Test de Lost Sphear, ou quand un RPG perd la boule

Second bébé du studio Tokyo RPG Factory, ce jeu aura-t-il réussi là où son grand frère I am Setsuna avait échoué : faire s'enthousiasmer les foules ?

Lost Sphear - Title Screen

Le studio Tokyo RPG Factory n’existe que pour un seul et unique but : il cherche à retrouver la recette du bon JRPG d'antan qui faisait vendre des cartouches de jeux par camions entiers, dans les années 90. Ils essayent, encore et encore, de trouver la bonne formule : leur premier jeu, I Am Setsuna, avait cependant déçu. Jugé trop monotone, trop timide et au final trop pastiche de ses illustres aînés Final Fantasy (IV et V notamment) ou même de Chrono Trigger, ce titre n’avait vraiment pas su motiver des foules pourtant en demande d’un retour aux sources. Lost Sphear est donc le deuxième essai de Tokyo RPG Factory : ont-ils réussi à retrouver les recettes perdues depuis si longtemps ou à composer un titre original à la saveur familière avec les outils à disposition ?

Soyons clair : les attentes sont grandes, donc la critique est rude et il faut dire qu’être jugé à l’aune de titres mythiques ne rend pas la chose facile. Il serait bon de voir ce que pense du jeu, justement, un joueur n’y ayant jamais touché. C’est dur à trouver, mais un gamin n’ayant jamais touché à un vrai Final Fantasy pourrait peut-être se montrer un peu plus impartial ou indulgent que la vieille garde que nous incarnons, qui a grandi avec ces titres et qui commence à se lasser des vaines tentatives des plus gros studios de développement de revenir à ces sources sans jamais ne serait-ce qu’effleurer la cheville de leurs prédécesseurs.

La Terre est ronde et nuageuse

Lost Sphear - Map

Une terrible calamité aux origines méconnues menace l’humanité toute entière puisque des parties du monde, des objets, mais aussi des êtres vivants disparaissent sans crier gare et sont remplacés par une matière blanche duveteuse. Seul Kanata, le héros comme de coutume orphelin, est en mesure de faire réapparaître ces éléments disparus en rassemblant, que ce soit dans des livres ou au fil des discussions avec les NPC, les souvenirs des personnes ou des lieux disparus. Il n’est pas tout seul dans sa quête : il est accompagné par deux de ses amis d’enfance qui sont eux aussi orphelins (on peut accuser les scénaristes d’avoir trop abusé de Final Fantasy III quand ils étaient plus jeunes) : ensemble, ils rassembleront les souvenirs pour rendre la vie à des villages entiers, mais aussi leur consistance à des ponts ou des échelles dont ils ont besoin pour progresser.

Lost Sphear - Village

Sauf que le problème, c’est que l’on voit rapidement venir, tel un pauvre chat lancé d’un pont au milieu de l'autoroute, les phares d’une intrigue aussi lourde qu’un trente-cinq tonnes. En effet, à force de vouloir donner dans le rétro, les développeurs ont complètement oublié d’être originaux sur leur histoire et les mécanismes qu’ils utilisent. On a, tout au long du jeu, l’impression que les mecs ont regardé un Awesome Games Done Quick de tous les FF et de Chrono Trigger avant de se mettre à l’écriture de ce Lost Sphear, qu’ils ont établi une checklist de tout ce qui avait à peu près fait l’identité de ces jeux et qu’ils les ont remis dans leur nouveau bébé. Super combat contre un mec qui semble pourtant pas être un super méchant, mais qui a une cause plus grande que vous ? Check. Le faire rejoindre votre équipe deux secondes après que vous lui ayez fait manger la poussière ? Check. Un général tout puissant craint du monde entier qui ne peut pas vous mettre au trou parce que personne ne vous a vu lui mettre un pain ? Check. Récupérer des armures magiteks (les Vulcosuits), les armes de destruction les plus terribles jamais conçues quasiment gratuitement ? Check.

