Publié par Aratorn
Tu ne peux légalement vendre qu'une chose qui t'appartient.
En fait, aussi peu intuitif que cela puisse être, la vente de la chose d'autrui n'est pas nulle en droit français. Elle est valable et elle n'est pas punissable pénalement. Par contre, le vendeur n'étant pas propriétaire, il ne peut transférer la propriété de la chose. Mais comme la vente est valable, l'acheteur peut alors agir en garantie contractuelle contre son vendeur qui ne lui a pas transféré la propriété de la chose vendue (car s'il ne l'a pas acquise entre temps, il n'a pu la transférer).
Bon, après c'est un peu plus complexe que ça. Car ce titre de vente émanant d'une personne qui n'est pas le propriétaire constitue néanmoins ce qu'on appelle un juste titre, et si l'acquéreur est de bonne foi, ce titre peut au moins lui procurer la possession (si on lui remet la détention de la chose), à défaut de la propriété. Cette possession le rendant alors immédiatement propriétaire s'il s'agit d'un meuble corporel, et propriétaire au bout d'un certain temps (long) s'il s'agit d'immeuble.
Mais passons.
S'agissant du débat sur la vente d'objets en jeu, la question est délicate car il n'existe à ce jour aucune loi ou décision de justice statuant expressément sur ce cas en droit français (sachant qu'en plus les problèmes se pose rarement en seul droit français, mais que vient en plus se rajouter par-dessus des problèmes de droit international privé pour le cas des français jouant sur les serveurs américains de Blizzard). Ca n'empêche qu'on puisse spéculer sur la décision probable.
Sur le terrain de la vente d'objets en jeu, la demande n'a pratiquement aucune chance de prospérer. Pas parce que le joueur ne peut pas vendre (ce n'est pas un problème de pouvoir), mais plus fondamentalement encore parce qu'il ne s'agit pas d'un bien patrimonial. Et la vente est alors nulle, non pour défaut de propriété du vendeur, mais pour défaut d'objet (ou absence de cause, selon qu'on se place du côté du vendeur ou de l'acquéreur).
Cela n'empêche pas qu'une autre voie pourrait être tentée. Passé un temps, un problème très proche s'était posé dans un autre domaine, mais les problèmes sous-jacent sont les mêmes. Un commerçant, c'est admis depuis longtemps, peut vendre son fonds de commerce. Par exemple, un fonds de commerce de librairie va contenir plusieurs choses : le bail du local de la librairie, les livres du stock, l'équipement du magasin, etc. Toutes ces choses ont une valeur limitée et peuvent être vendue individuellement. Mais le gros de la valeur du fonds de commerce, c'est sa clientèle, mesurée au chiffre d'affaires annuel que le libraire obtient. En achetant le fonds du commerce du libraire, l'acquéreur espère qu'il va pouvoir poursuivre l'activité avec un chiffre d'affaire similaire, ce qui explique qu'il paye un prix calculé par rapport à ce chiffre d'affaires, et que ce prix dépasse de beaucoup la somme de la valeur des choses qui compose le fonds (bail, stock, étalages, etc.). Cette différence de prix s'explique par le fait qu'il achète une clientèle (ou plus juridiquement qu'il achète une universalité de fait dont les éléments sont affectés à la constitution d'une clientèle).
Pourquoi je dis ça ? Parce qu'en matière civile, on a essayé de tenir le même raisonnement. Les médecins, par exemple, essayait de vendre leur clientèle civile de la même façon que les commerçants vendent leurs fonds de commerce. Mais les tribunaux déclaraient ces ventes nulles car les clientèles étaient hors du commerce, n'étaient pas des biens patrimoniaux, et ne pouvaient être vendues.
Quelle parade la pratique a alors trouvé ? On est alors changé l'opération, au lieu d'une vente, on a opté pour un louage d'ouvrage (un contrat d'entreprise). Plutôt que payer une clientèle, le nouveau payait un droit de présentation. Autrement dit, en face, le médecin partant ne vendait pas une chose qu'il ne pouvait vendre car hors du commerce, il s'engageait à une certaine activité : concrètement, à présenter le nouveau à ses clients existants pour la somme X. Evidemment, la somme X était calculée non sur le temps passé ou la difficulté de la tâche, mais sur le chiffre d'affaires, comme pour une vente. Et les tribunaux ont validé alors cette pratique des contrats sur droits de présentation (avant, très récemment, de valider les ventes de clientèles civiles avec un certain nombre de réserves).
Evidemment, les enjeux financiers ne sont pas les mêmes entre une épée dans Wow et une clientèle d'un gros cabinet médical, il y a une différence de l'ordre de 1 pour 1 000. Donc la chance de contentieux devant les tribunaux est très faible.
Je me pose la question néanmoins de ce qu'il adviendrait si un joueur très procédurier essayait ce fondement. Plutôt que vendre des objets dans le jeu contre de l'argent, chose impossible, contracter un louage d'ouvrage où la personne physique s'engage à un certain nombre d'actions (manipuler son avatar de façon à ce qu'il transfère tel objet à tel personnage dans le jeu X) contre rémunération.
Légalement, ça me semble licite. Reste alors un autre problème : l'interdiction contractuelle du CLUF (dont l'effet est d'interdire au joueur client un comportement licite, ce qui est possible) de ne pas avoir ce type de comportement. Mais le fondement de l'interdiction est alors moindre, non plus la loi, mais seulement le contrat. Or le contrat doit respecter les règles juridiques impératives. Certains petits malins pourraient essayer de faire annuler la clause qui les embête. C'est ce que BlackSnow avait essayé de faire contre Mythic pour DAoC en invoquant l'atteinte à la liberté du commerce (ce n'était pas le seul argument, mais celui-ci visait la licéité de la clause, les autres visaient le problème de la légalité de l'opération). Sauf que la société BlackSnow a coulé avant que le juge américain rende sa décision.
Bon, voilà en gros. J'espère que ça reste clair.
P. S. : en effet, comme dit au-dessus, le recel est le fait de détenir le produit d'une crime/délit (le plus souvent d'un vol). Cela ne saurait être le cas ici.