Passé, présent et avenir du MMO : vers une convergence de média

GordonWalton (directeur du studio MMO de BioWare Austin), Daniel James (CEO de Three Rings, développeur de jeux en ligne), RaphKoster (président d'Areae, game designer depuis les années 80), MarkJacobs (CEO du studio de développement de MMORPG, EA Mythic), MarkKern (président et CEO, Red 5 Studios, ayant fait ses armes chez Blizzard), RobPardo (Game Design, Blizzard Entertainment).

Le MMO est l'un des secteurs vidéo ludiques connaissant la plus grande évolution ces dernières années. A ce titre, la GDC 07 accueillait le 7 mars, une discussion intitulée « Passé, présent et avenir du MMO », dont l'objet consistait à décrypter l'état actuel du marché et l'hégémonie de World of Warcraft au regard des 25 dernières années du secteur, mâtinée de prospective sur les évolutions du MMORPG vues par les intervenants.

Selon les différents intervenants, World of Warcraft fait figure de tournant majeur dans l'industrie du jeu en ligne, ne serait-ce qu'en ayant exploser le marché et le nombre de joueurs (huit millions et demi d'adeptes recensés à ce jour)...
Mais au-delà du constat, les panélistes estiment aussi que le modèle de WoW est loin de représenter l'avenir du MMO, dont le salue se trouve dans la convergence avec les autres médias. Le MMO serait le chaînon manquant entre les médias traditionnels (la télévision) et les nouveaux espaces de communications (tels que MySpace)...

L'état actuel du marché des MMO

Dans un premier temps, les panélistes se sont attachés à dresser les grandes lignes des conséquences de l'hégémonie actuelle de World of Warcraft.
Selon Mark Jacobs (EA Mythics), le principal enseigner à tirer du succès du MMORPG de Blizzard est sans conteste que le marché du jeu en ligne est en perpétuelle expansion. Après, Ultima Online ou EverQuest, tous les observateurs considéraient déjà le marché saturé. Il en fut de même après Dark Age of Camelot ou encore City of Heroes. World of Warcraft illustre que le potentiel de progression du nombre de joueurs de MMOG n'a pas atteint ses limites et selon Mark Jacobs, que des MMO à venir détrôneront WOW, au même titre que les précédents « blockbusters » ont déjà été détrônés (pour autant, il n'affirme pas que le vainqueur de WOW sera Warhammer Online: Age of Reckoning, actuellement développé par son studio).

De même, World of Warcraft a démontré également que l'une des clefs du succès repose sur la qualité technique du jeu. Depuis WOW, un jeu se doit d'être accessible (même sur des configurations modestes), facile à prendre en main et immédiatement fonctionnel.

Raphael Koster (game designer de la première heure) abonde, mais souligne néanmoins que, selon lui, il ne faut pas considérer WOW comme l'arbre qui cache la forêt des MMO. Les joueurs se comptent par millions aux Etats-Unis et en Europe et de nombreux projets, autres que WOW, existent. Et pour aller plus loin, selon Koster, certains développeurs (généralement de grands groupes médiatiques soutenus par de gros investisseurs, appâtés par le souhait de capter les huit millions d'utilisateurs du MMORPG de Blizzard) ne devraient pas chercher à concurrencer frontalement World of Warcraft, ou vouloir devenir plus gros que le leader actuel des MMORPG. Selon lui, il convient au contraire de diversifier l'offre et de se distinguer du « blockbuster » pour (espérer) exister.

A l'inverse, Rob Pardo (Blizzard) expose une approche sensiblement différente. Selon lui, WOW a démontré que les MMORPG pouvaient (et devaient) revendiquer leur statut de jeu vidéo, ludiques et amusants, et même s'inspirer des autres genres de jeux vidéo.
De même, selon Rob Pardo, il est primordial que les développeurs restent « connectés » aux attentes des joueurs, sur la durée. Si les jeux solos peuvent être assimilés à des films de cinéma (on les réalise et on « livre » au public qui s'en saisit), les MMO doivent être envisagés comme des séries télévisées, qu'il convient de faire vivre plusieurs saisons (au même titre qu'un Ultima Online qui entre dans sa dixième année d'exploitation) et d'adapter aux attentes des téléspectateurs (et des joueurs). Et les développeurs doivent rester des joueurs... De la même façon que l'on remarque rapidement quand les auteurs de séries perdent de vue les attentes des spectateurs (conduisant généralement à l'arrêt d'une série), perdre de vue les attentes des joueurs est souvent synonyme d'échec pour un MMORPG. Pour Rob Pardo, les développeurs se doivent de rester des joueurs.

Prospective : l'avenir du MMO

Face à ce constat, le modérateur de cette table ronde invite les intervenants à s'exprimer sur l'avenir du MMO et demande trois prédictions à chacun sur les principales évolutions possibles du secteur.

