Rencontre avec les développeurs d'Elite: Dangerous et essai de l'Oculus Rift

À l'approche de la sortie le 22 novembre de la version (quasi) finalisée d'Elite: Dangerous, le studio Frontier Developments organisait une journée presse pour présenter sa simulation spatiale dont une version compatible avec l'Oculus Rift DK2.

Federal Dropship

Le dernier né de la saga Elite, un simulateur d'exploration et commerce spatial initié en 1984 par David Braben, est sur le point de voir le jour le 16 décembre prochain. Résolument online, alimenté en partie par une campagne Kickstarter réussie en 2012 et le financement participatif d'un nombre grandissant de joueurs, le jeu est passé par différentes phases d'alpha et bêta durant cette année. Le 22 novembre prochain, la version gamma du jeu, quasi-identique à la version finale, sera déployée. Le studio organisera pour l'occasion un événement live, samedi soir, qui sera également diffusé sur leur chaîne Twitch.

Invité pour JeuxOnLine par Frontier Developments, je me suis rendu dans les locaux parisiens de l'agence de communication s'occupant du cas Elite: Dangerous pour rencontrer des membres du studio et tester une version avancée du jeu avec un Oculus Rift. Petite déception à l'arrivée, la version proposée en test est en réalité celle de l'Eurogamer Expo de septembre, qui ne comprend que les missions d'entraînement solo (mais avec le moteur du jeu définitif cependant). Seconde déception, les membres de Frontier, malgré leur accueil chaleureux et leur sympathie, ne pouvaient parler de tous les éléments du jeu, dont la plupart vont être dévoilés lors de la conférence de samedi, ou sont encore à l'état d'ébauche. Je vais cependant faire part de mes impressions sur le jeu, l'Oculus Rift et les quelques informations que j'ai pu recueillir malgré tout.

Oculus, Oculum, Oculi ... (du latin oeil n. m : organe de la vue)

Je n'avais jamais essayé d'Oculus Rift, et je me suis rendu à cette session avec l'intention de séparer le jeu, que je connais déjà bien, de la réalité virtuelle. La principale raison étant que le jeu sort très prochainement, tandis que l'Oculus Rift est encore loin de voir le jour. Or, plus le temps passe et plus cet engouement autour du dispositif de l'Oculus Rift commence à retomber. Au point que certains se posent des questions sur la valeur ajoutée d'un aussi encombrant appareil (je vous conseille à ce sujet l'excellent dossier Canard Hardware N°22). Et puis peut-être que comme moi, vous avez lu, vu et entendu mainte fois des retours de joueurs ayant testé l'appareil, et qui auront fini par vous lasser. Mais ça c'était avant...

Car une fois chaussé sur la tête, envolés les doutes, envolées les appréhensions. La magie opère instantanément ! Je sais que vous avez lu cette phrase 100 fois, mais je ne vois pas comment le dire autrement : on a RÉELLEMENT la sensation d'être DANS le cockpit ! Bien sûr la résolution du DK2 est encore très loin d'être satisfaisante, mais elle est désormais suffisante pour s'immerger dans le jeu, lire les menus et scruter certains détails.

De l'avis général des joueurs, l'implémentation de l'Oculus Rift dans Elite est exceptionnelle. Et je dois reconnaître que je ne peux pas les contredire, le jeu est la vitrine parfaite pour la réalité virtuelle (ou l'inverse). La proprioception (si, si) fonctionne incroyablement bien, en grande partie grâce à une latence imperceptible du mouvement de la tête dans le jeu et du parfait étalonnage des mouvements. Les développeurs ayant poussé le détail jusqu'à modéliser le joystick X52 Pro de Saitek, celui là même qui est utilisé pour la démo, on se surprend à regarder sa main virtuelle pendant qu'on cherche à tâtons les boutons sur le manche. Le cockpit devient palpable, on regarde par dessus son épaule, on se penche sur les cotés pour regarder sous le siège, on suit les ennemis du regard avec un naturel incomparable aux TrackIR et systèmes similaires. Un mot sur la gestion de la 3D qui est aussi parfaitement maîtrisée : les panneaux qui s'affichent devant vos yeux, les astéroïdes qui prennent un volume impressionnant devant soit et dont la ceinture disparait à l'infini, mais aussi la distance de la cible et la vitesse à laquelle elle s'approche ou s'éloigne deviennent des informations naturellement perçues. Enfin le radar 3D devient clairement lisible, en un coup d'oeil on comprend où est l'adversaire. En l'occurrence dans notre dos, à nous canarder allègrement pendant qu'on admire les détails sur l'extincteur placé à droite sous le siège.

