La vente d'objets virtuels dans les MMOG/MMORPG #10

:: Peut-on parler de propriété virtuelle ?


Rédigé par Uther, en décembre 2004

 

A l'inverse, selon Mythic, les moyens techniques mis à disposition des utilisateurs de mondes artificiels (le programme informatique générant l'univers ou les équipes de développement en assurant le bon fonctionnement) ne peuvent être étrangers à la création de ces objets virtuels. Il convient de prendre ce facteur en considération dans la détermination de la "propriété virtuelle". Selon Mythic, l'éditeur ne cède pas ses droits d'auteur sur son programme à un tiers n'ayant pas participé à sa création, ce tiers ne dispose donc d'aucun droit sur le contenu du programme ne peut donc pas le commercialiser sans l'accord de l'auteur (ici Mythic).

illustrationSur un strict plan juridique, l'affaire "BlackSnow Interactive vs. Mythic Interactive" ne tranche pas clairement la question de la titularité du "droit de propriété" sur ces objets artificiels. L'affaire n'est en effet jamais arrivée devant les juges de la Court Fédérale de Californie (la société BlackSnow ayant disparu avant tout jugement). Il faut se contenter de l'arbitrage[42] de la District Court de Californie rapportée par Mark Jacobs, le président de Mythic Entertainment, rappelant que le CLUF du programme prohibant la vente d'objets virtuels était valide (nous y reviendrons).

L'affaire BlackSnow (dès 2002), à défaut de réponse tranchée, aura cependant eu le mérite de démontrer que l'évolution technique et l'émergence des mondes artificiels engendrent des conflits inédits. La question mérite manifestement d'être posée et le droit a vocation à y apporter des réponses.

 

2-2. Problématique juridique : peut-on parler de propriété virtuelle ?

On l'a vu, dans le strict cadre d'un univers virtuel et par analogie avec le droit positif, un avatar pourrait faire valoir une forme de "droit de propriété" sur un objet virtuel (le monde virtuel singe le système juridique réel). Mais pour aliéner cet objet dans la réalité, le droit de propriété réel doit également être reconnu en dehors de l'univers virtuel.

En droit civil français, le droit de propriété ne peut porter en principe que sur un bien. Les univers virtuels persistants poussent alors à s'interroger sur la nature juridique des objets qu'ils contiennent (les "objets" utilisables dans le jeu, mais aussi le compte d'un joueur comprenant un "personnage" ou simplement des "devises"). Sont-ils des biens juridiques ?
Juridiquement, un bien est une "chose matérielle". La nature virtuelle, donc "immatérielle", des objets émanant des MMOG semble donc les priver de la qualification juridique de "bien". En conséquence, un objet virtuel tombe plus vraisemblablement sous le régime de la "propriété intellectuelle" et donc du droit d'auteur.

Pour un civiliste, il parait impropre de parler de "propriété immatérielle" comme le fait pourtant, par exemple, le code propriété intellectuelle. Au regard du droit civil, le titulaire d'un droit d'auteur ne peut en effet revendiquer aucune "propriété" sur son œuvre lui permettant de l'aliéner, il dispose uniquement d'un "droit d'auteur" sur l'œuvre, lui permettant de l'exploiter dans une certaine mesure.
La théorie juridique veut ainsi qu'un auteur ne puisse pas vendre son œuvre immatérielle (elle est, par principe, insusceptible d'appropriation), il ne peut que céder un droit d'auteur portant sur l'œuvre elle-même. Ce n'est que par ce biais que le droit civil tolère le droit patrimonial de l'auteur sur son œuvre.

Dans le cadre des univers virtuels persistants, le droit civil français tendra donc à nier l'existence d'une forme de propriété sur l'objet virtuel lui-même (immatériel par nature). Tout au plus, l'auteur pourra-t-il se dire "investi du privilège exclusif d'exploitation temporaire[43]" de l'objet et sous réserve du respect des droits moraux associés.
Cependant, cette théorie juridique remontant au droit romain s'adapte parfois mal à la réalité et diverses décisions récentes apportent quelques éléments de réponses aux questions relatives à la reconnaissance d'un droit propriété analogique (dans la "réalité") portant sur des objets virtuels (émanant de mondes artificiels).

capture d'écranEt la décision rendue le 18 décembre 2003[44] par un tribunal chinois tend peut-être en effet à faire un premier pas en ce sens.
En février 2003, l'avatar virtuel de Li Hongchen, un utilisateur régulier de l'univers persistant "Hongyue" (ou "RedMoon Online") est victime d'une "perte" d'objets virtuels (des armes bactériologiques virtuelles stockées dans l'inventaire de son avatar) suite à un piratage de la base de données du programme visant à les octroyer à un avatar tiers.
S'estimant lésé et face au refus de la société éditrice "Beijing Artic Ice Technology Development" de réparer le préjudice (estimé à 10 000 yuans, au regard du nombre d'heures nécessaires à l'obtention des objets perdus), Li Hongchen saisit les juridictions chinoises.

 

page 11 : Affaire RedMoon Online (suite) >>

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  1. Aux Etats-Unis, l'arbitrage apparaît comme un mécanisme similaire aux ordonnances de référés que nous connaissons en France. Elle vise à rendre une décision, très rapidement, dans l'urgence afin de faire cesser au plus vite un trouble manifeste, mais sans examen de l'affaire au fond. L'examen au fond de la problématique juridique devant être en principe être réalisé de façon plus posée par une juridiction supérieure.
  2. Civ. 25 juillet 1887 : DP 1888. 1. 5, note Sarrut, rapport Lepelletier ; S. 1888. 1. 17, note Chr. Lyon-Caen.
  3. La presse en ligne s'est largement fait l'écho de cette affaire atypique. On pourra se reporter notamment à TechNewsWorld (www.technewsworld.com).