La solitude dans un MMORPG

Quand la narration prend le pas sur le genre, le MMORPG condamne parfois le joueur à évoluer en solitaire pour narrer son histoire sans considération pour les autres joueurs.

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Ma petite histoire commence sur le MMORPG Star Wars The Old Republic, quand je rejoins -- plus ou moins régulièrement -- mes compagnons d'aventure pour voguer à travers un univers fameux. En tant que jedi consulaire, j'applique en terme de diplomatie les préceptes de mon maître Donald Trump pour apporter la paix sur des planètes perpétuellement en conflit. La méthode est aussi simpliste qu'efficace, j'utilise le pouvoir de la force pour tuer tous les avis divergents. Il ne reste au final que ma solution, quitte à laisser quelques planètes désertiques après mon passage. Le soldat me précise régulièrement que je ne respecte pas mon rôle, je réfléchis depuis à un moyen de le virer du groupe.

Je n'ai pas forcément tenu les comptes des planètes que nous avons explorées, mais j'ai conservé quelques souvenirs tels les vastes espaces glacés de Hoth, la majesté du sénat de Coruscant ou des néons représentant des danseuses légèrement vêtues de Nar Shaddaa. Je passe les quelques pérégrinations pour livrer des colis douteux pour le compte du contrebandier du groupe, les platitudes du chevalier jedi s'inscrivant dans son rôle de nunuche spatiale ou la mort de l'empereur pour avis divergent. Chaque histoire aura une fin plus ou moins classe, avant de passer aux extensions pour prolonger la durée de vie sur SWTOR.

Mais les extensions se révèlent être un tournant pour le MMORPG de Bioware, quand la narration prend de plus en plus de place. Et même s'il s'agit de l'une des qualités principales du jeu, le scénario n'en demeure qu'une dimension comme le montre les ajouts du housing, des batailles spatiales, des raids ou des arènes pour jouer à la balle ou s'entretuer. L'histoire à la touche Bioware avec ses trois choix dans les dialogues va toutefois se démarquer, de plus en plus maitrisée mais aussi condensée faute de moyens. On va ainsi oublier la multiplicité des scénarios pour se concentrer sur un seul, jusqu'au moment où les membres du groupe vont s'éclipser pour nous laisser vivre seul l'histoire. Alors certes il est toujours possible de rejoindre l'instance, mais au prix de l'absence de progression dans la quête.

L'expérience de la solitude

Ameween

Et alors que l'on était parti pour vivre à plusieurs une aventure dans une lointaine galaxie, on se retrouve finalement à passer le plus clair de sa soirée à jouer seul parmi son groupe. Loin d'être spécifique à ce MMORPG car je me retrouve régulièrement dans l'obligation de quitter mon groupe sur The Lord of the Rings Online, laissant le reste de mes compagnons s'endormir le temps que je trouve la sortie. Cette pratique est d'autant plus marquante qu'elle s'immisce dans SWTOR au fil des années et des extensions, à l'image de l'évolution du genre. Le point de non-retour sera la possibilité de créer un nouveau personnage pour poursuivre le scénario, me désincarnant du personnage qui m'a permis de vivre jusqu'alors bien des aventures. L'histoire devient plus importante que le personnage, me déracinant d'un monde persistant pour me plonger dans un livre.

Loin de moi l'idée de critiquer cet ouvrage, car il est fort intéressant à parcourir au fil des instances, pourtant de plus en plus insistantes à la défaveur d'un monde certes souvent sublime mais de moins en moins étendu. Le joueur se retrouve spectateur, sans possibilité d'écrire son histoire parsemée de rencontres dans un genre qui partait pourtant de ce postulat. La narration n'est pourtant pas incompatible avec le MMORPG, comme le prouve Guild Wars 2 à chaque épisode rendant cette histoire vivante même si plus ou moins intégrée au monde. Et si nombreux sont les joueurs à vouloir profiter seul d'un monde entourés par d'autres, basculer entièrement sur ce registre vide tout simplement le monde de sa substance, sa raison d'être... le fait d'accueillir tout le monde.

C'est quoi un MMORPG ?

Collines Gémissantes

Alors certes des mécaniques de MMO sont encore présentes, mais on se retrouve à rechercher d'autres joueurs uniquement quand on est intéressé ou par nécessité, consommant les interactions au même titre qu'une potion dans l'inventaire pour avoir un bonus supplémentaire. Est-ce la faute du jeu ou des joueurs ? La faute est probablement partagée. La question est bien celle de l'identité du genre MMORPG, dont les lettres sonneront de plus en plus faux si l'on ne prend pas garde. L'histoire doit rester un support pour le MMO, et non le remplacer pour devenir un RPG.

La narration peut être une vitrine pour un MMORPG, le fil rouge de l'histoire -- dont la possibilité de la vivre à plusieurs -- pour mieux conserver le lien avec le joueur tout en enrichissant son univers. Mais un contenu vite consommé ne retiendra son attention qu'un instant, ne laissant qu'un monde peuplé par des PNJ. Il sera donc essentiel de donner les outils pour tisser du lien et accrocher la dimension communautaire, indispensable pour s'inscrire dans la durée en vivant ses propres histoires.

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