Bref, le jeu prend une dimension supplémentaire, et moi une bonne claque au passage. L'Oculus Rift fonctionne, la réalité virtuelle qu'on nous vend depuis Imagina '94 (j'y étais !) est bien là.

Cependant tout n'est pas si merveilleux. Il suffit d'essayer de s'imaginer comment s'intégrera cet appareil dans nos configurations de jeu et dans nos habitudes de joueur. Et là, ça se complique un peu. Si l'immersion est indéniablement accrue d'une manière jamais vue dans l'histoire du jeu vidéo, l'efficacité en prend un coup. La faute tout d'abord au champ de vision restreint pour correspondre à la vision humaine (et éviter la trop forte pixelisation des textes et informations), et qui rend l'ensemble des panneau d'affichage impossible à embrasser d'un coup d'oeil. Or ces panneaux sont important dans le jeu pour les phases de combat, on se retrouve à changer son point d'attention très souvent pour avoir toute les informations en vue et on finit par quitter la cible des yeux (sans compter les regards vers nos mains lorsqu'on cherche un bouton, avant de comprendre que ce ne sont pas vraiment nos mains). On est à l'opposé de ce que devrait être un HUD (affichage tête haute) efficace. Et ça illustre parfaitement le fait que malgré tous les effort du studio pour rendre l'appareil fonctionnel, il n'en est pas performant pour autant, car le jeu n'est pas conçu pour lui à la base.

L'autre point négatif est évidement la fatigue visuelle et les sensations de nausées qui peuvent survenir lors d'utilisation prolongée. Je précise que si je n'ai pas eu le mal de mer, la sensation de voir son vaisseau bouger sans sentir les G est assez perturbante au début -- par rapport à ce que je ressens IRL dans mon vrai chasseur spatial, quoi. J'imagine parfaitement qu'une catégorie de joueurs risque de ne pas supporter cet appareil.

Enfin, de façon plus réaliste, cet appareil n'est manifestement pas compatible avec une utilisation occasionnelle du jeu vidéo qui constitue le marché grand public. On s'isole du monde extérieur évidement, mais aussi des autres périphériques comme le clavier, on perd ses repères sur l'emplacement du joystick, de la souris, du paquet de fraises TAGADA® (*) ou de son verre d'eau. Au final, le Rift ressemble plus à un accessoire de niche comme l'est un volant à retour de force ou le trackIR qu'à un appareil grand public comme la Wiimote ou (feu) le Kinect.

Je ne peux pas m'empêcher d'imaginer un avenir proche où l'Oculus Rift serait aux jeux vidéo ce que les lunettes 3D sont au cinéma : un gadget pénible à utiliser plus de deux heures, qui coûte cher, dont l'intérêt varie fortement selon le jeu et qui risque de sacrifier le gameplay au profit de l'immersion.

Elite: Dangerous

Concernant le jeu en lui-même et sa futur version, je dois malheureusement baser mon avis sur les précédentes bêtas et les quelques informations que les développeurs ont pu me donner. J'ai déjà eu l'occasion de le dire, mais d'une façon un peu inattendue, un des points forts d'Elite est son gameplay de combat très pointu. En bridant volontairement les mouvements des vaisseaux dans l'espace, Frontier a donné à son jeu des sensations atmosphériques (le mot savant pour dire planant) mais aussi une profondeur de gameplay. Cela se révèle lorsqu'il s'agit de tirer profit des (rares) avantages de son petit vaisseau de base, tout en exploitant les limitations d'un adversaire bien plus gros. Les dogfights sont longs, parfois éprouvants, mais toujours tactiques. La démo confirme parfaitement l'ambition du titre là dessus, puisqu'elle propose différents scénarios qui feront office de tutoriels dans le jeu final.

L'autre point fort du jeu est son rendu de l'immensité galactique. Servie par une ambiance sonore de haute qualité et des graphismes soignés, l'immersion dans l'espace (et dans son cockpit) est une des premières choses qui frappe dans le jeu. Là encore, la démo qui exploite la dernière version du moteur pour le rendu des champs d'astéroïdes est parfaitement à la hauteur.

Le point sur lequel j'ai été rassuré, c'est la gestion des quêtes qui va se complexifier dès la sortie du jeu et offrir des scénarios dont les dénouements auront des impacts sur notre implication dans l'univers. Cela n'a l'air de rien, mais ajoutera certainement de la matière au contenu du jeu qui est actuellement un peu léger et cassera certainement la monotonie.

