La vente d'objets virtuels dans les MMOG/MMORPG #11

:: Affaire "RedMoon Online" (suite)


Rédigé par Uther, en janvier 2005

 

Capture d'écran Il prétend avoir été "volé" : selon lui, le temps consacré à l'acquisition des objets virtuels et le coût de l'abonnement (évalué à 1 200$ américains, après plusieurs années) permettant d'accéder aux serveurs autorisent le requérant à revendiquer la propriété des objets virtuels.
En défense, l'éditeur chinois estime qu'à l'inverse, les objets n'ont aucune valeur réelle (ils ne sont qu'une série de lignes de code dans un programme) et que le paiement de l'abonnement correspond à l'achat d'un service uniquement (l'accès au serveur) et non à une quelconque propriété sur le contenu du programme.
Sans détailler les différents motifs de l'affaire (incluant notamment la divulgation de données personnelles sur l'identité des pirates informatiques s'étant introduits dans le système de traitements informatisés de données), les juges chinois ont reconnu la responsabilité de l'éditeur, et l'ont condamné à restituer les objets perdus.

Capture d'écran Les juges chinois ne se sont cependant pas prononcés sur la propriété de ces objets virtuels, nous ne pouvons donc pas affirmer que cette dernière est juridiquement accordée à l'éditeur ou à l'utilisateur du programme. Il n'est en outre pas fait mention du "vol" des objets virtuels (la qualification juridique de la "chose virtuelle" est déterminante pour qualifier les faits de "vol", juridiquement on ne peut en effet voler qu'un bien corporel et non une entité immatériel, comme du code informatique), supposant que l'objet du litige ait été la propriété du requérant.
La plainte vise en effet l'éditeur du programme et non l'auteur du larcin (sans doute moins solvable que la société Beijing Artic Ice Technology Development), les juges n'avaient pas à se prononcer sur la question. La condamnation de la société éditrice est motivée par la négligence de sécurité dont elle fait preuve à l'égard de ses clients. La société devait en effet assurer un niveau de sécurité minimum afin de prévenir toute intrusion sur ses serveurs.

Là encore, dans le cadre de la présente étude, il aurait sans doute été plus intéressant de connaître la solution d'un litige[45] portant sur la même espèce mais opposant le joueur possédant les objets virtuels à l'auteur du piratage ayant dérobé les objets, afin de déterminer si les juges pouvaient qualifier les faits en une infraction pénale (tout au plus dans la configuration actuelle, l'éditeur peut-il intenter une action classique contre l'auteur du piratage pour son introduction frauduleuse dans le système informatisé).

Il est cependant intéressant de souligner que la réparation du dommage s'est effectuée "en nature", matérialisée par la restitution des objets virtuels perdus (c'est-à-dire, une réparation dans une devise virtuelle) et non par des dommages et intérêts évalués au regard de la valeur réelle des objets. Sans reconnaître un éventuel droit de propriété sur les objets virtuels, en acceptant d'entendre le plaignant et par la solution retenue, le tribunal chinois a tout de même reconnu la perte des objets virtuels et le préjudice en découlant.

illustration Et plus récemment, en Corée du Sud (l'Etat comptant à ce jour, le plus grand nombre d'adeptes d'univers virtuels persistants, évalué à plusieurs millions d'individus), 1 060 utilisateurs du programme Lineage[46] se sont regroupés en collectif (baptisé Online Consumers League, la Ligue des Consommateurs en Ligne) afin de poursuivre l'éditeur coréen NCSoft. Entre autre objet de leur mécontentement, l'absence de lutte effective de l'éditeur contre la commercialisation d'objets virtuels émanant de son monde artificiel.

La question devient en effet critique. A titre d'exemple, le site d'actualité anglais BBC News[47] rapportait en septembre 2003 que les autorités sud coréennes (pays le plus symptomatique des comportements en ligne) comptabilisaient plus de 40 000 cyber crimes commis lors du premier semestre 2003, dont 22 000 liés aux seuls univers virtuels. Des cyber mafias (des groupes d'avatars armés) évoluent dans les mondes virtuels afin de piller les résidants réguliers et dérobent leurs possessions virtuelles dans l'optique de les revendre dans une monnaie analogique.

Interrogé par le quotidien Coréen JoongAng Dailly, le chargé de communication de la société NCSoft indiquait qu'une telle lutte n'incombait pas à l'éditeur du programme :

Kim Ju-young, chargé de communication de NCSoft[48]
"La vente d'objets virtuels hors du programme est indépendante de la volonté de la société. Si c'est illégal, le gouvernement n'a qu'à adopter une loi interdisant le commerce de objets virtuels."

Sans présumer de la solution que retiendront les juges coréens en matière de propriété virtuelle, les commentaires de Kim Ju-young sont significatifs. Non seulement il apparaît nécessaire de clarifier juridiquement les problématiques liées à la propriété virtuelle et sa possible soustraction, mais il parait en outre cohérent au coréen de réguler par une loi spéciale, les comportements des utilisateurs des mondes artificiels.
Là encore, la simple existence du litige tend à démontrer la nécessité que la loi analogique ait vocation à appréhender matériellement le contenu des univers artificiels persistants.

 

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  1. Selon le magasine en ligne Ferrago, Li Hongchen aurait inspiré de nombreux autres "résidants" d'univers virtuels persistants prêts à faire valoir leurs droits devant les tribunaux. Peut-être disposerons nous de nouvelles décisions, plus précises, prochainement (http://www.ferrago.com/story/2667).
  2. Site officiel de Lineage : <http://www.lineage.com/>
  3. Voir "Does virtual crime need real justice?" publié en ligne sur le site BBC News http://news.bbc.co.uk/.
  4. Propos rapporté par le quotidien Coréen JoongAng Dailly. L'article est disponible en ligne.