Test de Vampire The Masquerade: Swansong - Un Descendant mal né

Après l'échec commercial de The Council, Big Bad Wolf a eu droit à une licence de poids pour son deuxième RPG narratif : Vampire The Masquarde, dont l'adaptation du studio français est sortie le 19 mai 2022 sur l'ensemble des plateformes.

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RPG

Big Bad Wolf définit son jeu comme un "RPG narratif" : prenons le temps d'expliquer en quoi cela consiste. Vampire The Masquerade - Swansong propose aux joueurs d'incarner trois personnages, tous trois membres de la Camarilla de Boston : Galeb, Emem et Leysha. Dans cet univers, la Camarilla est une organisation regroupant les vampires et veillant à ce que ceux-ci demeurent discrets, de crainte que les humains ne décident de les chasser. Or, c'est précisément ce qui s'est produit juste avant le début du jeu : les vampires ont été attaqués et ont subi de lourdes pertes.

Le destin de la Camarilla dépend des choix du joueur. C'est en cela que s'incarne la dimension jeu de rôle : il existe en jeu de nombreux choix, qui affectent l'évolution de l'intrigue et sa conclusion. Un grand nombre de personnages, y compris les trois principaux, peuvent vivre ou mourir, en fonction des choix effectués par le joueur. Précisons quand même que la narration est assez linéaire : il y a bien quelques changements en fonction des choix effectués, mais l'intrigue principale sera la même pour l'ensemble des joueurs, quels que soient leurs choix. Ces derniers affectent surtout la fin, mais celle-ci est rapidement expédiée : les conséquences des décisions du joueur sont au mieux très rapidement expédiées, au pire complètement passées sous silence.

Quoiqu'il en soit, ces nombreux choix font indéniablement de Vampire The Masquerade - Swansong un RPG. Cependant, il se distingue de la majorité des autres jeux de rôle par le fait qu'il ne contient aucun combat. En effet, il se limite à une phase d'infiltration - optionnelle, ratée et désagréable -, à une série de puzzles - réussis - et, surtout, à des "confrontations", des discussions dont le résultat dépend des options de dialogue choisies par le joueur.

Rentrons davantage dans le détail. Une confrontation est divisée en plusieurs étapes. Le joueur a le droit d'en perdre quelques-unes en cours de route (en général une ou deux), mais il doit à tout prix remporter la dernière. Pendant chaque étape, plusieurs options de dialogue sont proposées, certaines bonnes, d'autres mauvaises. Si certaines options ne coûtent rien, d'autres dépendent d'une compétence.

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Prenons un exemple concret. Dans l'image ci-dessus, quatre possibilités de dialogue sont proposées. Deux d'entre elles nécessitent l'utilisation d'une compétence. Dans ce cas, on compare le score de notre personnage à celui de l'adversaire : si le score est inférieur, la confrontation est automatiquement perdue. Si le score est équivalent ou supérieur, elle est... peut-être gagnée, car cela dépend d'un système de probabilités.

La table du dé 20

Ce hasard est un gros défaut du jeu. En effet, le hasard apporte rarement quelque chose de positif dans un jeu vidéo, mais c'est évidemment encore pire dans un jeu de rôle : bien souvent, les conséquences d'une action sont déterminées par un jet de dé plus que par une décision du joueur. C'est très frustrant, même si on apprend rapidement à contourner le problème : retourner au menu principal afin de relancer la confrontation. Ce n'est pas vraiment une sensation agréable, quoiqu'il en soit.

Surtout, ce système casse tout l'intérêt du système de compétences. En effet, ce système est assez profond. Tout d'abord, l'utilisation d'une compétence utilise de la Volonté, disponible en quantité limitée, mais se rechargeant entre chaque scène. Cela force à se montrer économe : bien souvent, il est préférable de ne pas effectuer une action, car les points de Volonté seront plus utiles plus tard.

