« Il n'y a pas d'approche "juste" en matière de free-to-play »

Les modèles free-to-play se démocratisent tout comme les méthodes visant à rentabiliser la gratuité. Mais pour Radian Games, le free-to-play n'est pas compatible avec un modèle juste pour le joueur, le développeur ou même l'industrie.

Depuis déjà quelques années, les modèles économiques free-to-play se démocratisent, au point de devenir la norme dans plusieurs genres vidéo ludiques (notamment en ligne). Nombreux étaient ceux à y voir l'Eldorado du jeu vidéo, arguant que la gratuité permet en principe de faire tomber des barrières économiques et donc de rendre un jeu plus accessibles, tout en permettant aux joueurs d'essayer un titre avant d'éventuellement y investir ses économies. Pour autant, aujourd'hui, à l'heure où l'on commence à avoir un peu de recul pour évaluer la pertinence de ces modèles économiques, de plus en plus de voix (discordantes) se font entendre et s'interrogent sur la pérennité d'un tel système.

Récemment, Sid Meier (qui lance tout juste Ace Patrol sur iOS) concédait qu'il n'était « pas totalement à l'aise » avec les méthodes mises en oeuvre pour monétiser les jeux dits « free-to-play ». Voici quelques mois, Laralyn McWilliams (qui a notamment dirigée le développement de FreeRealm et initié la transition free-to-play chez Sony Online avant de s'orienter vers le jeu mobile) racontait son expérience personnelle : l'obsession de la monétisation et de l'optimisation économique de l'industrie du jeu gratuit l'a conduite à développer un cancer, jusqu'à ce qu'elle prenne du recul et quitte le milieu pour se soigner. Voici tout juste quelques jours, alors que Trion Worlds annonçait successivement le changement de modèle économique de Rift (au profit d'une exploitation en free-to-play) puis une vague de licenciements chez Trion Worlds, Scott Hartsman (ancien producteur de Rift) considérait que les méthodes de créations de jeux aujourd'hui « étaient cassés », faisant référence à des coûts de développement toujours croissants que les développeurs doivent ensuite amortir avec des modèles économiques « gratuits ».
Même son de cloche aujourd'hui chez Radian Games. Le petit studio indépendant vient de lancer Bombcats, un puzzle game ingénieux exploitant une gestion physique de l'environnement. Idéaliste, le jeune développeur se dit plutôt satisfait de son travail et propose son jeu gratuitement, entendant ne pas pressurer le joueur avec des options payantes qu'il juge injustes (il espérait notamment des dépenses « de soutien » de la part des joueurs appréciant son travail). Le jeu est téléchargé 100 000 fois... et enregistre moins de 100 actes d'achats dans la boutique (pour une valeur unitaire oscillant entre un et dix dollars chacun). En d'autres termes, le développeur est « très loin de rentabiliser [son] jeu ». Et d'en tirer une conclusion simple : un système juste (fair) ne peut pas fonctionner en matière de jeux free-to-play.

Au-delà du constat, il étoffe son raisonnement. Les mécanismes free-to-play sont animés par une idée séduisante (ouvrir son jeu au plus grand nombre et faire payer ceux qui le souhaitent), mais ne peuvent fonctionner qu'avec des volumes de joueurs colossaux (Bombcats devrait être téléchargé « des millions de fois » pour espérer se rentabiliser). Or, à l'exception des mastodontes du secteur qui parviennent à vivre de la gratuité et à faire fonctionner un système free-to-play juste grâce au volume de leur communauté (comme League of Legends, sans doute l'un des principaux exemples de réussite économique en la matière), les studios indépendants n'ont pas la force de frappe suffisante pour que le modèle fonctionne, ni même pour se faire connaitre afin d'initier un processus vertueux ou simplement se démarquer de la concurrence (de plus en plus féroce dans le milieu).
On s'interroge dès lors sur la pérennité de l'industrie du jeu free-to-play : si le modèle peut fonctionner pour quelques-uns (et accessoirement servir d'inspiration), n'y a-t-il pas aussi un risque de sclérose du secteur, faute de laisser un peu de place aux acteurs plus modestes (tout comme World of Warcraft en son temps a influencé toute l'industrie du MMO, tout en écrasant de son poids toute velléité de concurrence pendant plusieurs années) ?

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