Test de Sea of Thieves - Le juste équilibre

Sorti le 20 mars 2018 sur Xbox One et PC Windows 10 dans le cadre du programme Xbox Play Anywhere, Sea of Thieves a de lourdes responsabilités sur ses épaules. Il doit marquer le retour au premier plan de Rare, prolonger la montée en puissance du Xbox Game Pass et occuper un catalogue Microsoft pauvre en exclusivité. Parvient-il à répondre à ces attentes ?

Publier un test après la majorité des sites spécialisés possède des avantages et des inconvénients. Sur le plan positif, cela permet de prendre son temps en jeu, ce qui n'est pas un luxe pour un jeu service ; l'impression après deux semaines de jeu n'est jamais la même que celle des premiers jours. De plus, cela permet de laisser aux développeurs le temps de déployer les premières mises à jour, essuyant les plâtres habituels des lancements. En contrepartie, il est difficile d'ignorer ce qui a été dit ailleurs. Or, si les premiers indicateurs semblent témoigner d'un succès commercial, Sea of Thieves s'est attiré les foudres de nombreux critiques, joueurs comme professionnels. Sur metacritic, il culmine ainsi à 69 de metascore et à 5.2 d'userscore, un résultat bien en-deça des ambitions de Microsoft. Pourtant, il est loin de mériter ces reproches, comme nous le montrerons.

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Pirates Battle Royale

J'avais déjà effectué un aperçu du jeu après sa bêta ; si vous ne l'avez pas encore lu, je vous recommande de le faire, ce test se concentrant sur les mécaniques avancées du jeu et les décisions de game design qui les expliquent.

Sea of Thieves est un jeu de son temps. Bien qu'en développement depuis des années, son principe fondamental se rapproche de celui des battle royale ainsi que de celui des jeux de survie multi-joueurs ; il propose en effet un stress permanent. Sea of Thieves n'est ni un jeu PvE ni un jeu PvP. Les affrontements entre joueurs sont assez rares, mais ils peuvent subvenir à tout moment. Tant que les coffres ne sont pas revendus à un avant-poste, ils peuvent être dérobés... même juste devant le marchand.

C'est sur ce principe qu'a été construit l'ensemble du jeu. Les quêtes sont assez basiques et se limitent à quatre types : trouver des coffres (au moyen de cartes précises ou d'énigmes), tuer des capitaines squelettes, livrer des marchandises ou conquérir un fort pirate. Certains joueurs ont critiqué ce nombre très restreint de possibilités, mais il faut bien comprendre qu'il ne s'agit que de prétextes : l'objectif est que les joueurs obtiennent des objets pouvant être vendus à un avant-poste et donc dérobés avant d'y être parvenu. Il est possible de vendre les coffres dès qu'ils ont été obtenus, mais cela signifie perdre du temps ; or, le temps, c'est de l'argent. Le jeu incite à conserver un maximum de loots et à tout vendre d'un coup, notamment parce que les missions avancées ont plusieurs étapes et proposent à chaque fois plusieurs récompenses. Cependant, plus un navire possède d'objets à son bord, plus la perte risque d'être douloureuse... et lucrative pour ceux qui en profiteront.

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Les serveurs de jeu ne contiennent que 16 joueurs par instance. C'est peu : cela correspond à peine à quatre galions. Néanmoins, l'équilibre est parfait : il est fréquent de voir au loin d'autres joueurs, mais leur présence n'est ni permanente ni oppressante. La majorité du jeu se passe sans voir personne d'autre, mais n'importe qui pourrait arriver à tout moment, ce qui est déterminant.

Prenons en exemple la conquête de forts. Il est nécessaire de tuer plusieurs vagues d'ennemis afin de faire apparaître - et de tuer - un capitaine. Celui-ci éliminé, une clef apparaît, ouvrant une salle aux trésors très bien remplie (rapportant environ 15 000 pièces au total). Le raid peut être effectué par un seul groupe de quatre joueurs, voire par deux joueurs bien coordonnés. Néanmoins, un crâne placé dans le ciel indique sa présence, incitant les joueurs de tout le serveur à s'y rendre. Or, si tous les joueurs se battent entre eux, la conquête n'avancera jamais. Pour la finir, le plus simple est donc de trouver un arrangement à l'amiable... sauf que rien ne force à s'y soumettre.

Prenons un cas concret. Un galion piloté par quatre joueurs combat les hordes de squelettes quand ils remarquent qu'un sloop - petit navire occupé par un ou deux joueurs - arrive. Ils pourraient le couler aisément, mais ce dernier risquerait de revenir. De plus, ce serait du temps perdu et d'autres joueurs pourraient en profiter pour débarquer. La meilleure solution est donc de trouver un accord avec les nouveaux arrivants et de finir le combat contre l'IA tous ensemble. Cependant, il n'est pas facile de communiquer avec un navire avançant rapidement vers soi, la majorité des joueurs ne comprenant pas les messages qu'il est possible d'envoyer en allumant et en éteignant les lampes du navire selon le code Morse. Il est donc délicat d'éviter que le combat ne débute avant que toute communication ne soit possible.

