2014 : une année de crowdfunding pour l'esport Dota 2

KassGrain, rédacteur sur dota2.fr, revient sur l'essor du financement participatif dans Dota 2 en 2014 et son impact sur le paysage compétitif.

Le crowd... quoi ?

Traduit en français par financement participatif, le crowdfunding est un système de financement qui fait appel aux membres d'une communauté pour lever des fonds et ainsi assurer le lancement ou l'amélioration d'un projet. Ce système a été mis en place pour la première fois dans une compétition de Dota 2 lors de The International 2013. Valve avait alors vendu un ticket électronique permettant de visionner le tournoi pour 9,99 $ parmi lesquels 2,50 $ contribuaient à augmenter la dotation du tournoi le plus important sur Dota 2.

Initialement réservé à l'éditeur du jeu pour son seul tournoi, le système s'est ouvert aux différents organisateurs de tournois Dota 2 à partir de la fin de l'année 2013. Après plus d'un an de fonctionnement et une démocratisation impressionnante, dota2.fr vous offre une rétrospective de ce phénomène qui a boosté les compétitions tout au long de l'année 2014.

 

Le crowdfunding en chiffres

Avant de poursuivre la lecture de cet article, sachez qu'il se base en grande majorité sur les chiffres de crowdfunding des tournois Dota 2. Ces chiffres sont disponibles et visibles sur le lien suivant. Si vous ne deviez citer qu'un seul chiffre à une personne extérieure au monde de Dota 2 pour lui expliquer le phénomène, retenez les 9 331 105 $ récoltés pour la plus grande compétition Dota 2 : The International 2014.

D'après le site www.esportsearnings.com, le total d'argent offert aux joueurs de Dota 2 s'élève désormais à plus de 24 millions de dollars faisant de Dota 2 le jeu qui récompense le plus ses joueurs au monde, détrônant son rival League of Legends. Sur ce chiffre faramineux, nous retiendrons le nombre de 12 466 291 $ ajoutés en financement participatif (et ce sans compter le tournoi Dota 2 Asia Championships 2015, en cours actuellement).

Ce nombre gigantesque correspond à l'argent rajouté par la communauté Dota 2 dans les dotations de tournois ce qui correspond à plus de 50% des dotations totales. L'ascension de ce gros chiffre est d'autant plus remarquable qu'elle a été fulgurante. Avec une progression de plus de 662 % en 2014 vis-à-vis de 2013, le crowdfunding Dota 2 semble avoir trouvé un marché fructueux qui bénéficie énormément au jeu.

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Gains en dollars US sur les jeux les plus orientés eSport

Le diagramme ci-dessus permet de s'apercevoir de l'impact du crowdfunding sur l'importance des tournois esport des jeux les plus populaires dernièrement. Si Dota 2 mène la course du gros chiffre, le jeu ne tiendrait pas sa pole position sans le système de crowdfunding mis en place par Valve depuis 2013. Il faut cependant relativiser les chiffres relatifs à chaque jeu par année en fonction de la maturité du jeu. Starcraft 2 est un jeu plus ancien qui est sur une phase descendante de popularité tandis que Dota 2 a atteint son sommet historique en 2014 et ne semble pas ralentir. Pour Counter Strike : Global Offensive le jeu a décollé en cette année 2014 et possède de fortes chances de bénéficier du même système de crowdfunding, puisque le jeu est également propriété de Valve.

 

Une régulation par le marché

Bien que les chiffres colossaux du crowdfunding sur Dota 2 donnent le tournis, nous aurions tort d'arrêter notre analyse à ces derniers. Le système mis en place par Valve pour augmenter les gains des tournois de Dota 2 permet bien plus qu'une simple et bête rentrée d'argent. Le crowdfunding permet aux spectateurs de montrer leur soutien à un tournoi en achetant le ticket dudit tournoi. Ce nombre de tickets vendus est un excellent indicateur de l'importance d'un tournoi sur la scène e-sportive, définissant ainsi une hiérarchisation des tournois Dota 2.

