Le combat dans les MMORPG

Fort d'une expérience dans l'industrie du jeu en ligne de plus de 10 ans (on lui doit notamment quelques MUD sortis dès le début des années 90), Damion Schubert a travaillé pour moult studios de développement de MMORPG depuis Origin (Ultima Online) à Wolfpack (ShadowBane). Il contribue aujourd'hui au développement du MMORPG de BioWare, comme « Lead Combat designer ».

Depuis les premières heures du jeu en ligne et jusqu'à aujourd'hui, une grande majorité des MMORPG repose sur des mécanismes d'affrontements (qu'ils soient entre joueurs - PvP - ou contre des monstres contrôlés par l'ordinateur - PvE). Et force est de constater que le gameplay de combat n'a que peu évolué depuis une dizaine d'années.
Face à ce constat (et fort de sa longue expérience dans l'industrie du jeu en ligne), lors de la GDC 07 et dans le cadre de sa deuxième table ronde traitant de l'avenir du game design des MMORPG, Damion Schubert animait une discussion sobrement intitulée « Why does combat sucks ? » (que l'on pourrait traduire par « Pourquoi le combat est si pourri », dans les MMO).
Selon Damion Schubert (et l'assistance qui intervient), le manque d'enthousiasme que suscitent les combats s'explique par leur surexploitation dans le gameplay des MMORPG actuels (la plupart des MMORPG tourne aujourd'hui exclusivement autour de mécanismes d'affrontement) et la trop grande facilité de ces combats, que ce soit en terme de challenge pour les joueurs ou de conception pour les développeurs.

Pourquoi tant de combats dans les MMORPG ?

La plupart des MMO contemporains repose à tout point de vue sur le combat. Les scénarios gouvernant les MMO reposent majoritairement sur des récits de conflits, les principales classes de personnages sont des classes combattantes, les activités annexes (comme l'artisanat) servent de support au combat (pour fabriquer des armures, épées et autres armes de sièges, avant de réparer des forteresses). Et on pourrait multiplier les exemples.
Selon Damion Schubert, plusieurs raisons peuvent justifier cet état de fait, tant les combats semblent adapter au gameplay d'un MMORPG.

Outre que les conflits sont faciles à modéliser dans le cadre d'un jeu vidéo et à décliner (PvE, PvP, raids, instances, etc.), ils sont faciles à comprendre et à mettre en œuvre par le joueur et offrent une gratification immédiate (ils font figure de défouloir pour le joueur et sont faciles à récompenser pour le développeur via un gain d'expérience, la découverte d'objets, etc.). Etant généralement très tactiques et basés sur les statistiques des personnages, les combats de MMORPG peuvent en outre rester très accessibles (à bas niveau) et ne pas nécessiter de compétences particulièrement ou au contraire offrir un certain challenge aux plus avertis (dans le cadre de raids par exemple). Car les combats sont aussi évolutifs : le modèle de combat de niveau 1 pourra être adapté au niveau 100 en augmentant simplement la puissance des adversaires ou le nombre d'intervenants.
Ils reposent par ailleurs sur l'interaction et l'interdépendance des rôles (le groupe parfait à besoin d'un tank, d'un mage, d'un soigneur, etc. pour parer à toutes les éventualités) et facilitent donc également la formation de groupes et le jeu en équipe. Chaque joueur se sent utile dans son rôle et le combat encourage des contacts entre joueurs... à la base du jeu « massivement multijoueur ».
Les combats de MMORPG ont également le mérite de ne pas nécessiter d'importants investissements techniques et matériels. Selon Damion Schubert, ils permettent notamment d'éviter les problèmes de lag, par exemple. Les combats sont en outre une activité facilement répétitive... particulièrement attractive chez les développeurs de MMO cherchant à assurer une longue durée de vie à leur programme (développer un unique système de combat pérenne pourra occuper des joueurs indéfiniment ou presque, là où développer sans cesse de nouvelles quêtes par exemple, représente un coût de développement sans commune mesure).
Enfin, selon certains panélistes, la surexploitation du combat dans les MMO s'explique aussi par le profil des développeurs eux-mêmes, composés très majoritairement d'hommes. Un MMO conçu par une équipe féminine exploiterait peut-être des concepts radicalement différents...

Des combats peu attractifs

Pour autant, malgré tout ces « avantages » (de forme), les combats dans les MMO ne se révèlent que peu attractifs... Damion Schubert identifie deux raisons principales : ils sont trop faciles et trop répétitifs.

