La vente d'objets virtuels dans les MMOG/MMORPG #14

:: le Project Entropia


Rédigé par Uther, en janvier 2005
mis à jour en décembre 2005

 

illustration Le programme Project Entropia[54] propose cependant une alternative supplémentaire, sur laquelle est fondée le modèle économique de cet univers artificiel persistant, plongeant le joueur dans un monde futuriste et capitaliste.

A l'inverse des autres programmes permettant l'accès à un serveur persistant, la société MindArk (l'éditeur du Project Entropia) diffuse son programme gratuitement et n'exige le paiement d'aucun abonnement mensuel pour accéder à son univers. L'accès au jeu est totalement gratuit.
En revanche, la monnaie locale (les PED et PEC, ou respectivement "Project Entropia Dollars" et "Project Entropia Cents") dispose d'un taux de change officiel (10 PED pour un dollar américain) et l'utilisateur peut convertir son capital à tout moment dans l'univers artificiel à l'aide de terminals financiers ou d'une carte de crédit. Lorsqu'un "résidant" souhaite acquérir un objet virtuel (ayant une valeur en PED, aisément convertible en dollars américains), il lui suffit de le payer à l'aide de fonds virtuels, achetés avec des dollars réels, en totale conformité avec l'esprit du programme. De même, après avoir confectionné ou trouvé des objets virtuels dans le jeu, le joueur pourra les céder tout aussi légitimement contre des PED pouvant ensuite être convertis en dollars américains.
illustration A titre d'exemple, la presse s'est faite l'écho d'une transaction record. David Storey, un australien de 22 ans connu sous le pseudonyme "Deathifier" dans le jeu, a acheté une île virtuelle baptisée "Treasure Island" ("l'île aux Trésors") pour l'équivalent de 26 500 dollars américains bien réels (environ 19 600 euros) suite à une vente aux enchères. Loin d'être un acte irréfléchi, cet achat est un investissement destiné à être rentabilisé. Il apparaît qu'il est financé par un collectif d'investisseurs réunis par David Storey, qui projette d'exploiter commercialement cette île virtuelle et son contenu. Chaque joueur qui s'y installera sera assujetti aux taxations locales, l'exploitation et le produit des ressources (comme des mines d'or virtuelles) seront revendues et il semble déjà prévu de revendre des parcelles de l'île aux joueurs intéressés.
Fin octobre 2005, c'est une station spatiale que MindArk a mis en vente aux enchères et qui s'est arrachée en quelques jours la modique somme de 100 000 dollars américains (un million de PED). Elle aurait été achetée par Jon "Neverdie" Jacob, un ancien porte parole de l'éditeur.

Ainsi, non seulement, à l'inverse de Mythic ou Blizzard, MindArk autorise les échanges de "ses" objets virtuels contre de l'argent réel, mais encourage même cette pratique. MindArk fonde en effet son modèle économique sur de telles ventes : certaines zones sont mises en vente directement par l'éditeur, qui se réserve également le monopole de la commercialisation de divers objets spécifiques.

Les résidants les plus réguliers peuvent même demander une carte "gold" propre au Project Entropia, permettant d'effectuer des transactions en toute simplicité. L'utilisateur dispose en effet de l'équivalent d'un compte en banque virtuel au coeur du programme, relié à un compte en banque analogique. De telles transactions entre mondes artificiels et mondes analogiques sont quotidiennes (au même titre que les échanges de capitaux sur toutes les places financières de la planète, aujourd'hui totalement informatisés et purement virtuels, dans son sens premier).

Le programme repose donc sur la commercialisation de son contenu. Cependant, le contrat de licence (CLUF) du Project Entropia mérite qu'on s'y attarde. MindArk, l'éditeur suédois du programme ne reconnaît aucune forme de propriété à l'utilisateur, sur les objets qu'il peut vendre en toute légitimité.

Article 6. Possession [55]
illustration1. Le participant dépose des fonds et a le droit de retirer les fonds non dépensés à son avatar.
2. Les objets virtuels ont généralement des noms similaires ou identiques à leurs homologues physiques [...]. Malgré ces noms similaires, tous les objets virtuels sont parties intégrantes du Système et MindArk conserve tous les droits, titres et intérêts sur l'ensemble, incluant notamment les Avatars et Objets Virtuels.
3. Ces droits conservés incluent sans limitation, les brevets d'invention, copyright, droit des marques, transactions secrètes et autres droits de propriété sur le monde.
4. Par votre interaction avec le Système, vous pouvez acquérir, créer, concevoir ou modifier des Objets virtuels, mais vous acceptez n'obtenir aucun droit de propriété d'aucune sorte sur ces objets et en conséquence, octroyez à MindArk, tous vos droits, titres et intérêts sur chaque Objet virtuel.

On pourra noter dans un premier temps que le joueur semble disposer d'un droit d'usage sur les objets artificiels présents dans le Project Entropia. En aucun cas, il n'est autorisé à commercialiser son "compte d'utilisateur" (la vente ou l'achat de personnages émanant du jeu), ni même des devises. La commercialisation ne porte que sur la représentation numérique d'objets, auxquels on confère une certaine valeur numérique et analogique.
Par ailleurs, aucune forme de propriété intellectuelle n'est cédée à l'utilisateur. Il dispose d'un simple droit d'usage sur l'objet. Le joueur a la possibilité d'utiliser librement l'objet dans le jeu (comme dans la totalité des MMOG : un objet virtuel peut être utilisé pour lutter contre une créature, décomposé pour être utilisé par un artisan, etc.) et même vendu contre une monnaie virtuelle. L'originalité juridique du Project Entropia tient dans la convertibilité de la monnaie virtuelle (le PED) dans une devise analogique (le dollar). Le Project Entropia repousse la frontière qui existe entre le "monde virtuel" et le "monde réel" mais ne reconnaît pour autant aucun droit réel à l'utilisateur des objets virtuels.
Et ce choix est juridiquement compréhensible : l'utilisateur ne dispose toujours pas de la totale maîtrise de l'objet qu'il possède (une simple "possession de fait" et non un "droit de propriété intellectuelle" reconnu). Conformément aux théories de Lawrence Lessig[56], l'éditeur conserve une totale maîtrise du code informatique et des serveurs et à ce titre, est le seul à pouvoir revendiquer des droits pleins et entiers sur le contenu du programme. A défaut, dans l'hypothèse d'une fermeture définitive du jeu ou de faillite de MindArk (synonyme de perte des objets), le joueur pourrait juridiquement exiger réparation et restitution de son patrimoine perdu.
Evidemment, MindArk est très loin d'accepter une telle responsabilité juridique et s'arroge donc la pleine propriété de l'intégralité de son programme (objets inclus, même si leur utilisation peut être l'objet d'un commerce mené par des tiers). Et parallèlement, le joueur qui investit dans un objet virtuel va perdre les sommes engagées dans le jeu en cas de défaillance de l'éditeur... au même titre que le joueur qui paie chaque mois un abonnement et peut perdre l'usage du jeu, si l'éditeur cesse son activité (très logiquement, il ne dispose d'aucun droit à restitution des sommes jusqu'à présent versées).

 

page 15 : Méthode de commercialisation dans Second Life >>

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  1. Voir : <www.project-entropia.com>
  2. Traduction libre de l'article 6 du contrat de licence (CLUF) accepté par les utilisateurs du Project Entropia.
  3. Voir "Code and Other Laws of Cyberspace" Lawrence Lessig (1999).