permet l'accès à l'univers en ligne.

 

page 13 : les Contrats de Lience d'Utilisateur Final >>

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  1. Traduction libre d'un extrait de "In-Game Asset", par Molly Stephens.
  2. Voir "Code and Other Laws of Cyberspace" par Lawrence Lessig (1999).