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Estimation des tickets vendus par tournoi

De nouveau, nous prendrons soin de bien pointer du doigt les estimations faites pour ces classements. En effet, si le nombre de "tickets vendus" correspond au total de cashprize ajouté divisé par l'apport d'un seul ticket, certains tournois possèdent des sources de crowdfunding multiples comme des tickets DotaTV et des sets d'objets exclusifs par exemple. L'estimation ne se fait donc pas toujours sur un pied d'égalité.

 

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Représentation du cashprize des tournois suivant leur popularité

Le diagramme précédent présente le "classement par popularité" des tournois Dota 2, hors tournois The International. Il s'agit d'une représentation des prix des tournois (base plus crowdfunding) classés par nombre de "tickets vendus". Si certains tournois affichent une dotation de base plus importante que d'autres, le classement remonte bien les tournois qui ont le plus été suivis par la communauté Dota 2.

La force de ce classement et tout le génie du système développé par Valve sont qu'ils reflètent la volonté de la communauté Dota 2 et non pas celles des instances dirigeantes du jeu. A l'opposé de ce que met en place Riot, éditeur de League of Legends, l'importance d'un tournoi est accordée par la communauté en augmentant la dotation d'un tournoi plutôt que par l'éditeur du jeu qui donne tant ou tant de dotation supplémentaire pour un tournoi ou de points aux équipes participantes, aboutissant à un classement mondial.

 

Cette régulation par le marché plutôt que par ce qui fait office d' "État" possède des avantages certains, notamment celui de refléter les goûts et les envies d'une communauté en lui accordant des pouvoirs supplémentaires. Plus qu'à la simple satisfaction personnelle de participer à un évènement majeur, l'achat d'un ticket DotaTV est un acte qui indique ce que chaque joueur souhaite voir sur Dota 2 en terme de tournois.

Ce nombre de "tickets vendus" pourrait s'avérer plus important qu'il n'y paraît puisque c'est lui qui fait la pluie et le beau temps pour l'organisation d'un tournoi. En effet, l'ambiance compétitive en cette fin d'année 2014 s'est tendue pour certaines organisations de tournois qui n'ont pas vendu autant de tickets qu'elles espéraient. Pointant du doigt une "saturation" du marché, la mauvaise performance de ces tournois se traduit par une punition de la communauté Dota 2 qui préfère soutenir d'autres évènements. Attention cependant à ne pas être naïf, la motivation qui amène à l'achat d'un ticket réside souvent dans les produits dérivés fournis avec le ticket. Nous reviendrons sur ce point par la suite.

 

Plus qu'un indicateur interne au monde Dota 2, ce nombre de tickets vendus peut également permettre aux organisateurs de tournois de démarcher de nouveaux sponsors. Avec des chiffres tangibles et reflétant de la volonté de la communauté Dota 2, il est fort à parier que les investisseurs externes à Dota 2 pourront s'appuyer sur cet indicateur pour évaluer des risques et récompenses potentielles d'un tournoi.

 

Un modèle économique viable et friable

Si vous n'en êtes pas encore convaincu, sachez que la vente de ticket DotaTV est une activité très lucrative. Mais à qui profite le crime, me demanderez-vous ? Eh bien, le crowdfunding des tickets DotaTV est profitable aux différents acteurs des tournois esport sur Dota 2. Ne l'oublions pas, une partie de l'argent perçu est reversée aux vainqueurs des tournois et c'est une source de motivation dans l'acte d'achat pour une partie du public. Mais ce n'est pas tout ! En effet, les créateurs et organisateurs des tournois perçoivent également leur part du butin. Enfin, et c'est bien logique, Valve touche également une part des recettes en tant que propriétaire du titre Dota 2.

Cette répartition des recettes permet un développement impressionnant de la scène professionnelles Dota 2. En effet, puisque les joueurs touchent davantage d'argent, ils peuvent plus facilement vivre exclusivement de Dota. Mais surtout, cela permet aux tournois de devenir des entreprises rentables. En touchant une source de revenus grâce à la communauté, une organisation de tournoi peut rentrer dans ses frais là où, auparavant, elle ne pouvait compter que sur du sponsoring, des recettes de streaming ou d'éventuelles entrées payantes aux phases finales. En 2014, les tournois ont donc pu fleurir et s'épanouir grâce au crowdfunding.

