MMORPG et gameplay politique

Cette « prise en otage » du serveur a rapidement été taxé au mieux d'opportunisme, au pire de « terrorisme virtuel » et devant le tollé général, les membres de l'Imperial Order ont finalement indiqué qu'il s'agissait d'une blague et que le portail serait rapidement ouvert à tous. L'histoire peut faire sourire, mais soulève aussi sans doute quelques interrogations quant à l'usage que les joueurs peuvent faire du pouvoir politique qui leur est confié (volontairement ou non) sur l'univers mais oblige aussi à souligner la puissance "démocratique" et contestataire de la collectivité face à une élite minoritaire.

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Même si le gameplay à base de « gouvernance » et de conquête du pouvoir politique par les joueurs reste relativement marginal, rudimentaire dans la plupart des MMOG et parfois risqué, il apporte néanmoins une plus-value attractive pour les game designers, dans la mesure où la politique instaure une forme de régulation et de compétition non violente entre les joueurs.
Outre le fait qu'un système politique évolutif s'intègre parfaitement dans le gameplay des MMOG et qu'il apporte nécessairement une forme de dynamisme à l'univers, d'après Matthew Mihaly[15], concepteur du monde virtuel Achaea et diplômé en Sciences Politiques à l'Université de Cornell, un gameplay politique permet aussi d'identifier les leaders d'opinion d'un univers virtuel, susceptible d'endosser un rôle d'ambassadeurs chargés de remonter les doléances des joueurs auprès du développeur, voire de jouer les médiateurs en cas de conflits entre les joueurs et l'éditeur. La plupart des studios de développement de MMORPG (comme EA Mythic pour Dark Age of Camelot par exemple) nomme aujourd'hui des représentants de joueurs sélectionnés parmi les utilisateurs les plus charismatiques ou reconnus par la collectivité pour porter la voie des « résidents » des univers virtuels au même titre qu'un syndicat dans la société civile ou un député représentant le « peuple » au parlement, voire même d'Ombudsmans , d'après Dan Hunter (professeur de droit du cyberespace).

Ce sont précisément ces ressorts politiques qui ont servi de base au gameplay du MMORPG A Tale in the Desert (ATID). Inspiré de l'Egypte antique, l'univers est gouverné par un Pharaon interprété par Andrew Tepper, le fondateur du studio de développement eGenesis à l'origine d'ATID. Basé sur un gameplay totalement pacifiste, ATID invite les joueurs à faire émerger une société idéale (l'Utopie du Pharaon) reposant sur les « Sept disciplines de l'homme » (diverses activités essentiellement artisanales, symbolisant les créations dont est capable la société égyptienne de l'antiquité).
Dans ce contexte de simulation sociétale, le MMOG intègre le statut politique de « demi pharaon » accessible aux joueurs ayant réussi à se faire élire par leurs pairs (les élections sont librement initiées par le Pharaon, environ une fois par mois). Ils tiennent une place importante dans la vie politique du jeu dans la mesure où ils disposent d'un véritable pouvoir de régulation de l'univers, intégrant notamment le droit de bannir des personnages du MMOG (durant son mandat, chaque demi pharaon peut bannir un maximum de sept personnages - et non joueurs). Néanmoins afin de lutter contre l'arbitraire et de s'assurer que les demi pharaons agissent dans l'intérêt du « peuple » (les autres résidents), ils peuvent être destitués par une loi, adoptée par le commun des joueurs.
ATID intègre en effet un mécanisme législatif ouvert à l'ensemble des joueurs ayant le statut de « citoyens » permettant d'adopter puis de faire appliquerles lois qui régiront les grands principes de l'univers (voire le processus législatif lui-même : outre la destitution des demi pharaons, des « lois organiques » peuvent modifier la procédure législative si les joueurs l'estiment nécessaire). Très démocratiquement, les citoyens peuvent enregistrer une pétition au sein de l'Université d'ATID et militer auprès des autres joueurs pour qu'il la signe. Dès lors que la pétition obtient une adhésion suffisante, elle est transmise à l'équipe de développement qui pourra en faire une proposition de loi. Soumise aux suffrages des joueurs, si la loi est adoptée (sous condition de quorum), les développeurs s'engagent à l'intégrer durablement dans les mécanismes du jeu. C'est ainsi que le 19mai 2004, les joueurs d'ATID ont adopté ont loi visant interdire le harcèlement sexuel dans le jeu. Tout contrevenant peut donc voir son avatar banni du jeu (le joueur est alors condamné à créer un nouveau personnage).
Même si ce mécanisme démocratique est parfaitement fonctionnel et est aujourd'hui partie intégrante du gameplay d'ATID, on pourra noter que le pharaon (Andrew Tepper), magnanime, a amnistié l'ensemble des condamnés lors du lancement d'ATID 2, puis d'ATID 3 afin d'assurer le meilleur lancement commercial possible à son MMORPG.

