Phénomène d'addiction dans les MMOG et MMORPG

Un comportement autodestructeur

par Aurélien Pfeffer aka Uther (février 2006)

 

Mais bien que la médecine définisse aujourd'hui (relativement) clairement ce que recouvre l'addiction, pour certains ce phénomène s'avère difficile à classer : doit-on voir dans l'addiction une véritable maladie ou une simple "mauvaise habitude", comme l'étymologie du terme pourrait le laisser penser, à laquelle on ne peut résister par manque de volonté ?
Plus théoriquement, la question repose sur la distinction que l'on fait (ou non) entre les addictions physiques et les addictions purement psychologiques. L'addiction physique (c'est-à-dire lorsque le sujet est physiquement dépendant d'une substance – psychotrope, alcool, etc. - absorbée dans l'organisme) est aisément reconnue puisqu'elle peut être évaluée expérimentalement. La dépendance psychologique (dépendance au jeu, par exemple, mais aussi au sport, au travail, au sexe, alimentaire ou encore à la consommation compulsive et plus généralement à une pratique ou une situation sociale) soulève plus de questions. Ces addictions psychologiques ont longtemps été considérées comme de simples "habitudes envahissantes, socialement ou politiquement incorrectes".
Alors que l'addiction (principalement physique) est reconnue comme une pathologie à la fin du XVIIIe siècle (quand la médecine s'émancipe de la religion) notamment grâce aux travaux de Benjamin Rush (voir "An inquiry into the effects of ardent spirits upon the humain body and mind", en 1785), il faudra attendre 1945 pour que Otto Fenichel introduise la notion psychanalytique de "toxicomanie sans drogue" renvoyant aux addictions psychologiques (parmi lesquels on classe le jeu pathologique). Il sera ensuite relayé par Stanton Peele qui démontra en 1975, les équivalences entre l'addiction physique et l'addiction psychologique, puis surtout A. Goodman qui proposa en 1990, la définition contemporaine de l'addiction (dans "Addiction : Definition and Implication", British Journal of Addiction – 1990 ; 85-11). Plus généralement, on considère ainsi aujourd'hui que la dépendance (physique) à une ou plusieurs substances relève également d'une dépendance psychologique (en cas de sevrage, le sujet ressent une souffrance d'ordre psychologique).

banniere - Phénomène d'addiction aux MMORPG

Et quelle soit physique ou psychologique, la dépendance induite par l'addiction s'accompagne d'un phénomène d'accoutumance, voire de manque. La privation est douloureuse et est envisagée comme une angoisse (c'est-à-dire qu'elle engendre un malaise ou une anxiété, voire une angoisse de mort dans les pathologies les plus grave). Un joueur dépendant ne pouvant jouer subira une forme d'obsession ayant trait au jeu, ne pourra s'empêcher de penser au jeu et à ce qu'il rate en n'étant pas connecté (un événement important auprès de sa guilde, le meilleur moyen de progresser, etc.).
C'est-à-dire que l'addiction aux jeux en ligne ne se définit pas forcément par la durée que le joueur consacre au MMOG. Un gros joueur peut être parfaitement satisfait de son statut, l'assumer et ne pas souffrir de sa passion. En terme psychologique, l'addiction suppose de ne pas pouvoir contrôler sa passion et d'en souffrir.

 

1.2. Un comportement autodestructeur

Par ailleurs, certains associent les addictions aux conduites ordaliques (on pourra citer Marc Valleur, chef de service au centre médical Marmottan à Paris, ayant ouvert un service dédié aux "accros du jeu vidéo" en 2002 – voir notamment "Les addiction sans drogue et les conduites ordaliques" publié dans l'Information Psychiatrique - mai 2005 ; 81-423). Très caricaturalement, les conditions ordaliques font référence aux comportements à risque (justifiant notamment la classification des addictions parmi les pathologies autodestructrices).

Par définition, l'ordalie fait référence à une épreuve juridique du Moyen-Âge dite du "Jugement de Dieu" par laquelle un sujet prouvait sa bonne foi en réussissant une épreuve mettant sa vie en danger. S'il survie à l'épreuve, c'est qu'il bénéficie d'un soutien divin que ne peut contester la justice des hommes.

Image - Addiction aux MMORPG
Dark Age of Camelot
En psychologie, les conditions ordaliques renvoient à un comportement par lequel un individu se met volontairement en danger pour se sentir exister. D'après Marc Valleur, la condition ordalique suppose paradoxalement que le sujet ait la pleine maîtrise du risque qu'il s'impose à lui-même tout en acceptant de remettre le résultat au hasard ou à la chance. Les conditions ordaliques répondent alors à une forme d'addiction ouvertement risquée, "basées sur une recherche de sensations, de nouveautés et d'aventures". A titre d'exemple, on pourra considérer que les adeptes de "sports extrêmes" (parachutisme, saut à l'élastique, etc.) ou encore des "transgressions sociales" (infraction à la loi, mais aussi aux codes de son milieu social d'origine, par exemple) et plus largement des prises de risques actives, adoptent une conduite ordalique.

 

Face à ce tableau brossant à grands traits ce que recouvre la notion d'addiction et de dépendance, on peut se demander dans un premier temps si les MMORPG répondent en eux-mêmes à ses critères de définition. Et plus largement, les jeux en ligne constituent-ils intrinsèquement un objet d'addiction ?

 

2. Les MMOG sont-ils intrinsèquement addictifs ?

Même si l'affirmation est moins vraie maintenant, pendant longtemps, l'addiction fut un argument de vente pour les éditeurs de MMOG. Il y a encore quelques années, des accroches comme "le jeu le plus addictif du monde" ou "ne commencez jamais" (sous peine de ne plus pouvoir décrocher) étaient légion et vantaient les qualités addictives d'un monde virtuel. On se souvient même du célèbre slogan d'EverQuest précisant au joueur qu'il était maintenant prisonnier d'un autre monde (celui des développeurs du jeu).

 

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article publié le 25 février 2006
 
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