Les Contrats de licence d'Utilisateur Final (CLUF)

Le Contrat de Licence qui nous intéresse ici, organise au contraire les relations personnelles qui existent entre le joueur et l'exploitant du MMORPG. Comme le nom le laisse supposer, le Contrat de licence est d'abord un contrat, qui unit ensuite un éditeur et un utilisateur bien particulier dans une relation contractuelle.
Et c'est notamment cette relation particulière, dite « intuitu personae » (faisant référence à un individu précis), qui interdit le prêt ou la cession de compte de jeu. Le joueur qui contracte avec un éditeur s'engage personnellement auprès de l'éditeur (son cocontractant) et ne peut pas transférer son engagement à une tierce personne. Il ne peut pas imposer à l'éditeur un nouveau contractant (peut-être moins solvable). Juridiquement, un joueur ne peut donc pas confier son compte à un autre joueur.

Le CLUF est donc un contrat entre le joueur et l'éditeur. Mais quel type de contrat ? Si par principe, un « contrat a force de loi entre les parties » (les contractants s'obligent réciproquement à respecter ce qu'ils ont eux-mêmes convenu dans le contrat), le droit français compte moult types de contrats différents et tous ou presque affichent un régime juridique différent, imposant plus ou moins d'obligations ou de protections aux parties.
Et le Contrat de licence est un contrat ambigu. D'origine anglo-saxonne, il apparaît comme un contrat « sui generis », n'entrant dans ancune catégorie juridique prédéfinie du droit français et se limite à accorder aux joueurs, un simple droit d'usage du MMORPG. Pour définir les contours d'un CLUF, il conviendra donc de piocher dans les régimes d'autres types de contrats. Traditionnellement, un contrat négocié qui impose des obligations réciproques aux contractants (comme par exemple, fournir un accès à un serveur de jeu contre le paiement d'un abonnement) est dit synallagmatique. L'éditeur est tenu d'assurer sa prestation dès lors que le joueur s'acquitte de ses obligations - payer son abonnement mais aussi respecter les conditions d'utilisation du service, par exemple. C'est au regard de cette obligation contractuelle réciproque qu'un éditeur estime pouvoir suspendre le compte d'un joueur si ce dernier enfreint le fameux Contrat de licence (triche, vente d'objets ou de pièces d'or, etc.). Le joueur ne respecte pas le contrat, le contrat perd alors sa force obligatoire et l'éditeur suspend donc le service qu'il offre. C'est la base d'une relation contractuelle et les obligations semblent équilibrées entre les contractants.

Un éditeur juridiquement dominant ?

Mais si joueur et éditeur de MMO s'imposent des obligations réciproques, négocient-ils les termes du contrat qui les unit ? A l'évidence non et le droit doit le prendre en considération.
On l'a vu, le propre d'un contrat est de fixer sur le papier le fruit d'un accord entre les contractants (c'est cette rencontre d'accords qui définit juridiquement le contrat). Mais avec la Révolution industrielle, l'apparition de sociétés en situation de monopole puis l'émergence de la consommation de masse, les pratiques contractuelles imaginées par le Code Napoléon ont évolué. Compte tenu de positions de plus en plus dominantes, les grands groupes sont aujourd'hui en mesure d'imposer aisément leurs conditions et tarifs à leurs contractants, sans négociation et en niant les bases mêmes des relations contractuelles... Avec des contrats qui deviennent plus réglementaires que contractuels.
Le droit ayant pour objet de gommer les inégalités, depuis le début du XXe siècle, la doctrine puis la jurisprudence se sont attachées à gommer les conséquences possibles d'un abus de puissance. Avec le temps, de plus en plus de situations initialement purement contractuelles ont été requalifiées en contrat d'adhésion, un type de contrat auquel l'une des parties adhère aux conditions de l'autre, sans avoir la possibilité d'en négocier les termes.

Les éditeurs de MMORPG ne sont évidemment pas en situation de monopole : dès lors qu'un éditeur impose des pratiques que le joueur refuse d'accepter, ce dernier reste libre de s'essayer à un autre jeu et c'est heureux. Pour autant, aujourd'hui, la jurisprudence interprète largement la notion de contrat d'adhésion et y inclus bon nombre de « relations contractuelles déséquilibrées ». A notre connaissance, aucun juge français n'a encore été amené à se prononcer sur la qualification juridique d'un Contrat de licence de MMO. Mais avec un peu d'imagination, on appréhende néanmoins facilement la position dominante d'un éditeur (on fait par exemple régulièrement référence au « chantage émotionnel » que peut exercer un éditeur sur des joueurs investis de longue date dans un MMO : on n'abandonne pas aisément des compagnons d'armes, un personnage façonné après plusieurs années de jeu ou la direction d'une guilde, même suite à un changement de politique de l'éditeur).
Par principe, les « contrats du commerce électronique » sont structurellement des contrats d'adhésion. Le Contrat de licence que doit accepter un joueur pour accéder au serveur de jeu n'échappe pas à la règle. Il emprunte largement au contrat d'adhésion.
Quelles conséquences tirer de cette qualification ? Au-delà de la théorie juridique, la question est d'importance car en corollaire du contrat d'adhésion, le juge pose la notion de clauses abusives.

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