De plus, il est possible de concentrer une compétence. Ainsi, chaque compétence a un niveau compris entre 0 et 5. Si le joueur possède la compétence au moins au niveau 1, il est possible de la "concentrer", afin d'augmenter son score d'un ou deux. Ainsi, en ayant une compétence de niveau 2, il est par exemple possible de monter jusqu'à 4 de manière temporaire. Cependant, l'utilisation de la compétence coûte alors sensiblement plus cher ; améliorer une compétence n'a alors plus pour but principal d'être plus fort, mais surtout de réduire son coût d'utilisation.

Tout ceci est intéressant sur le papier. Cependant, l'aléatoire supprime tout intérêt du système. En effet, il vaut mieux ne pas concentrer sa compétence, ou le moins possible, et espérer un jet de dé favorable, quitte à recommencer le dialogue jusqu'à ce que cela passe. De la même manière, les adversaires peuvent parfois concentrer leurs propres compétences, mais c'est une fois encore purement aléatoire : la meilleure façon de réagir est simplement de ne pas en tenir compte et de recommencer si ce type de problème survient.

Stronger

Globalement, tout le système de progression est vraiment raté. Les RPG offrent en général un sentiment de progression hyper satisfaisant : un personnage commence sans aucune aptitude et finit avec un arbre de compétences entièrement rempli. Dans Swansong, cela n'arrive jamais, pour trois raisons.

Premièrement, si l'utilisation de trois personnages est une excellente idée sur le plan narratif, elle entre ici en confrontation directe avec le système de jeu. En effet, Swansong est un jeu assez long ; il m'a fallu 33h pour atteindre sa fin, même si cela implique que j'ai recommencé certaines scènes plusieurs fois parce que je n'étais pas satisfait de mes choix. Cependant, ce temps de jeu - et l'expérience gagnée - est divisé en trois. En conséquence, on sent bien un sentiment de progression pour chaque personnage, mais c'est comme s'il manquait dix ou vingt heures de jeu pour en voir le bout. Ce manque est particulièrement visible pour les talents. Ces derniers découlent d'une idée intéressante : plus le joueur utilise une capacité, plus il obtient de bonus pour celles-ci. Regardons les talents obtenus par un de mes personnages, Galeb, en fin de partie :

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Sur les neuf talents disponibles, je n'ai atteint le premier pallier que pour quatre d'entre eux, dont deux ont dépassé le deuxième pallier. Toutefois, aucun n'a passé le dernier stade, ce qui découle d'un souci d'équilibrage assez peu compréhensible.

Deuxièmement, il y a de très nombreuses choses à monter. Outre les compétences, au nombre de huit, le joueur dispose également de trois attributs - affectant le pourcentage de chances de réussite en cas d'égalité et réduisant le coût de concentration - et trois disciplines, qui débloquent des actions contextuelles très puissantes utilisant une ressource différente, la Faim (on est un vampire, après tout !). Contrairement à la Volonté, la Faim ne se recharge - en principe - pas entre deux scènes. Pour la faire baisser, il est nécessaire de se nourrir en buvant le sang de quelqu'un. Tout ceci requiert énormément d'expérience. Je n'ai pas fait le calcul, mais pour tout débloquer, il faudrait probablement cinq à dix fois plus d'expérience que ce qui est obtenu en jeu.

Je vous entends cependant objecter : rien n'oblige à vouloir tout débloquer ! Un RPG, c'est faire des choix, ce qui signifie souvent de spécialiser. Cependant, dans les faits si, le jeu incite très fortement - à défaut d'imposer - à la diversification, par plusieurs procédés. Tout d'abord, le système de concentration évoqué plus tôt fait qu'il est tout à fait possible de monter son score ; en ayant toutes les compétences à trois, on peut atteindre le maximum partout en cas de besoin. En outre, l'intérêt de monter une compétence à son niveau maximum apporte peu de choses. Cela évite de devoir se concentrer, ce qui est appréciable, mais la compétence a quand même un coût incompressible. Il en est de même pour les attributs et les disciplines : c'est un peu mieux une fois au maximum, certaines améliorations de discipline sont indispensables, mais le joueur sera largement plus puni que récompensé s'il améliore une compétence au maximum plutôt que de se diversifier.