Faisant sein l'adage voulant qu'à « vaincre sans péril, on triomphe sans gloire », Damion Schubert souligne que « les modèles de combat des MMORPG n'imposent aucunement aux joueurs de prendre des risques... les joueurs restent maître des défis qu'ils décident ou non de tenter de surmonter, et s'ennuient à mourir ». Le joueur réduit en effet considérablement le « risque » pour son personnage, ne serait-ce qu'en sélectionnant judicieusement les adversaires à attaquer, dont il connaît toujours précisément la puissance grâce à un code couleur (selon la puissance du monstre) très sécurisant.
Et le game designer poursuit : « les joueurs râlent quand ils n'ont pas un challenge à leur mesure... mais via le gameplay, nous [les développeurs] les forçons pourtant à jouer très précautionneusement. Peut-on réellement imaginer un Gear of WAR dans lequel il ne faudrait pas prendre de risques ? ». On peut se demander quand un développeur acceptera d'implanter un système de mort permanente dans ses MMO, susceptible de pimenter et donner du sens aux affrontements.

Pour aller plus loin, selon Schubert, les combats manquent aussi de diversité. Même s'il existe généralement des classes de combattants très diverses dotées d'un gameplay propre, tous les MMO exploitent le même modèle de groupe (combattant au corps à corps, mage à distance, soutenu par un soigneur).
En outre, des MMORPG reposant uniquement sur le combat engendrent également leur lot de difficultés quant au jeu à plusieurs. Le gameplay encourage à jouer avec des personnages d'un niveau similaire, pouvant limiter le jeu avec ses amis et condamne ceux progressant plus lentement à jouer seuls (à quelques exceptions près, comme City of Heroes par exemple)... Alors même qu'arriver à un certain niveau, les systèmes de combat imaginés pour les MMO interdisent souvent lejeu en solitaire (le « end game » est généralement prévu pour les groupes).

Et plus largement, certains panélistes souhaitent souligner l'idéologie mise en avant par ce type de jeu : « un environnement dans lequel la violence est toujours la première réponse est enclin à engendrer une culture agressive, voire asociale ».

Quelles alternatives ?

Sans forcément nier l'attrait d'un gameplay à base de combat (se taper dessus peut aussi être amusant et le moyen de se libérer d'une certaine agressivité sans conséquence), les intervenants se sont attachés à proposer des alternatives pacifistes pouvant inspirer les game designers de MMORPG.

A en croire Damion Schubert, la solution pourrait se trouver dans le goût des joueurs de MMO pour l'exploration. A ce titre, il salue le mécanisme PvE d'un World of Warcarft par exemple. Le jeu récompense l'exploration (chaque zone découverte rapporte quelques points d'expérience), mais aussi les quêtes qui invitent le joueur à voyager. Les premières quêtes sont accessibles rapidement, mais conduisent surtout le joueur dans les régions avoisinantes où il trouvera de nouvelles missions à réaliser, adaptées à son niveau et le guidant encore vers la suite de son périple. Selon Damion Schubert, le gameplay encourage ici à ne pas rester perpétuellement au même endroit pour tuer toujours les mêmes monstres et reproduire sans cesse les mêmes actions (même si le changement de décors ne signifie pas forcément un renouvellement du gameplay).
Mais pour aller plus loin, Damion Schubert invite aussi les participants à analyser les innovations popularisées ailleurs sur la planète, où le combat n'est pas l'unique coeur des MMORPG. En Corée par exemple (qui connaît néanmoins son lot de MMO à base de « hack and slash »), « on trouve des MMOG de danse, de golf et bien d'autres choses encore ». Pourquoi ne pas proposer ce type de gameplay alternatif dans les jeux en ligne distribués ailleurs dans le monde ?

Au-delà de ces quelques exemples, pour conclure son intervention Damion Schubert a souhaité interroger l'assistance sur les alternatives au combat, susceptibles d'être mises en oeuvre dans le gameplay des MMORPG à l'avenir. Pour les uns, l'économie peut être un support efficace, mais sans doute moins accessible que le combat. Le cybersexe, alors ? Tout autant répétitif. Ou peut-être des gameplay reposant sur l'enseignement ? Pourquoi pas, mais est-ce encore un jeu amusant ? Certains avancent l'idée d'un gameplay à base d'artisanat collectif et collaboratif ? Peut-être mais peut-on réellement y intégrer un enjeu tactique suffisamment attractif ? De même, un jeu permettant aux utilisateurs de créer et partager leur propre contenu semble enthousiasmer certains intervenants dans l'assistance. Selon Damion Schubert, la thématique mériterait une conférence à elle seule...

Le MMORPG est-il donc condamné à se développer autour de mécanismes d'affrontemententre les joueurs, voire à être inintéressant ? L'alternative au combat n'est-elle pas simplement le fait d'exploiter la carte de la « société virtuelle » (le « but du jeu » étant de faire vivre et évoluer une société collective de façon fiable) ?
Mais force est de constater que certains développeurs ont tenté cette alternative... avec plus ou moins de succès. La vraie question n'est-elle pas alors de savoir si les joueurs souhaitent réellement jouer à des MMORPG ne reposant pas sur les mécanismes (simples) d'affrontements ? Dès lors que les joueurs souhaitent effectivement combattre dans les MMORPG, sans doute faudrait-il alors plutôt réfléchir à de nouvelles formes de gameplay de combat plus novatrices, et non à des alternatives au combat lui-même.

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