Cette volonté de confier la gestion de l'univers aux joueurs répond aussi aux convictions libertaires d'Andrew Tepper. En octobre 2004, eGenesis avait organisé une animation sur ATID au coeur de laquelle un personnage (le marchand Malaki) devait faire preuve d'une misogynie outrancière, refuser de commercer avec les avatars féminins et demander à traiter avec leur « maître » de sexe masculin. Cette animation a fait scandale et nombre de joueurs (et joueuses) avaient appelé au boycotte d'un MMORPG « assimilant la femme à une esclave ». Andrew Tepper avait défendu son animation en affirmant son attachement à la liberté d'expression et rappelant que les troubles au sein de l'univers virtuel pouvaient être réglés par la loi (même si la loi d'ATID s'applique aux joueurs et non à l'équipe d'animation du jeu).
L'exemple d'ATID illustre la portée politique du système législatif existant dans certains univers virtuels, mais aussi tous ses corollaires militants (un MMORPG peut être le vecteur de communication au sein duquel il convient de défendre la liberté d'expression, faisant par conséquent du monde virtuel un véritable média, nous y reviendrons), et surtout peut-être, la capacité de mobilisation des communautés virtuelles qui le font vivre (même hors du jeu).

MMORPG : entre conquête politique et média militant

Même quand le gameplay des MMORPG ne le prévoit pas explicitement, les joueurs peuvent parfois s'arroger une forme de contrôle sur « leur » univers ou contester le pouvoir absolu des développeurs.
A titre d'exemple, en juin 2004, d'après le JoongAng Daily, un millier de joueurs coréens du MMORPG Lineage II ont par exemple fondé la Online Consumers League, une association ayant pour objet de lutter contre le coût prohibitif de l'abonnement du jeu (d'un montant deux fois plus élevé en Corée qu'en occident et nombre d'autres pays asiatiques) mais surtout l'absence de mesures efficaces émanant de l'éditeur NCsoft pour endiguer la commercialisation d'objets virtuels.

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Plus récemment et sans doute plus pertinent, Blizzard Entertainment, le développeur du très populaire World of Warcraft (WoW) a dû faire face à la fronde des joueurs homosexuels de son MMORPG. Le 12 janvier 2006, Sara Andrews, joueur transsexuel de WOW, écopait d'un avertissement pour « Harcèlement - Orientation Sexuelle » après avoir publié une annonce de recrutement pour sa guilde « GLBT friendly » (ouverte aux Gays, Lesbiennes, Bi et Transsexuels) sur un canal de discussion public interne au jeu. Le contrat de licence de World of WarCraft qui s'impose aux joueurs sanctionne effectivement les comportements déplacés et les propos notamment « illégaux, injurieux, constitutif de harcèlement, diffamatoires, vulgaires, obscènes, haineux, explicitement sexuels ou racistes, etc. », incluant selon l'équipe de Blizzard, « à la fois les propos clairement affirmés ou sous-entendus, faisant référence à tout aspect de sa propre orientation sexuelle ou de celle d'autres joueurs ». En réponse à la demande d'explication de Sara Andrews, le game master auteur de la sanction explique son acte : « Merci de garder en tête que nous décidons souverainement et discrétionnairement des propos que nous acceptons ou non dans le jeu. Bien que certains propos puissent ne pas sembler agressifs de prime abord, ils peuvent engendrer certaines réponses d'autres joueurs et initier des discussions qui n'ont pas leur place dans notre jeu. Aussi, je crains de ne pas pouvoir annuler, réduire ou revenir sur notre précédente décision » signifiant l'avertissement pour harcèlement.

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