MMORPG et propagande

En août de la même année, le studio chinois PowerNet Technology annonçait en collaboration avec la « China Communist Youth League » (CCYL, la Ligue des Jeunesses Communistes Chinoises) le développement de Anti-Japan War Online, un MMORPG patriotique chinois. D'après Liu Junfeng, le directeur du projet, Anti-Japan War Online « permet aux joueurs, et plus spécialement les jeunes chinois, d'apprendre leur histoire. Ils ressentiront un sentiment patriotique en combattant les envahisseurs pour protéger leur mère patrie ». Anti-Japan War Online repose en effet sur la réalité historique de la Chine et notamment les guerres successives qui l'opposèrent au Japon (depuis la guerre sino-japonaise de 1894-1895 jusqu'en 1945 et la fin de la Seconde guerre mondiale). Au-delà de son caractère historique, ce MMORPG destiné au marché chinois, impose son camp aux joueurs qui ne peuvent incarner que « des paysans, des travailleurs ou des étudiants chinois » luttant au sein des forces communistes contre les soldats nippons (contrôlés par l'ordinateur). Cette annonce que l'on pouvait considérer comme une provocation en août 2005 semble se concrétiser puisqu'une démonstration de Anti-Japan War Online était présentée au public fin juillet 2006 lors de la quatrième édition du ChinaJoy, le salon annuel du jeu vidéo de Shangai. On pouvait y voir une cinématique du jeu au cours de la laquelle un jeune paysan chinois fuyait les troupes nippones dans des rizières, avant de leur faire face armé d'un fusil et de tirer un balle entre les deux yeux d'un officier japonais, s'écroulant devant le drapeau chinois.

Bannière - MMORPG et politique

S'inscrivant dans le cadre des relations tendues entre le Japon et la Chine, cette annonce de l'été 2005 faisait vraisemblablement suite aux manifestations chinoises d'avril 2005, protestant contre les manuels scolaires destinés aux jeunes élèves japonais. Avalisés par le gouvernement nippon, les manuels d'histoire japonais minimisaient sur les exactions de l'armée japonaise en Chine dans le cadre de la seconde guerre sino-japonaise du 13 décembre 1937, réduisaient les 300 000 morts du massacre de Nankin à un simple « incident ». Si l'éducation nationale permet parfois de « réécrire l'histoire » d'une nation, on peut sans doute considérer le média « MMOG » comme un véritable outil de propagande patriotique.

En juin 2006, les pouvoirs publics chinois ont lancé « un programme à destination des développeurs et concepteurs de jeux en ligne talentueux » (relayé par China.org). L'objectif revendiqué visait à encourager une production nationale susceptible de concurrencer les MMOG originaires des Etats-Unis, du Japon et de Corée. Et au-delà des considérations économiques, l'enjeu est principalement culturel. Les jeux véhiculent des valeurs qui « influencent la jeunesse chinoise ». D'après Shen Jiangying, éditorialiste de l'hebdomadaire China Netizen Newsle, legouvernement chinois veut « produire des jeux sains, reflétant la culture traditionnelle et la civilisation moderne [chinoise] pour les jeunes » et ainsi répondre à la multiplication des jeux importés « violents et pornographiques ».

 

Bien loin du marché de niche qui leur était dévolu à leur début, les MMOG sont aujourd'hui un produit de masse (les plus populaires sont plus peuplés que nombre d'Etats réels). Au regard de leur forme comme de l'audience qu'ils revendiquent, on tend à les considérer comme de véritables médias dont chaque utilisateur est simultanément spectateur et acteur de premier plan (à l'inverse des médias traditionnels - comme la télévision ou la radio - ne s'adressant qu'à des spectateurs passifs ou à Internet fait de multiples émetteurs et récepteurs observateurs, les mondes virtuels permettent à tous de « vivre » l'événement en direct et de le partager).
S'adressant à un public vaste et clairement identifié, les MMOG s'inscrivent aujourd'hui dans un contexte socioculturel fort, en faisant d'ores et déjà des vecteurs idéologiques efficaces, voire susceptible de trouver une place modeste, mais sans doute réelle, dans la théorie du « Soft power[18]», plaçant notamment le rayonnement culturel et idéologique au coeur des nouvelles formes de pouvoir (par opposition au « hard power » regroupant le pouvoir contraignant d'un Etat – pouvoir militaire ou économique) dont disposent les Etat dans la vie politique internationale contemporaine.

A l'heure où les MMOG sont encore considérés comme de simples jeux malgré la multiplication des « serious games », sans doute peut-on s'interroger sur les usages à venir des mondes virtuels ou sur le tracé de la frontière séparant le réel du virtuel (notamment en matière politique)... et accessoirement, se demander quelle place les joueurs pourront y occuper : « spectateurs passifs » de cette conquête des mondes virtuels par les pouvoirs politiques ou au contraire « acteur militant » (citoyens ?) de leurs univers.

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