Despotisme éclairé des MMORPG

A ce titre, depuis 2003, The Sims Online est le théâtre d'élections visant à désigner le Président de Blazing Falls. Bien que n'octroyant aucun réel pouvoir de gestion sur l'univers (mais jouant « un rôle social important améliorant la qualité du jeu » selon Peter Ludlow, professeur de philosophie et de linguistique à l'Université du Michigan et « journaliste des mondes virtuels » pour l'Alphaville Herald[8]), cette simple simulation d'élection fut, en 2004, à l'origine de nombreux débats et discussions au sein de la communauté.
Le 10 avril 2004, les 7600 résidants de la capitale Alphaville (la plus importante des 10 villes du jeu) furent invités à élire leur président pour la deuxième fois de leur histoire en départageant les deux candidats encore en lice : Mr President d'une part (déjà élu aux plus hautes fonctions en 2003), l'avatar d'Arthur Baynes (21 ans) et Ashley Richardson, l'avatar de la jeune Laura McKnight (14 ans). Inspiré du système électoral américain, l'élection donna lieu à des primaires remportées par Ashley Richardson (face à trois autres candidats militant pour l'ouverture d'écoles virtuelles ou en faveur d'une réduction des effectifs de la police d'Alphaville). Durant le mois de mars 2004, les deux candidats s'affrontèrent dans le cadre d'une campagne[9] portant notamment sur des thèmes sécuritaires (comme la lutte contre les scammers, des joueurs assimilés à des escrocs cherchant à voler leurs pairs). S'appuyant sur le bilan de son premier mandat et malgré un programme militariste critiqué, Mr President fut réélu par 469 voix contre seulement 411 pour Ashley Richardson (bien qu'elle ait bénéficié du soutien deRachel Sauer, journaliste du bien réel Palm Beach Post, ayant encouragé ses lecteurs à voter pour la jeune « candidate » californienne).
Mais malgré une Federal Election Commission chargée de vérifier la régularité des votes, cette élection fut principalement remarquée pour les suspicions de fraudes électorales qui l'accompagnèrent (largement relayées par la presse de l'époque). Selon Ashley Richardson, qui contesta la régularité de l'élection, les votes de certains de ses partisans n'auraient pas été comptabilisés alors que Mr President avait chargé le controversé JC Soprano (connu dans Alphaville pour être le chef de la mafia - virtuelle - locale) de conseiller les joueurs ne parvenant pas à voter. De son côté, Mr President estimait qu'Ashley Richardson avait enfreint la Constitution d'Alphaville en encourageant ses connaissances à s'abonner au jeu le temps de l'élection pour soutenir sa candidature.

Bannière - MMORPG et politique

Saisi de la prétendue "fraude électorale", Maxis (l'éditeur de The Sims Online) a admis ne pas pouvoir contrôler précisément l'identité et le statut des votants, ni pouvoir empêcher les utilisateurs de développer leur programme politique en dehors des frontières (virtuelles) d'Alphaville.
En 2004, Peter Ludlow avait couvert cette élection pour l'Alphaville Herlad afin d'en commenter le déroulement. Au-delà des questions de gouvernance dans les mondes virtuels (qui peut légitimement revendiquer une forme d'autorité virtuelle sur les autres joueurs ?), la conclusion de Peter Ludlow tranchait sans doute toutes discussions : « Mr President a pleinement assumer son roleplay de politicien corrompu ». Dans The Sims Online, même si la « politique » pouvait prendre des proportions inattendues (débordant parfois sur la réalité), les enjeux restaient purement ludiques et s'inscrivaient uniquement dans un contexte de simulation roleplay (à dimension théâtral, voire dramatique). Malgré ce type de simulations de démocratie, l'éditeur conserve tous pouvoirs sur son univers et ce qui s'y déroule. Même simulés, lorsque les mécanismes démocratiques défaillent, les joueurs en appellent à l'éditeur censément impartial afin qu'il tranche souverainement les litiges du commun des joueurs.

Certains mondes virtuels ont néanmoins fait le pari de la délégation de pouvoirs politiques aux utilisateurs. Ces expériences (marginales) ont parfois été perçues comme des « laboratoires sociopolitiques virtuels » permettant l'étude des mécanismes sociaux de gouvernance communautaire et d'expérimenter de « nouvelles utopiques politiques[10] ».

Un despotisme éclairé

Certaines des expériences politiques les plus significatives furent lancées dès 1991 dans le cadre du MUD imaginé par Pavel Curtis, LambdaMOO, déjà cité. Au même titre que Richard Garriott dans Ultima Online, Pavel Curtis, créateur de l'univers et propriétaire du serveur sur lequel LambdaMOO était hébergé, apparaissait comme une véritable divinité ayant droit de vie ou de mort sur l'existence même de l'univers qu'il avait créé (il contrôlait le Code et pouvait à tout moment arrêter son serveur).
Mais appartenant à un courant militant pour la liberté du cyberespace (qui débouchera sur la « Déclaration d'Indépendance du Cyberespace » de John Perry Barlow en 1996), Pavel Curtis limita le pouvoir des Wizards de LambdaMOO à un despotisme éclairé. Les quelques Wizards (Pavel Curtis lui-même et quatre autres développeurs) avaient pour vocation de « gouverner l'univers virtuel, d'être attentif aux plaisirs de la communauté, d'écouter les requêtes, résoudre les conflits et punir ceux méritant de l'être[11] », c'est-à-dire d'user de pouvoirs régaliens au sens premier du terme. Ce choix apparaissait comme « naturel » en matière de gouvernance des univers virtuels persistants.

Mais peu à peu, face à l'ampleur du phénomène (LambdaMOO accueillait de plus en plus de « résidents »), Pavel Curtis et les autres Wizards remirent en question leur propre autorité, s'interrogèrent sur leur légitimité à gouverner les autres résidents de LambdaMOO et le fondement de leur « autorité dictatoriale». Les Wizards de LambdaMOO, les divinités du lieu, décidèrent donc unilatéralement de mener un coup d'état et de permettre au « potentiel utopique » de LambdaMOO de s'exprimer.

On l'a vu, avec le développement de communautés (virtuelles), des mécanismes politiques tendent à émerger. Avec le développement technologique, il apparaît que des systèmes politiques de plus en plus élaborés se sont mis en place, jusqu'à mener à l'émergence de réels systèmes démocratiques plus ou moins complexes, dans lesquels les « décisionnaires » sont élus par le « peuple » (les joueurs) pour définir le corpus normatif de l'univers. Les créateurs d'univers confient aux joueurs le soin de proposer et d'adopter les lois qui organiseront leurs relations.

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