Phénomène d'addiction dans les MMOG et MMORPG

par Aurélien Pfeffer aka Uther (février 2006)

 

 

Titre - Addiction aux MMORPGAu même titre que les "jeux vidéos" (pris dans leur globalité) qu'on accusait, il y a une dizaine d'années, d'accaparer les plus jeunes, les jeux en ligne massivement multijoueurs (ou MMORPG) sont régulièrement pointés du doigt pour leur caractère "addictif" et le phénomène de dépendance qu'ils engendrent sur les joueurs.

En décembre 2001, dans son essai "Virtual Worlds", Edward Castronova rendait compte d'études faites auprès des joueurs d'EverQuest (le MMORPG occidental le plus populaire de l'époque) indiquant que 12 000 d'entres eux considéraient le jeu comme "leur véritable demeure" et voyaient leur vie réelle uniquement comme un moyen d'entretenir leur vie virtuelle au sein de Norrath (le monde d'EverQuest). On dénombrait plusieurs milliers de joueurs considérant même que leur "existence virtuelle avait plus d'importance que leur vie réelle". Et face à ce constat, des associations de parents avaient tenté de faire reconnaître (en vain) la responsabilité des éditeurs de jeux en ligne devant les tribunaux suite aux suicides de joueurs accros.
Il en va de même en Asie. En 2002, la presse spécialisée s'était faite l'écho d'un fait divers au cours duquel un joueur coréen avait succombé d'épuisement, suite à une crise cardiaque, après une phase de jeu marathon de 86 heures interrompue. En septembre 2005, la "Korea Agency for Digital Opportunity and Promotion" (agence gouvernementale coréenne) soulignait que les cas d'addiction aux jeux en ligne étaient en progression régulière en Corée. La même agence comptabilisait 2243 cas d'addictions aux jeux en ligne en 2003. En 2004, le chiffre quadruplait pour passer à 8978 joueurs souffrant d'addiction aux jeux en ligne. Entre janvier et juillet 2005, 7649 cas supplémentaires étaient comptabilisés.
Après des faits divers tragiques (mort d'un nourrisson laissé seul par ses parents incapables de quitter leur partie de World of WarCraft), le même phénomène est constaté en Chine, qui inaugurait en 2005 les premières cliniques spécialement ouvertes pour accueillir les joueurs cyberdépendants.
Plus proche de nous, à ce jour, on compte deux joueurs français d'une vingtaine d'années internés en hopital psychatrique (placement d'office pour le premier, placement à la demande d'un tiers pour le second) à cause de leur dépendance aux jeux en ligne.

image - Addiction aux MMORPG
World of WarCraft

Même si ces cas s'avèrent extrêmement marginaux au regard du nombre total de joueurs de MMORPG à travers le monde (quelques dizaines de milliers de joueurs dépendants déclarés pour plusieurs millions de joueurs de MMOG), on ne peut nier la réalité de ce phénomène de dépendance et/ou d'addiction aux jeux en ligne (nous reviendrons sur ces notions).
On peut néanmoins s'interroger sur les causes de ce phénomène. Les MMOG sont-ils intrinsèquement addictifs et si oui, en quoi ? A l'inverse, existe-il un terreau favorable à l'addiction et les jeux en ligne s'adressent-ils spécifiquement à une population particulièrement sujette à la dépendance ?
Mais avant d'apporter les premiers éléments réponses, il conviendra de définir les notions de dépendance et d'addiction.

 

1. Les notions de dépendance et d'addiction

Les notions de "dépendance" et "d'addiction" ne sont évidemment pas spécifiques aux jeux en ligne, ni même aux nouvelles technologies de l'information (via la cyberaddiction, la dépendance à Internet). Les effets de dépendance (physique) aux psychotropes ou (psychologique) à certains comportements sont largement connus et étudiés par la médecine et la psychiatrie.
Très classiquement, on définit l'addiction comme le fait d'être dépendant d'une habitude (le terme addiction trouve son origine dans la langue anglaise* et renvoie, en français, à l'assuétude, du latin assuetudo, signifiant "habitude", voire "être esclave de..." et désigne médicalement la dépendance à une drogue). En psychologie, l'addiction se comprend comme un comportement compulsif et autodestructeur par lequel le sujet se révèle dépendant de l'objet de son addiction.
Ramené aux jeux en ligne, le joueur "addict" sera celui ne pouvant s'empêcher de se connecter à son MMOG (le comportement est dit compulsif quand il est motivé par "une force intérieure irrésistible, à laquelle le sujet ne peut résister sans angoisse"), tout en ayant conscience qu'il ne devrait pas céder à sa pulsion et en culpabilisant de jouer malgré tout. L'addiction traduit une dépendance à laquelle s'associe une perte de capacité d'autocontrôle.

* En anglais, "addiction" est un terme médiéval désignant la servitude où tombe un vassal incapable d'honorer ses dettes envers son suzerain.

 

1.1. Une perte de contrôle

En liminaire, on ne peut faire l'impasse sur le fait que le sujet dépendant trouve un plaisir certain dans l'objet de son addiction (faute de quoi il s'en désintéresserait rapidement). Traditionnellement, la psychologie (et notamment les théories freudiennes) tend à expliquer ce phénomène. Freud estime que l'addiction trouve sa source dans « une expérience de satisfaction des besoins du sujet », comblant « une grande détresse face à l'absence et au manque ». Marqué par le contentement né de cette expérience, le sujet cherchera à la reproduire jusqu'à ne plus pouvoir s'en passer. L'objet de l'addiction vise en premier lieu à procurer une satisfaction au sujet (s'évader d'une réalité difficile à supporter, par exemple).

Mais en psychologie, on rattache en outre le phénomène d'addiction à un comportement "autodestructeur" dans la mesure où elle est source de souffrance (ne pas pouvoir lutter contre la satisfaction que procure l'objet de l'addiction) pour celui qui la subit. A des degrés très divers, de nombreux joueurs ont sans doute déjà connu ce tiraillement entre "la raison" et "la passion". La "raison" poussant à "quitter" le jeu pour enfin se consacrer à diverses autres obligations autrement plus importantes, face à la "passion" du jeu poussant à "terminer son level" ou "vaincre un dernier monstre"...

 

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article publié le 25 février 2006
 
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