C’est le problème même du studio RPG Factory, plus que de ce Lost Sphear, vu que les mêmes éléments étaient déjà un reproche d'I Am Setsuna. Le studio ne veut pas tenter de prendre un risque dans son approche et se refuse tout simplement à ne serait-ce que tenter de faire quelque chose de vraiment innovant et se contente de préparer la même vieille recette dans les mêmes vieux pots qu’il y a plus de vingt ans. Sauf que même si c’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes, à force de vous la resservir, elle finit toujours pas devenir très fade.

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En plus de l’absence de relief des personnages, on pourra pointer du doigt que leur personnalité et leur histoire sont totalement gâchées par des dialogues infantilisants au possible, qui sont encore plus catastrophiques dans la version française du jeu. Lost Sphear n’est pas vraiment un jeu prévu pour le public le plus jeune, certains des mécanismes ne leur étant pas accessibles, mais on a parfois l’impression de se retrouver devant la série qui serait diffusée entre Peppa Pig et l’âne Trotro tellement ça vire au niveau d’écriture d’un épisode d’Hélène et les Garçons.

Dernier point pour ce qui concerne l’histoire, et c’est peut-être très personnel, nous n’avons vraiment à aucun moment eu l’impression que quiconque essayait de nous mettre des bâtons dans les roues. Tout le monde agite le poing, fait le gros dos, mais finit par faire vos quatre flûtes, ce qui est passablement ennuyeux, surtout quand il en va de même à chaque obstacle que vous rencontrez sur votre chemin. Alors oui, soit, on est un groupe de héros et on sauve le monde, mais ce n’est pas censé être si facile de sauver le monde, bon sang.

Tout n'est pas blanc, euh, gris

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Après, le jeu a quelques bonnes idées, notamment par rapport à son prédécesseur. Par exemple, le système de combat a pas mal évolué depuis I Am Setsuna : chaque attaque est une attaque de zone et il faut donc positionner au mieux vos personnages pour toucher plusieurs adversaires en même temps et ainsi infliger le maximum de dégâts. Le terrain, la position de vos personnages et de vos ennemis sur le champ de bataille ont donc autrement plus d’importance. Seul petit regret, notamment sur l’utilisation des sorts qui ont pour la plupart de grosses aires d’effet, on aurait pu vouloir un petit peu de friendly fire pour épicer les choses. Il existe aussi une mécanique vous permettant d’infliger de supers attaques : les attaques Momentum. Liées à une jauge que vous remplissez en infligeant des dégâts, elles permettent de balancer des coups personnalisables pour peu qu’on appuie sur la bonne touche au bon moment, quand un halo bleu apparaît à l’écran. Cependant, elle apporte tellement peu au jeu que vous vous retrouverez très rapidement à vous contenter de massacrer la touche Attaque sur votre pad, car rien ne sert d’abîmer vos yeux à fixer l’écran pour des combats fades et rarement relevés et surtout accompagnés par un thème qui est absolument insipide.

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Autre évolution sympathique, le joueur a un contrôle un peu plus grand sur l’évolution de son personnage et les compétences que vous pouvez apprendre sont réellement intéressantes et peuvent changer votre approche du combat, au début du jeu du moins. Tant qu’on en est à parler de personnalisation, on peut évoquer les artefacts, qui sont une façon pour les joueurs d’utiliser les souvenirs qu’ils ont restaurés pour personnaliser leur interface, avancer dans l’histoire, mais aussi obtenir des améliorations en jeu. Par exemple, Yggdrasil augmente drastiquement votre attaque physique, mais vos sorts auront l’effet d’un pet de mouche, tandis que le Magic Eye permet d’afficher les HP et l’ATB des adversaires pendant les phases de combat. Autre aspect qui était une extrêmement bonne idée, mais qui a été gâchée par le game design, le système de forge : il permet de faire évoluer votre équipement d’une manière assez intéressante pendant les premières heures de jeu, mais vous arrivez très rapidement à un stade du jeu où le système n’a qu’un intérêt très réduit par rapport aux objets que vous récupérez en jeu, parfois même directement auprès des vendeurs (ce qui est vraiment paradoxal et pour le moins inédit dans un JRPG - “Hey gamin, GG, tu as fini ce donjon qui terrorisait tout le monde, le boss t’a laissé son épée maléfique ? Tiens, j’ai une épée maléfique +2”).