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Initier celle-ci ne garantit cependant en rien son succès. En effet, Sea of Thieves ne propose qu'une seule mécanique assurant la coopération entre les joueurs : la confiance mutuelle. Il existe de multiples moyens de trahir d'autres joueurs : dérober la clef au terme de la conquête du fort et ne revenir que bien plus tard pour ouvrir la salle forte, couler en douce le navire allié (notamment en posant un baril de poudre dessus pendant que ses occupants combattent des squelettes au sol), tuer les joueurs avant qu'ils n'aient revendu leur butin...

Sea of Thieves est un bon miroir de l'âme humaine. Il est possible de se comporter avec fourberie et il n'est jamais possible d'être certain que les autres joueurs n'envisagent pas de trahir. Néanmoins, cela renforce la satisfaction lorsqu'en dépit de ces limites un accord peut être trouvé.

Cosse mes tiques

Autre conséquence de ce jeu hybride PvE/PvP, la progression en jeu est très particulière. En effet, un joueur expérimenté n'a aucun avantage de statistiques par rapport à un novice. Effectuer des missions permet de progresser auprès de la faction concernée, débloquant des quêtes plus lucratives. Toutefois, l'argent n'a pas d'effet sur la force des joueurs : il est possible d'acheter de nouvelles armes, de nouvelles tenues et de nouvelles parties de navire, mais la différence est exclusivement cosmétique ; elle n'affecte aucune statistique. Une pelle en or déterre un coffre aussi rapidement que celle disponible dès le début : elle est seulement plus jolie.

Cette décision frustre certainement certains joueurs. En effet, la progression est un moyen simple de susciter l'addiction, incitant le joueur à passer de plus en plus de temps afin de devenir de plus en plus fort. En l'état, Sea of Thieves manque peut être d'une carotte : effectuer des contrats permet de progresser auprès de la faction concernée, débloquant de meilleurs contrats, permettant de progresser davantage, offrant des contrats encore meilleurs... tout cela pour quoi ? Personnaliser sa tenue et son navire, ce qui peut être très cher : chaque élément de personnalisation du bateau coûte 75 000 pièces et il en existe plusieurs variantes pour chaque catégorie. Gagner de l'argent permet donc d'être plus beau, mais cela peut sembler léger comme incitation à jouer.

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Pourtant, le choix est légitime en le prenant à l'envers. Si la progression apportait des bonus statistiques (plus de points de vie, de meilleures armes, etc.), cela rendrait la mort contre d'autres joueurs beaucoup plus frustrante : si je suis mort, ce n'est pas parce que je suis moins bon, mais parce qu'ils ont telle arme cheatée. Dans un jeu PvP, cela pourrait peut-être fonctionner, mais dans un jeu hybride comme Sea of Thieves, ce serait une très mauvaise idée. En effet, cela créerait un effet boule de neige : les joueurs les plus expérimentés dépouilleraient les plus faibles et deviendraient de plus en plus forts tandis que les autres ne pourraient pas progresser. De même, ce système atténue un peu la frustration de la perte de coffres : les crédits ayant peu d'utilité réelle, il est moins grave d'en perdre que s'ils étaient indispensables à la progression ou à l'achat de nouveaux objets utiles.

En outre, même s'ils n'ont aucun impact statistique, les cosmétiques n'ont pas pour autant aucun effet en jeu, tout au contraire. Une balade en mer avec un navire entièrement personnalisé et dans un uniforme acheté à un avant-poste est beaucoup plus calme qu'une autre avec le navire et les tenues de départ. En effet, les modifications de navire se voient de très loin et clament haut et fort que les joueurs dessus sont expérimentés. Cela pourrait ouvrir l'appétit de certains : des joueurs expérimentés ont accès à des quêtes avancées et peuvent donc avoir plus de butin dans leur cale. Néanmoins, en jeu, c'est plutôt le contraire qui se produit, les joueurs préférant viser des personnes ayant l'air plus faibles qu'eux... ce qui permet aussi de tendre des pièges.

 

Friends Ships

En soi, s'il fallait résumer Sea of Thieves, ce serait probablement par ce seul mot : amitié. S'il est possible - voire assez facile - de jouer avec des inconnus, ce n'est pas ainsi que le jeu est pensé. Sea of Thieves est avant tout un jeu coopératif, pensé pour offrir de bons souvenirs à des groupes d'amis. Les navires sont délicats à manœuvrer seuls - en particulier les galions - et demanderont donc une collaboration efficace entre les joueurs. De même, la tension liée au risque permanent de tout perdre décuple les émotions. S'il était exclusivement PvE, Sea of Thieves aurait du mal à retenir les joueurs plus d'une semaine. S'il était exclusivement PvP, il paraîtrait bien trop mou : couler un navire ennemi est difficile, surtout si ce dernier n'essaie pas de combattre, mais de fuir. En revanche, Rare semble vraiment avoir trouvé le bon équilibre et le jeu est très agréable pour son public.

