Un MMORPG, un monde où s'installer

Spécificité du genre MMORPG, le monde persistant accueille le joueur pour mieux lui proposer de multiples aventures. Si l'installation peut se concrétiser sous la forme du housing, l'enjeu est bien au-delà.

Alors que les joueurs sont de plus en plus nomades, l'idée de s'installer dans un monde persistant peut s'inscrire à contre-courant. Il s'agit pourtant d'une des principales caractéristiques -- originelles -- du MMORPG, le joueur va seulement prendre part à la vie quotidienne d'un monde. Sans suivre un but du jeu qui l'amènerait forcément à une conclusion, il prendra son destin vidéo ludique en main pour vivre des aventures. Par définition, un MMORPG n'a pas de fin sauf si la femme de ménage se prend les pieds dans l'alimentation du serveur.

Le besoin du joueur de s'installer est pourtant indéniable, comme le symbolise toutes les mécaniques de housing sur la plupart des MMORPG. On construit sa demeure, on la décore à son goût tout en exposant les trophées de ses exploits. On investit ainsi du temps et de l'énergie dans un chez-soi, créant un ancrage dans un monde virtuel. On ira jusqu'à payer des impôts, contribution au money sink pour réguler l'économie et faciliter pour les développeurs la destruction des maisons abandonnées par leurs propriétaires. En effet, le monde persistant a pour caractéristique d'être autonome et d'évoluer que le joueur soit présent ou non. L'ultime but pour le développeur sera donc de retenir le joueur, pour maintenir la vitalité du monde persistant et les caisses du studio.

L'approche « theme park », renouveler l'invitation

Toujours plus riche en contenu, le MMORPG « theme park » va s'étendre au fil des mises à jour. Le temps entre les extensions sera comblé par des mécaniques de farm voire une absence du joueur. Ce rituel est parfaitement rodé par World of Warcraft, où le joueur tel un oiseau migrateur reviendra avec l'extension pour survivre aux périodes de disettes. Peu de jeux peuvent cependant se targuer de pouvoir maintenir leur base de joueurs, qui va progressivement s'éroder avec le temps. L'enjeu sera alors d'attirer de nouveaux joueurs, qui se retrouveront alors face à une véritable montage de contenu, des mois de jeu avant de rejoindre les joueurs de haut niveau. On est ainsi amené à arpenter dans les moindres recoins un monde, avec parfois la nécessité de rejoindre d'autres aventuriers pour venir à bout de ses ultimes défis.

Chaque nouvel ajout est une invitation à revenir arpenter un monde dont l'intérêt doit se renouveler, à condition de retrouver des compagnons d'aventure souvent partis vers d'autres horizons. Cette approche cyclique est viable à condition de préserver -- voire de développer -- l'aura du MMORPG, parfois bien aidé par l'exploitation d'une licence telle Star Wars. D'autres productions sauront tirer leur épingle du jeu voire devenir une licence, à la manière de Final Fantasy XIV, Dofus ou RuneScape. Une progression verticale souvent inhérente au theme park n'est cependant pas sans risque, le jeu perdant en cohérence à force de faire progresser ses personnages et repousser ses limites. Le mot légendaire peut ainsi facilement perdre de son prestige, tout comme le dragon devenu aussi dangereux qu'un caniche aux abois.

Les développeurs doivent alors redoubler d'effort pour proposer des nouveaux contenus, avec le classique nouveau continent à explorer. Cette course d'endurance a eu raison de bien des studios, en particulier quand ils manquaient d'une vision sur le long terme à l'image de Dark Age of Camelot. Il est vitale pour un MMORPG de se construire pour des années, sans s'enfermer dans des perspectives le condamnant à court terme. Les joueurs du Seigneur des Anneaux Online ont attendu plus de dix ans avant d'atteindre le Mordor, du moins pour ceux toujours présents. Faute d'idées, on se retrouve à glaner 0,1% de puissance supplémentaire avec la nouvelle extension ou débloquer des compétences inutiles à l'extension suivante. D'autres jeux ont su se métamorphoser tel The Elder Scrolls Online, un repositionnement qui comblera une partie des joueurs et repoussera fortement les autres.