Thalès de Milet se retourne dans sa tombe

Malheureusement, c’est à peu près tous les bons points que l’on pouvait distribuer à ce Lost Sphear, qu’on avait pourtant hâte de voir.

On l’évoquait plus haut dans le cadre des combats, mais la bande-son part dans les mêmes travers que dans le précédent jeu du studio : là encore, on utilise le piano comme on ferait pleurer les violons en Europe et il n’y a vraiment aucun thème qui nous a réellement marqué au cours de la vingtaine d’heures que nous avons investie pour finir le jeu, peut-être aussi parce qu'aucune scène du jeu à proprement parler ne nous a fait lever un sourcil.

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Au final, c’est bien le principal reproche qu’on fera à ce titre : il n’a absolument rien de marquant. Ses graphismes sont à peine plus travaillés qu’un jeu de 3DS et ne sont pas en adéquation avec son objectif rétro : tout est morne, tout est fade, tous les donjons se ressemblent. On peut compter les différents types de monstres sur les doigts de deux mains, on a souvent des impressions de copier/coller de textures… La comparaison est triste quand on se souvient seulement des tenues bigarrées des boss des jeux d’antan que ces titres de Tokyo RPG Factory entendent ramener à la vie. N’allez pas croire que c’est moche, surtout pas : c’est juste loin d’être marquant. Ce n’est pas ce que l’on peut attendre quand on vous dit “Chrono Trigger remis au goût du jour” et ce n’est absolument pas assez novateur pour vous marquer.

Crache ta mousse blanche, Myrhdin

Lost Sphear est tout simplement un jeu qui n’a pas réussi à nous surprendre une seule fois au cours de la vingtaine d’heures qu’il nous a fallu pour en venir à bout. Pour être tout à fait honnête, et c’est peut-être très personnel, mais on a dû se forcer à le finir, en se raccrochant à l’espoir que la fin serait peut-être aux antipodes du reste. On a eu l’occasion de jouer à des projets RPG Makers bien plus passionnants et il existe des RPG sur vos portables et tablettes qui vous prendront bien plus aux tripes pour bien moins cher voire pour pas un rond.

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Comme vous avez pu le lire, rares sont les points qu’on a pu noter comme positifs : chaque critère habituel d’évaluation d’un JRPG est franchement moyen et, le pire à nos yeux, rien n’a su nous transporter dans l’univers de ce jeu, alors que nous sommes pourtant très bon public dès lors que l’histoire en elle-même sait nous emmener ailleurs. Là, rien, une page blanche, un encéphalogramme plat, rien qui ne nous ait fait vibrer à un quelconque moment. Ce fut une expérience des plus banales, des plus quelconques, sur un jeu qui semble familier, mais bien fade…

Par pitié, messieurs et mesdames de Tokyo RPG Factory, arrêtez de tourner autour du pot. Vous adorez les mêmes jeux que nous, pas forcément pour les mêmes raisons, mais on le sent : alors faites-nous et faites-vous le cadeau que nous attendons tous. Plutôt que de faire un pot-pourri de recettes qui marchaient bien toutes seules dans leur coin ou dans des titres bien différents, assurez-vous au moins d’avoir une cohérence dans votre ligne scénaristique avant tout autre chose, car c’est ce qui nous a marqué avant tout dans ces jeux d’anthologie. Si vous souhaitez vraiment rajouter des éléments d’autres jeux, faites-le avec parcimonie et remettez ces quelques éléments au goût du jour. Vos glorieux aînés ont peut-être inventé la roue, mais il y a des millénaires d’innovation entre leurs disques de pierre et les jantes auxquelles nous sommes habitués maintenant.

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