De la conception d'Overwatch : du désespoir à l'espoir revendiqué

Overwatch est né des ruines du projet Titan, abandonné par Blizzard au grand désespoir de Jeff Kaplan. Et si Blizzard ne fait pas de politique, le shooter repose néanmoins sur des valeurs d'espérance qui ont servi de ligne directrice tout au long du développement. Jeff Kaplan l'explique.

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On le sait, Overwatch est né de l'échec du Project Titan, ce MMO abandonné en cours de développement par Blizzard (au grand désespoir de Jeff Kaplan, on l'évoquait, qui en faisait un « lamentable échec personnel »), alors même que le jeu devait être le digne successeur de World of Warcraft, après des années de conception et des millions de dollars de budgets investis. Overwatch a donc émergé sur des bases un brin neurasthéniques, mais pour finalement accoucher d'un projet se voulant résolument optimiste et empli d'espoir. C'est ce que racontait Jeff Kaplan dans le cadre du DICE Summit qui se tient actuellement à Las Vegas et dont Gamasutra rapporte les bons mots.

Construire sur les ruines de Titan

On en retient notamment que le projet Titan occupait 140 développeurs. Quand son développement a été abandonné en 2013, 80 de ces développeurs ont été réaffectés de façon permanente dans les équipes d'autres jeux de Blizzard, 20 ont rejoint les « projets à long terme » du studio (des équipes mobiles, venant renforcer celles de leur collègues pour des périodes de six mois à deux ans) et les 40 restant ont obtenu deux semaines pour « recycler » ce qui pouvait l'être de Titan afin de porter un nouveau projet. C'est durant ces deux semaines que les bases d'Overwatch a vu le jour.
Et si l'équipe de développement était très « désespérée » par l'échec de Titan et « très nerveuse quant à l'avenir », elle a néanmoins décidé d'axer ce nouveau projet, encore très hypothétique à l'époque, sur l'espoir et le renouveau.
Titan s'appuyait sur un monde inspiré de la Terre dans un futur proche. Le développeur a cherché l'inspiration dans d'autres jeux futuristes. Tous ou presque présentaient des univers apocalyptiques, sombres ou dévastés. Overwatch en prendra le contre-pied. Le développeur s'interroge sur ce que « serait un futur proche perçu de façon positive ». Pas un avenir simplement radieux, mais « un avenir pour lequel on serait prêt à se battre ». Tout le développement sera alors sous-tendu par cette « vision positive » de l'avenir.

Une vision positive

Au regard des commentaires des joueurs de World of Warcraft (qui a fait l'objet de plusieurs extensions très sombres), Jeff Kaplan arrive à la conclusion que les univers « oppressants suscitent une certaine lassitude chez les joueurs ». Les joueurs en quête d'un break après une journée de travail veulent se relaxer, se divertir. L'esthétique d'Overwatch sera donc inspirée de « décors de cartes postales » et d'un imaginaire de vacances.

Oasis
Dorado

« Notre objectif a alors été de rendre le jeu accueillant, de faire en sorte qu'il soit aussi "inclusif" que possible. Si vous voulez que les joueurs passent des heures dans un jeu, pourquoi ne pas faire de ce lieu un espace attractif ».

Sur la base de zones inspirées de la réalité, le développeur imagine donc des lieux « idéalisés ». La carte Oasis, par exemple, est inspirée de l'Iraq mais à l'heure où le pays est associé à des années de conflits armées, dans l'avenir d'Overwatch (« pour lequel on serait prêt à se battre », donc), c'est « l'une des zones du monde les plus avancées technologiquement ». Idem pour la carte Dorado, qui doit représenter une vision fantasmée du Mexique, un lieu de vacances de prédilection pour les Américains -- Jeff Kaplan explique que l'équipe de développement s'est inspirée de photos trouvées sur Google Image, après avoir recherché des illustrations de « villes mexicaines colorées » (pour découvrir a posteriori que la ville ayant principalement servi d'inspiration à la map était en fait Manarola, en Italie).

Une anecdote que le développeur raconte pour illustrer que « la fiction est toujours plus forte que la réalité » : les cartes d'Overwatch trouvent certes leur base dans la réalité de notre monde, mais ces représentations de l'Iraq, du Mexique, mais aussi de l'Allemagne ou de l'Ouest américain, du Népal ou de l'Afrique sont ensuite idéalisées, en fonction d'une image (juste ou fausse) que pouvait s'en faire une équipe de développement très cosmopolite, se nourrissant de cultures très diverses. Au point d'afficher des cartes parfois très caricaturales, mais attractives et accueillantes, qui s'inscrivent dans une vision positive du monde.

« Diversité » des personnages

Et l'approche est similaire dans la construction des archétypes de personnages jouables. Ils ont évidemment tous un gameplay et des mécaniques faisant écho aux différents styles de jeu des joueurs (de sorte que chaque joueurs puisse trouver un personnage avec lequel exceller selon son style personnel), mais aussi immédiatement identifiable en termes de caracter design pour que tous les profils de joueurs puissent s'identifier à un personnage.

Ana Amari
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Là encore, le développeur revendique une vision positive : « embrasser les différences de tous les citoyens du monde » était important pour l'équipe de développement. Selon Jeff Kaplan, la « diversité » est devenue « un sujet brûlant pendant le développement » puisqu'au jour d'aujourd'hui, tous les publics n'adhèrent pas forcément à ces valeurs. Mais le développeur a néanmoins gardé sa ligne directrice : « réaliser d'abord un jeu », mais aussi « en gardant un esprit d'ouverture » et « dans lequel tout le monde pourrait se sentir le bienvenu » et « finalement, la diversité est le très beau résultat naturel du choix d'un univers accueillant et ouvert ».
Certains des personnages sont donc de vrais stéréotypes (le cow boy McCree, par exemple), mais d'autres apparaissent comme des archétypes bien plus originaux dans un shooter (comme Ana Amari, vieille femme égyptienne ayant eu une carrière de tireur d'élite).
Jeff Kaplan se dit par ailleurs heureux de voir que le personnage de Tracer (personnage officiellement gay dans le lore du jeu) est devenu l'emblème d'Overwatch. Il n'y a aucune revendication dans ce choix, mais pour le développeur, « il est important que les choses normales soient juste normales : ce qui est important à propos de Tracer, c'est qu'elle est simplement une dure à cuire qui voyage dans le temps » et elle est acceptée comme telle par la communauté des joueurs et finalement son orientation sexuelle importe peu même si elle est actée.

Toujours selon Jeff Kaplan, les personnages d'Overwatch se sont progressivement émancipés de la tutelle de Blizzard, au fur et à mesure que les joueurs se les appropriaient, avec toutes leurs spécificités (on ne compte plus les fan-arts et autres détournements, même si Blizzard lutte contre les récupérations jugées trop « matures » de ses héroïnes emblématiques). Il poursuit : « nous n'avons pas de motivations politiques, mais il est fascinant de voir que la communauté se soit appropriée les valeurs de l'équipe d'Overwatch, dans sa dimension positive ».
Évidemment dans le contexte politique actuel aux États-Unis, revendiquer une certaine « ouverture d'esprit » n'est pas totalement neutre non plus. Jeff Kaplan souligne néanmoins que si présenter la réalité et sa morosité est évidemment important, « injecter une dose de fantaisie dans la vie » a été la ligne directrice du développement d'Overwatch malgré ses origines compliquées. Et selon lui, « il y a aussi de la place pour la positivité et la bienveillance dans l'industrie du jeu ». On imagine que les 25 millions de joueurs inscrits d'Overwatch tendent à lui donner raison.

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