Cette sanction est d'autant plus marquée par le coût de plus en plus important d'une amélioration. Passer une compétence du niveau 0 au niveau 1 coûte 10 points ; la passer du niveau 4 au 5 en coûte 150. Pour vous donner une idée claire, 150, c'est aussi à peu près ce que rapporte une scène (baptisée "quête"), chaque personnage n'en ayant en tout et pour tout que sept (sans compter l'épilogue). En somme, s'il décide de monter une compétence ou un attribut à son maximum, en laissant tout le reste à zéro, un joueur peut monter ainsi trois ou quatre compétences au total. C'est absolument ridicule.

Explore, expand, exploit and extreminate

Résumons le point où nous en sommes : Vampire The Masquerade: Swansong est un RPG sans combat, reposant avant tout sur les choix offerts au joueur. Cependant, si les choix ont bel et bien un impact notable, ceux-ci affectent peu le déroulement de l'aventure. De même, les confrontations, cœur théorique du jeu, souffrent terriblement d'un aléatoire omniprésent et d'un système de progression complètement raté, par manque d'équilibrage. Tout ceci a l'air de la description d'un mauvais jeu, ce que Swansong n'est pourtant pas.

En effet, la narration, linéaire, est de qualité : les personnages sont bien écrits et leurs points de vue respectifs sont aisés à comprendre. Le jeu est construit sur des nuances de gris, ce qui est extrêmement appréciable. Surtout, toutes les scènes sont vraiment réussies.

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Chacune est unique. En début de partie, Leysha doit par exemple explorer une zone en utilisant plusieurs déguisements pour accéder à différentes zones, à la manière d'un Hitman. Dans une autre, Galeb doit fouiller un appartement de fond en comble. Emem, pendant ce temps, est perdue dans un monde mystique, à la recherche de ses souvenirs disparus... Contrairement à The Council, qui reposait sur un huis clos, Swansong fait en permanence explorer de nouveaux lieux et aborde chaque scène avec une approche spécifique. Le résultat est presque toujours très réussi.

Presque, car trois défauts ternissent quand même le tableau. Premièrement, l'utilisation des consommables est mal pensée. Dans The Council, il n'y en avait que de trois types, facilement trouvables et utilisables. Dans Swansong, ils sont plus rares... ce qui fait qu'on ne s'en sert jamais. Deuxièmement, The Council, une fois encore, proposait de trouver des pièces lors des phases d'exploration, apportant des bonus d'expérience ; c'était un gain agréable. Rien de tout cela ici, ce qui est dommage, surtout tant l'expérience manque, comme évoqué plus tôt. Enfin, et surtout, le jeu souffre de nombreux bugs, dont certains bloquants : j'ai par exemple dû recommencer intégralement une scène parce qu'un dialogue refusait de se lancer. C'est assez désagréable.

Un jeu retardé sera peut-être bon un jour

En somme, Vampire The Masquerade: Swansong a pour lui une approche vraiment intéressante du genre "RPG", une histoire ainsi que des personnages bien écrits et un certain nombre de scènes mémorables. Cependant, il souffre aussi de bugs et d'un manque global d'équilibrage, ce qui donne l'impression que le jeu est sorti trop tôt et que quelques mois de développement en plus auraient permis de parfaire la formule.

Surtout, et c'est incompréhensible, Swansong n'exploite pas du tout les qualités de son prédécesseur, The Council. En tout point, ce dernier était plus abouti : la progression était beaucoup mieux pensée, l'exploration mieux récompensée, les confrontations plus intéressantes. Je peine vraiment à comprendre pourquoi Big Bad Wolf a mis de côté ses bonnes idées de l'époque pour sortir un jeu moins bon quatre ans plus tard. Dommage : le résultat demeure satisfaisant, mais il aurait pu être sensiblement meilleur.

Test réalisé par Alandring sur PC à partir d'une version fournie par l'éditeur.

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