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En ce sens, les diverses offres du jeu sont intéressantes. Membre du programme Xbox Play Anywhere, Sea of Thieves est aussi bien jouable sur PC que sur Xbox One. S'il est légèrement plus simple de communiquer sur PC que sur console, Rare a songé au problème en offrant un grand nombre de messages textuels, variant selon la situation, traduits dans toutes les langues du jeu et faciles à utiliser. De plus, le jeu semble aussi adapté à la manette qu'au duo clavier/souris, ce qui est une belle réussite. En outre, deux options différentes sont offertes pour se procurer le jeu : l'acheter à son tarif usuel (70€) ou s'abonner au Xbox Game Pass, qui coûte 9€ par mois et donne accès à un large choix de jeux. Cela permet d'essayer le jeu et de se forger son propre avis avant de passer à la caisse.

Coucher de soleil

Sur le plan technique, le jeu est une belle réussite. Quelques problèmes de serveur ont pénalisé les joueurs au lancement, mais la majorité d'entre eux ont disparu, bien qu'il arrive encore quelques fois d'être déconnecté, ce qui peut se révéler frustrant. Néanmoins, le jeu présente très peu de bugs pour un titre en monde ouvert et son ambiance est très réussie, tant sur le plan visuel que sonore. Concevoir le moteur est probablement ce qui a demandé le plus de ressources à Rare, mais le résultat est bluffant.

Certains choix desservent cependant l'image du jeu. Ainsi, beaucoup de joueurs reprochent au jeu son bestiaire très limité : des squelettes, des requins, des serpents et un kraken imparfaitement modélisé seront les seuls adversaires gérés par l'IA que vous rencontrerez. Néanmoins, les squelettes se déclinent en plusieurs versions, qui ne modifient pas uniquement leur apparence et leurs caractéristiques, mais aussi la manière de les combattre. Certains squelettes sont revêtus d'or et peuvent être affaiblis en leur lançant de l'eau dessus, ce qui les entrave en grande partie leurs mouvements. D'autres squelettes, en revanche, se soignent dans l'eau ou répondent à des mécaniques différentes, demandant par exemple d'être éclairés par une lanterne pour pouvoir être tués. Ces squelettes semblent en outre bien vivants, puisqu'ils peuvent consommer des bananes pour se soigner ou tenter de fuir si le combat leur est trop défavorable. Si au lieu de se contenter de squelettes, Rare avait choisi d'autres modèles - incluant des fantômes et des zombies, par exemple - les joueurs auraient peut-être été moins critiques.

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De même, la mer est riche en vie. Il est régulier de croiser des bancs de poissons, en particulier aux abords des îles. Ces dernières comptent également plusieurs types d'animaux, dont différentes variétés de poules et de cochons. Néanmoins, leur utilité est purement cosmétique : il n'est ainsi pas possible de pêcher des poissons et de les revendre, par exemple. Les poules et les cochons peuvent être capturés, mais il est nécessaire de posséder une cage pour cela et chaque cage ne peut contenir qu'un seul animal. Le braconnage est donc limité, ce qui peut décevoir.

En outre, alors qu'il est centré sur le multi-joueurs, Sea of Thieves oublie quelques options essentielles. Il est possible de lancer une partie avec un nombre déterminé de joueurs, en prenant un galion à seulement trois, par exemple. C'est très agréable et c'est un ajout utile qui était absent de la bêta. En revanche, si un ami désire vous rejoindre, il faudra quitter le lobby et commencer une nouvelle partie : si le groupe a été limité à trois au lancement de la partie, la limite ne peut être modifiée en jeu. Il n'est pas non plus possible de jouer à plus de quatre, ni de créer des guildes pour trouver facilement des groupes à rejoindre en jeu.

La note du test a été dérobée

Au final, Sea of Thieves est un excellent jeu, qui vaut largement son prix pour le public auquel le titre est destiné. Ce n'est ni une arnaque ni un accès anticipé déguisé, bien que certains points pourraient être améliorés et le seront certainement durant les prochains mois. En revanche, c'est clairement un titre qui ne doit pas être mis entre toutes les mains. Si vous cherchez un jeu entièrement PvE ou pleinement PvP, Sea of Thieves n'est absolument pas fait pour vous. En revanche, si vous avez un groupe d'amis et acceptez la tension inhérente au jeu, vous prendrez beaucoup de plaisir avec le dernier jeu de Rare.

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Test réalisé par Alandring à partir d'une version fournie par l'éditeur.

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