Pourquoi uniquement des univers fantastiques ?

Fort d'une expérience dans l'industrie du jeu en ligne de plus de 10 ans (on lui doit notamment quelques MUD sortis dès le début des années 90), Damion Schubert a travaillé pour moult studios de développement de MMORPG depuis Origin (Ultima Online) à Wolfpack (ShadowBane). Il contribue aujourd'hui au développement du MMORPG de BioWare, comme « Lead Combat designer ».

Dans le cadre de la GDC 2007, Damion Schubert (Bioware) organisait une table ronde en trois parties (et sur trois jours) intitulée « Exploring Next-Generation MMO Design ». Avec ses interlocuteurs (les développeurs de MMO intéressés par le sujet), Schubert a abordé quelques points clefs du développement des MMORPG à venir. En guise d'introduction, le premier jour, Damion Schubert s'est concentré sur une question simple : « pourquoi les univers de MMORPG s'inspirent-ils majoritairement de "l'heroic fantasy" ? »

Incontestablement, depuis plus de 10 ans, les plupart des MMORPG grand public exploite des univers inspirés des grands classiques du « fantastique » (Tolkien en tête). Et rien n'augure un changement puisque selon Schubert, le top 5 des MMO les plus attendus de 2007 plonge lui aussi les joueurs dans des mondes « fantasy »... bien que tous les joueurs disent aspirer à l'originalité.

Pourquoi toujours des univers fantastiques ?

Dans un premier temps, les panélistes se sont attachés à dessiner à grands traits les raisons de cette surreprésentation de thématiques fantastiques dans les univers de MMORPG. Damion Schubert dresse la liste des différentes causes avancées par les participants (tout en se gardant bien d'adhérer à chacune d'entre elle).

D'abord, selon les panélistes, la « fantasy » offre de nombreuses qualités intrinsèques. Outre qu'elle puise ses sources dans de très nombreux univers (les mythes et légendes antiques ou encore dans les religions et autres cultes) expliquant sa surreprésentation, la « fantasy » plonge l'utilisateur dans un contexte dépaysant et agréable (plus que le quotidien ou un monde post-apocalyptique ravagé, par exemple).
Par ailleurs et à ce titre, le fantastique est une thématique connu et familière pour la plupart des joueurs, ne nécessitant pas qu'on leur en explique les rouages, malgré une grande variété de contenu. Selon les panélistes, elle répond à l'histoire de l'humanité et des civilisations, faisant écho à une culture commune bien plus que l'espace interstellaire ou Alpha Centauri cher à la science-fiction par exemple... Et traditionnellement, là où la science-fiction repose sur des idées et concepts riches et parfois complexes (on peut se référer à Minority Report ou encore Blade Runner), les moteurs de la « fantasy » sont les personnages... tout comme les MMORPG dont l'objet consiste à faire progresser un avatar. Et que ce soit dans les codes traditionnels du fantastique ou du MMO, ce personnage a vocation à devenir un héros, doté de pouvoirs extraordinaires (même si dans les MMORPG, chaque joueur ou presque peut prétendre à ce statut, sensé rester l'apanage de quelques cas exceptionnels).

Ensuite et toujours selon les participants dont les propos sont rapportés par Schubert, le fantastique compte quelques atouts susceptibles d'attirer les développeurs de jeu en ligne.
Les MMORPG reposent largement sur les combats et affrontement (Damion Schubert aborde ce thème dans sa deuxième table ronde) et les grands principes du fantastique permettent une intégration facile de combats en équipe, au cours desquels tous les participants ont un rôle clairement défini à jouer. Ce constat conduit directement à un deuxième argument : « l'heroic fantasy » produit une multitude d'artefacts et autres objets magiques, utiles dans moult éléments de gameplay d'un MMO (que ce soit pour équiper des héros, faire travailler des artisans, attiser les convoitise des collectionneurs, etc.). Dans le même ordre d'idée, l'heroic fantasy s'accompagne (presque) nécessairement de magie, susceptibles de dépasser toutes les barrières traditionnelles de la fiction.

En un mot comme en cent, le fantastique octroie une liberté de conception quasi-illimitée aux développeurs de jeux.

Qu'est-ce qui cloche ?

Pour autant, malgré tous les avantages du fantastique, force est de constater une certaine redondance dans les titres de MMO et les joueurs aspirent manifestement aujourd'hui à plus d'originalité. Dans le cadre de cette table ronde, Damion Schubert s'est attaché à définir brièvement les raisons de cette attente. Quels sont les problèmes soulevés par l'exploitation de l'heroic fantasy dans les MMO ?

D'abord, les univers fantastiques n'ont plus grand-chose d'originaux dans le monde des MMORPG... Et selon les panélistes, proposer de nouveaux MMO de ce type ne manquera pas d'encourager des comparaisons avec les titres déjà existants (World of Warcraft en tête), face auxquels il est difficile de rivaliser. Le marché des MMORPG fantastique serait saturé.
Ensuite, selon certains intervenants ayant engendré de longs débats au sein de l'assistance, l'heroic fantasy ne fait pas forcément partie de la culture commune de tous les publics. Selon certains, cette thématique appartient à ce que l'on pourrait nommer la « culture geek ». Tuer des dragons, sauver des princesses ou conquérir des royaumes n'intéresse finalement qu'une infime minorité du grand public (au contraire de moultfictions telles qu'elles sont appréhendées au cinéma ou dans le cadre de séries télévisées).

Quelles alternatives ?

Au-delà des problèmes identifiés, Damion Schubert propose de conclure cette première journée de table ronde en identifiant les différentes alternatives à « l'heroic fantasy », s'offrant aux développeurs de MMORPG.

Sans s'interroger sur les liens (directs ?) avec « l'heroic fantasy », certains intervenants militent en faveur du développement de MMORPG inspirés de la licence Highlander (ayant fait l'objet d'un projet auquel Damion Schubert avait travaillé)... Motivant apparemment certains panélistes, la licence suppose néanmoins l'introduction d'un système de mort permanente, parfois impopulaire auprès des joueurs.
Le jeu de rôle « Deadlands » (Western horrifique) pourrait également être adapté en MMO (manifestement, certains y pensent déjà), même s'il ne s'adresse sans doute pas au grand public... de même que la licence « White Wolf » (en projet chez le développeur CCP). De même pour la série « Firefly » (également déjà en projet), que certains considèrent néanmoins trop axée sur des héros (les principaux personnages de la série) pour être adaptée efficacement en MMO.
Les panélistes considèrent finalement que les univers cyberpunk (inspirés du Neuromancer de William Gibson, par exemple) ou encore les mondes de certains "animes" asiatiques pourraient assurer un certain renouveau aux univers de MMORPG...

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