Editorial : Les développeurs manquent de tripes !

par Aurélien Pfeffer, aka Uther (septembre 2004)

 

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"Les développeurs de MMOG manquent de tripes !" L'affirmation pourrait sans doute sembler gratuite et passer inaperçue, si elle n'était signée par Richard Bartle le 23 septembre dernier. Et l'intérêt que l'on porte à la signature (et donc à l'affirmation) prend tout son sens et s'enorgueillit d'une certaine légitimité quand on rappelle que Richard Bartle est considéré avec Roy Trubshaw comme le créateur du premier MUD1, l'ancêtre de nos MMOG actuels, et est à l'origine du célèbre Bartle Test2.

Dès 1979, le principe du MUD de Richard Bartle (Adventure) consistait à mettre un serveur et un moteur de jeu à la disposition des joueurs. Libre à eux ensuite, de donner vie à ce monde et de le faire évoluer comme bon leur semble. Rapidement, les "résidents" de MUD ajoutèrent un contenu (zones, objets, etc.) dont la seule limite était l'imagination des intervenants afin de favoriser les interactions entre joueurs.
Tout comme les MUD, les MMOG ont vocation à regrouper des communautés de joueurs interagissant ensemble et avec l'univers. Mais d'après Richard Bartle, à l'inverse des MUD, les MMOG brident la créativité des joueurs.

 

Un manque de liberté dans les MMOG

Selon Richard Bartle, les MMOG actuels imposent des carcans extrêmement restrictifs, limitant considérablement le champ d'action des joueurs. Le gameplay de la plupart des MMOG limite le choix des joueurs à une classe ou un métier prédéfini, impose un processus d'évolution restreint (choix de compétences limitée, par exemple) sans pour autant offrir le moindre horizon de créativité. Les joueurs semblent condamnés à accepter le moule d'un archétype prédéterminé de personnage.
Pourquoi ne pas permettre aux utilisateurs de MMOG de créer eux-mêmes leur environnement, équipements voire même les profils de personnages qu'ils souhaitent réellement incarner dans l'univers numérique ? Pourquoi ne pas offrir une réelle liberté d'action aux joueurs et leur donner les moyens de leur créativité ?

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Les progrès technologiques depuis 1979 sont tels que l'apparition des graphismes dans les MMOG (par opposition au mode textuel des MUD) ne devrait pas constituer un obstacle infranchissable.
Certains projets comme NeverWinter Nights (qui regroupe une communauté de plus de deux millions de joueurs, répartis sur des centaines de serveurs) s'accompagnent d'éditeurs mettant la création de contenu graphique et technique à la portée de tous ou presque. Ils sont parfaitement à même de répondre à la créativité de la communauté... qui en quelques années à produit un contenu parfois bien supérieur à celui du développeur BioWare.

Selon Richard Bartle, si tous les grands MMOG actuels n'offrent pas ces mêmes possibilités, c'est principalement parce que "les développeurs manquent de tripes" et prennent peur à l'idée d'offrir trop de libertés à des joueurs susceptibles de changer la face du monde (virtuel).
Richard Bartle va plus loin en limitant pour "anarchie créatrice" dans les MMOG, devant permettre à chaque intervenant d'être réellement lui-même dans son univers virtuel utopique.

 

Mais les joueurs de MMOG cherchent-ils plus de liberté ?

Pour prendre le contre-pied de cette thèse, un monde aux contours clairement délimités permet d'assurer la cohérence de l'univers. Le développeur reste maître de sa création et éloigne le spectre de la folie créatrice des joueurs... pouvant improviser une rencontre entre Gandalf et Han Solo ou une chasse aux dragons à coup de missiles balistiques.
Les repères temporels ou la cohérence scénaristique sont autant d'éléments favorisant l'immersion des joueurs dans un monde artificiel et à ce titre, imposer leur respect semble légitime.

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De même, dans le cadre d'un MMOG, demande-t-on à un joueur d'être lui-même ? Ne peut-on se contenter de la fonction qu'il assure ? Imposer un carcan strict au joueur facilite le jeu de tous. Pour paraphraser Edward Castronova, un personnage estampillé par sa classe se verra facilement assigner un rôle précis et peu importe les états d'âme du joueur. Un clerc devra garantir la bonne santé du groupe à l'aide de ses sorts de soin et finalement, peu importe qu'il ait aussi une personnalité (© Sandy, in Melrose Place).

Les succès récents semblent confirmer cette tendance. Un MMOG comme City of Heroes, par exemple offre une richesse somme toute limitée (création d'un personnage dont l'unique vocation est de vaincre le "vilain"). On a cependant noté un engouement certain pour ce projet.
A l'inverse, des univers comme ceux de Dragons Empires (axé sur la gestion politique) ou Horizons (reconnu pour son approche de l'artisanat) n'ont pas survécu faute d'avoir trouvé leur public.

 

Peut-être faut-il en conclure que, dans un univers virtuel, la liberté et la créativité chères à Richard Bartle n'ont pas le même poids que l'amusement immédiat. Peut-être même que les MMOG ne sont pas les "sociétés virtuelles" qu'on nous présente, mais de simples "jeux vidéos" pour joueurs volages et rapidement infidèles à leur univers d'adoption ? Ou pas.

 

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  1. MUD : de l'historique et de la définition des MUD
  2. Bartle Test : Richard Bartle a proposé un test permettant de classer les joueurs de MMOG en quatre catégories regroupant les principales activités offertes dans un MMOG : les "killers" (intéressés par la rivalité entre joueurs), les "Achievers" (motivés par la collecte d'objets), les "Explorers" (cherchant à connaître les moindres recoins et secrets d'un jeu) et enfin les "socializers" (fréquentant les MMOG pour l'interactions, le contact et le phénomène de corporations qu'ils engendrent). Au-delà de cette classification, le Bartle Test a l'énorme intérêt d'être l'une des rares sources statistiques fiables en matière de MMOG puisque plus de 270 000 joueurs y ont officiellement répondu à ce jour.
    Le Bartle Test est disponible sur Internet, notamment à cette adresse.