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Pour leur plus grand plaisir, les joueurs de Dota 2 sont assaillis d'opération marketing sur des objets cosmétiques

Il est extrêmement difficile d'obtenir des informations sur la répartition des gains entre Valve et les organisateurs tant ces données sont sensibles pour les entreprises qui se lancent dans l'organisation de tournois. Nous pouvons cependant estimer que la base est une répartition 50 / 50 qui permet ensuite à l'organisation d'annoncer quelle proportion de ses 50 % partira dans la dotation de son tournoi. Dans la majorité des cas, 25 % de l'argent récolté sont reversés aux équipes mais des options à 12,5 %, 20 % ou encore 50 % sont parfois prises.

Le phénomène du crowdfunding semble être la poule aux œufs d'or pour Valve puisqu'il aurait permis de générer depuis sa mise en place un chiffre d'affaires estimé à 50 millions de dollars US (tournois The International inclus et représentant 85 % des recettes). Vous avez bien lu : Valve aurait donc touché la moitié de cette somme, soit 25 millions de dollars américains, avec la vente des tickets sans compter les cas spécifiques des tournois The International. Nul doute par conséquent que le système perdurera dans la durée et sera de plus en plus mis en avant par l'éditeur du jeu.

 

Cependant la vente de tickets n'est pas aussi dorée pour les organisateurs de tournois. En effet, le public peut décider de bouder un ticket plaçant l'organisation qui le vend en danger financier. La tendance de cette fin d'année 2014 est à la guerre du marketing autour des tickets DotaTV sur le marché. Et cela tombe bien puisque Valve permet aux organisateurs d'utiliser des atouts marketing pour vendre les tickets. Les tickets sont donc vendus avec des objets cosmétiques pour le jeu tous plus uniques les uns que les autres. Les consommateurs ont donc vu déferler par dizaines des sets pour les héros, des coursiers, des écrans de chargements et autres goodies qui rivalisent de qualités esthétiques.

Des organisations sortent cependant leur épingle du jeu. C'est le cas de Dota Cinema et Beyond The Summit qui ont pris le leadership sur le marché en cette fin d'année 2014. Avec des gains estimés respectivement à 225 000 $ et 210 000 $, ces tournois ont de beaux jours devant eux. Leurs succès sont grandement liés à la maitrise de la communication autour du tournoi. A l'opposé, des tournois voient leur dotation n'augmenter que d'un maigre 10 à 15 % grâce au crowdfunding, privant ainsi le tournoi d'une source de revenus - parfois par négligence.

 

Une impression de saturation du marché

Si vous avez suivi l'actualité Dota 2 du mois de Décembre 2014, vous aurez sûrement eu vent des remous créé par l'impression de saturation du marché des tournois Dota 2. En effet, le juteux business du crowdfunding à permis le développement de nombreux tournois Dota 2 aux dotations impressionnantes. En plus d'épuiser de fatigue les grandes écuries qui ont rarement eu autant de tournois auxquels participer, cette augmentation des gros tournois a créé une vague d'inquiétude quant à une diminution des ventes de tickets.

"Que nenni !" répondit la communauté Dota 2 en ces premiers jours de Janvier 2015. En effet, le nouveau tournoi superproduction, le Dota 2 Asia Championships 2015, a su augmenter sa dotation de plus de 1 400 000 $ en moins d'une dizaine de jours de ventes (et sûrement autant d'argent gagné pour ses organisateurs).

Le marché Dota 2 fait preuve d'une multiplication des outils marketing pour continuer sa vente de tickets. Les différentes organisations de tournois semblent cependant s'être toutes jetées sur le même créneau du marché : le très gros tournoi qui invite les meilleures équipes à des phases finales en LAN. Le public se lasse donc naturellement de voir le même type d'évènement. Trop peu de tournois plus modestes entièrement en ligne ont vu le jour.

Si les gros tournois promettent des grosses recettes aux organisateurs en cas de succès, ils impliquent également de gros risques et investissement financiers de départ. N'oublions que brasser énormément d'argent n'est pas toujours synonyme de forte rentabilité. D'ailleurs, pour ceux qui l'auraient remarqué, les organisations à succès, Dota Cinema et Beyond The Summit, ont des phases finales qui demandent une organisation minime. Les deux organisations ont donc pu consacrer plus de temps et de moyens à travailler la communication et le marketing de leur tournoi, en faisant ainsi un succès.