L'approche « sandbox », construire sa place

Autre approche pour autre profil de joueur, le sandbox s'inscrit comme une série de propositions pour s'impliquer dans un écosystème plus ou moins hostile. L'enjeu est le plus souvent de tailler sa place dans le monde, évaporant une partie de ses efforts à la moindre mort. Il faudra nécessairement rejoindre d'autres joueurs pour survivre, à moins de se cantonner aux contrées sécurisées. La force d'EVE Online est justement de proposer un espace différent en fonction des attentes des joueurs, un équilibre encore à trouver sur Albion Online qui repousse sans cesse sa sortie. Souvent impitoyable, le monde persistant à la sauce sandbox est rarement parvenu à conjuguer différentes attentes.

Life is Feudal
Life is Feudal

En se cantonnant à une frange limitée de joueurs, le risque est de péricliter rapidement, faute d'en avoir suffisamment pour maintenir le monde vivant. L'intérêt du genre passe essentiellement par les interactions entre joueurs, en alimentant l'économie mais surtout en renouvelant le contenu par le biais par exemple des affrontements entre joueurs. La manière dont le MMORPG va intégrer la participation du joueur, lui donner de l'importance et la retranscrire en impression de vivre dans un monde avec du sens sera la clé de sa réussite. Le succès des jeux de survie illustre cette nécessité d'en revenir aux bases, en poussant aux interactions et la construction de sa demeure. Le MMORPG doit ajouter en plus une persistance et surtout une finalité bien au-delà d'un éventuel wipe pour renouveler l'intérêt.

Même l'approche sandbox à la nécessité de se renouveler. Souvent cité en référence, EVE Online a perdu depuis plusieurs années ses ambitions. L'ajout -- souvent bâclé -- de nouveautés a laissé la place à un monumental travail de refontes pour peaufiner l'ensemble du MMORPG, au prix de la perte d'une réelle dynamique. Le quotidien est devenu une routine, laissant la place à une lassitude qui emmène le joueur à quitter cet univers. La colonisation de l'espace par les joueurs reste toutefois le fil conducteur d'EVE Online, s'étirant toujours plus au fil des années. On retrouve ici le drame souvent récurrent du studio qui s'est dispersé en oubliant ses fondamentaux. Pour conserver l'envie de vivre dans un monde persistant, il est essentiel de proposer aux joueurs de nouveaux outils à utiliser ou de nouvelles ambitions. ArcheAge est ainsi allé jusqu'à proposer à ses habitants de créer leur propre faction, non sans défauts.

Les pistes pour l'avenir

Toujours en train de creuser ses fondations, Crowfall part dans l'idée d'allier persistance et éphémère pour mieux se renouveler. En theme park ultime, Star Citizen ne cesse d'étendre ses promesses pour proposer tout un univers aux multiples gameplay, répondant ainsi à toutes les attentes voire en combler pleinement aucune. Roder en tant que jeu de survie, Life is Feudal doit encore pérenniser sa dimension MMORPG. Plusieurs projets -- moins avancés -- veulent faire en sorte de revenir aux fondamentaux, lointaines promesses.

L'essentiel pour le genre est surtout de retrouver ses ambitions. On aurait pu imaginer un Landmark étendre son monde, poussant le joueur à l'explorer et interagir pour mettre la main sur les ressources nécessaires à des constructions toujours plus poussées, voire de bâtir des villes avec sa guilde. On se contentera de l'imagination en assistant à la fermeture du jeu. Le retour des joueurs est essentiel pour bâtir un MMORPG où l'on veut s'installer, sans se faire berner par les accès fondateurs cachant -- trop souvent -- une bêta payante d'un monde éphémère. Il est ainsi important de soutenir les bons jeux, ceux où vous avez mis le pied avec un plaisir vidéo ludique certain. Au final, le MMORPG peut être un monde unique, un raccourci persistant sur le bureau de son ordinateur.

Sans renier les autres plateformes, on peut d'ailleurs envisager l'avenir du genre comme une sorte de carrefour de multiples genres et gameplay. Des joueurs de Heathstone attablés à une taverne de World of Warcraft pour s'adonner à leurs parties, des joueurs de Gunjack proposant leurs services à ceux d'EVE Online pour améliorer l'efficacité de leurs tourelles, les joueurs World of Legends pariant sur les matches du MOBA, etc. Trêve d'utopies, il s'agit déjà d'avoir des MMORPG donnant l'envie de s'y installer. Il faut alors savoir questionner nos habitudes et surtout nos attentes, en les confrontant aux jeux en question. Le décalage qui en découle est souvent à l'origine de bien des désillusions. Dans mon cas, je me suis installé sur trop de MMORPG pour trouver un réel chez-moi, ultime contradiction.

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