Selon Raphael Koster, les années à venir seront d'abord marquées par l'explosion du nombre de MMORPG disponibles en occident, comme c'est déjà le cas en Asie. Selon le développeur, les moteurs outils de conception se démocratisent (comme le moteur DarkStar, open source, et fiable).
Ensuite, il estime que l'industrie du film et de la télévision sera le principal créateur de mondes virtuels dans un avenir proche. Il poursuit : « l'éditeur de mondes virtuels le plus actif ces six derniers mois est Viacom [propriétaire de MTV, notamment] ; je crois sincèrement que quiconque ici n'a pas remarqué l'orientation prise par les grands médias est passé largement à côté d'un élément majeur ».
Enfin, Raphael Koster considère que les « mondes virtuels non ludiques » (comme Second Life, par exemple, présenté comme un « metaverse » et non un jeu en ligne) se tailleront une part importante de l'avenir du marché du MMO. Second Life fait des émules, que ce soit sur PC (Kaneva, HidiHi, etc.) ou sur consoles (comme le « Home » de la PS3) et se révèlent attractifs tant pour les joueurs que pour les éditeurs notamment du fait de son modèle économique, reléguant celui d'un World of Warcraft au rang d'antiquité, selon Koster.

De son côté, Rob Pardo ne partage pas cette vision d'un jeu en ligne dirigé par les grands médias. Selon lui, l'avenir repose au contraire sur une industrie du jeu réellement ludique et capable de capter l'attention des grands médias... Si tant est que les MMO ne sont pas déjà des médias à part entière.
Rob Pardo prédit par ailleurs un avenir pessimiste à l'ensemble des investisseurs qui se lanceront dans les MMOG dans l'unique but de collecter un abonnement mensuel (et plus particulièrement aux studios qui préparaient des jeux solos mués en MMORPG dans une perspective de rentabilité rapide). Enfin, Rob Pardo estime que l'avenir du MMO est localisé. Des titres émergeront spécifiquement pour le marché européen (qui compte plus d'un million et demi de joueurs en ligne, pourtant systématiquement assimilés aux joueurs américains). Pour Mark Jacobs, la réussite de World of Warcraft tant en occident qu'en Asie fait figure d'exception. .

Pour Mark Jacobs, l'avenir passera par la multiplication des genres (si ce n'est déjà le cas). Les jeux de rôles seront rapidement rejoints par les jeux de tir (FPS) ou encore les jeux de stratégie... Daniel James (Three Rings) le rejoint et en veut pour preuve le marché asiatique où les jeux en ligne sont légion et délaissent volontiers le modèle classique du jeu de rôle.
Et dans les grandes lignes, Mark Kern les rejoint. La définition des MMORPG évolue et les univers persistants se multiplient sous une forme ou une autre (comme le XBox Live de la console de Microsoft ou le « Home » de Sony), tout comme les modèles de distribution en ligne (et non sous forme de boites). En Asie, les jeux ne se vendent pas en boites. Et selon Mark Kern, dès lors que la distribution est dématérialisée via des supports dédiés, il devient extrêmement compliqué de distinguer ce qui relève de la définition du MMORPG et ce qui doit en être exclu. Et rejoignant Raphael Koster, Mark Kern considère qu'une évolution de la distribution permettra aussi l'ouverture du marché à des acteurs plus modestes (fédérer une communauté de joueurs ne nécessite plus aujourd'hui des moyens considérables, là où la création de contenu reste relativement plus onéreuse). Ce constat le conduit à sa troisième prédiction traitant de la convergence des espaces virtuels et des réseaux sociaux (conduisant à un MySpace mâtiné de MMO). Selon lui, d'ici cinq ans, un espace social dépourvu de son monde virtuel fera figure de dinosaure.
Et rebondissant sur les propos de Mark Jacobs, Gordon Walton va plus loin encore : selon lui, cette convergence des médias et des espaces ludiques conduira à l'émergence de gigantesques MMOG atteignant, d'ici sept ans, une taille similaire à celle de MySpace par exemple (qui compte déjà à ce jour 106 millions de comptes enregistrés). Peut-être sur le modèle d'un Habbo Hotel, déjà fort de 50 millions d'utilisateurs à travers le monde.

Pour conclure ce tour de table, Daniel James ne pense pas que les médias pourront s'accaparer l'industrie du jeu en ligne. Il imagine plus volontiers que les MMO (et leurs équivalents) détruiront la télévision pour s'approprier un modèle économique reposant sur la publicité (selon le CEO de Three Rings, les annonceurs préféreront utiliser les mondes virtuels et espaces sociaux que les médias traditionnels pour diffuser de la publicité). Mais selon Daniel James, les MMO devront aussi savoir s'adapter aux évolutions des législations les gouvernant. Leur développement n'échappera pas longtemps aux pouvoirs publics...

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