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Les tournois ESL One : un modèle économique viable sans l'aide du crowdfunding

Bien que le tournoi à dotation participative soit devenu le modèle économique dominant sur Dota 2 en 2014, il n'est pas le seul modèle économique viable. Nous citerons comme exemple les tournois ESL One, avec ses deux éditions à Francfort et à New York. Bien que ces tournois proposent une participation à leur dotation, ils réalisent de mauvais scores dans le domaine. Cependant la source de revenu du tournoi provient principalement de la vente des places pour l'évènement final. Les tournois ont rempli successivement la Commerzbank-Arena, stade du club de football de Francfort, puis le Madison Square Garden à New York, avec des places qui s'achètent aux alentours de 50 $ et plus si affinités. La rentabilité du tournoi est ici très axée sur le show final proposé aux fans d'esport.

 

Un développement à deux vitesses

Si les fans d'esport peuvent se réjouir du financement participatif dans les gains des tournois, le système mis en place par Valve possède des défauts. Et le défaut le plus visible est l'inégalité dans la répartition des gains. A la fin de l'année 2014, 85 % de l'argent récolté l'a été pour les deux dernières éditions du tournoi The International. Et si nous regardons plus en détail dans la dernière part du gâteau, 12 compétitions récupèrent de nouveau 85 % du restant. Les chiffres affichés ne font pas apparaitre le DAC 2015 qui bat également beaucoup de records mais nous avons bien 98 % des contributions détenus par 15 compétitions.

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Visualisation de la répartition du crowdfunding dans Dota 2

Cette situation de colosse aux pieds d'argile peut s'avérer dangereuse pour la pérennité de l'esport Dota 2. D'une part les organisateurs de tournois pourraient se raréfier si le système n'est profitable qu'aux super-productions. D'autre part, les joueurs et les équipes souffrent énormément de cette répartition si inégale. En effet, si les meilleures équipes peuvent gagner des sommes d'argent gigantesques qui fascineront les foules, la scène Dota 2 semi-professionnelle ne récupère que les miettes de ce système. Sans un soutien plus accru de la communauté envers ces équipes, le niveau de jeu des compétitions pourraient s'affaiblir à l'avenir car le système décourage le renouvellement et l'émergence de nouveaux talents nécessaire à tout sport.

Difficile de dire ce qui pourrait booster les tournois semi-professionnelles tant le problème est épineux. Nous pouvons tout de même avancer quelques pistes. L'exposition des tickets de la DotaTV pourrait être améliorée. Actuellement, seul le blog de Cyborgmatt propose un recensement et un historique des ventes de tickets à crowdfunding. Le public n'est pas toujours au courant des tournois qu'il est à même de supporter et des sites de référencement supplémentaires seraient les bienvenus. Une autre piste serait que Valve mette à disposition des organisateurs de tournois sa force de frappe gigantesque avec du marketing collaboratif : en aidant les tournois modestes à gérer leur charte graphique ou leur campagne de communication pour obtenir de meilleures ventes par exemple.

 

 

L'étape suivante déjà en préparation ?

Vous l'aurez compris, l'année 2014 a été l'année de tous les records pour l'esport sur Dota 2. Le système de crowdfunding aura été le nerf de la guerre et a prouvé sa viabilité sur de nombreux évènements. Des ajustements ou des modifications sont à apporter néanmoins, sans quoi seule une élite profitera du système.

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Le Steam Broadcasting Service, une évolution dans le crowdfunding sur Dota 2 ?

Il est très difficile de savoir ce que l'année 2015 nous réserve, si ce n'est de nouvelles tentatives de records sur les très grosses compétitions. L'acte suivant semble cependant en préparation du côté de Valve. Le Steam Broadcasting Service présenté en version bêta début Décembre pourrait changer beaucoup de choses. Pourrions-nous envisager l'achat de ticket DotaTV pour regarder des joueurs professionnels en exclusivité, achats qui procureraient une source de revenu pour lesdits joueurs ?

Source : http://www.dota2.fr/news/actualites/2014-une-annee-de-crowdfunding-pour-l-esport-dota-2

Cette actualité provient de notre univers Dota 2.

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