Enfin, le point noir reste les fonctionnalités multijoueurs actuellement absentes du jeu et dont les développeurs ne semblaient pas certains qu'elles soient toutes présentes à son lancement. Si c'est le cas, ce serait particulièrement dommageable car les interactions multijoueurs sont des outils qui permettent aux joueurs de créer eux-même leurs propres objectifs et donc de maintenir l'intérêt du jeu. Pour autant, sans aller jusqu'à la complexité d'EVE Online, Elite: Dangerous dispose néanmoins déjà d'un univers de jeu riche de différentes activités typiques d'un sandbox, que ce soit en termes de coopération ou d'opposition entre les joueurs. La version gamma d'Elite: Dangerous devrait en partie répondre à ces interrogations d'ici la fin de la semaine.

Interview avec Eddie Symons (Senior Producer)

Eddie Symons
Eddie Symons

Depuis combien de temps êtes-vous à Frontier Developments ?

J'ai rejoins Frontier il y a quatre ans, et je travaille sur Elite depuis la campagne Kickstarter il y a deux ans. En tout, environ une centaine de personnes sur les 270 employés de FD travaillent sur le jeu. Le développement a commencé au début des années 2000 environ, avant que nous ne nous tournions vers le financement participatif en 2012 qui a réellement fait décoller le projet.

Qu'est-ce que le financement participatif a changé pour vous, dans le développement, par rapport à un financement traditionnel ?

Dans un développement traditionnel vous avez deux ou trois interlocuteurs pour l'éditeur du jeu, qui vont vous donner leurs sentiments ou leurs instructions sur la direction que prend ou doit prendre le jeu. Avec le crowdfunding et le DDF (ndr. le forum réservé aux joueurs qui ont investis plus de 300€ et qui dialoguent directement avec les développeurs), il y a beaucoup plus de voix et de retours différents, parfois contradictoires. Les analyser, les interpréter pour en faire quelque-chose de constructif prend du temps et n'est pas forcement évident.

Est-ce que vous diriez que vous avez plus de pression de la part des backers ou des éditeurs traditionnels ?

Je ne sais pas, c'est très différent. Avec les backers nous avons énormément de retours positifs qui nous motivent. Voir les gens jouer le soir même de la mise en ligne d'une version, ou voir leurs vidéos dès le lendemain, c'est quelque-chose de formidable. Les retours sont beaucoup plus rapides pour un dialogue constant. Mais les retours négatifs peuvent parfois être violents.

Justement, il y a eu énormément de bruit à propos de l'abandon du support du mode offline, vous attendiez-vous à une telle réaction de la part des joueurs ?

Absolument, c'est pourquoi nous avons poussé jusqu'au bout le développement du mode offline avant d'admettre que nous ne pourrions pas garantir aux joueurs offline l'expérience de jeu que nous voulons. Nous voulons vraiment que tous les joueurs évoluent dans la même galaxie, même en solo, et bénéficient des évolutions dynamiques de celle-ci au fil des ans, de l'exploration des joueurs et des mises à jour en continu. Le fait est que lorsque vous jouez en solo, les communications avec le serveur seront très ponctuelles. L'image de David Braben qui joue dans le train sur une connexion 3G en tethering est vraie ! Même avec une mauvaise connexion, qui coupe régulièrement, vous devriez pouvoir jouer au jeu.

Une autre raison moins évidente à faire comprendre est que la galaxie est générée par nos serveurs en fonction des actions des joueurs. Vous devrez l'explorer, la découvrir par vous-même, ou échanger des informations sur les planètes, les stations, les routes commerciales. Tout ça sera dévoilé petit à petit. Si nous intégrions le code définissant la galaxie dans le client du jeu, dès le premiers jours, des joueurs feraient du data mining pour extraire les informations importantes et cela nuirait à l'expérience de jeu de tous.

Quand a été intégré l'Oculus Rift au développement d'Elite ?

Dès que nous avons reçu le premier prototype, donc il y a un an environ. Au départ, on l'a pris par curiosité, en se demandant ce qu'on pouvait bien en faire et on s'est vite rendu compte du potentiel énorme de cet appareil dans notre jeu. Lorsque cette technologie sera vraiment au point, nous voulons que notre jeu soit prêt à l'exploiter à 100%.

Avec un univers si grand, n'avez-vous pas peur que les joueurs s'ennuient de piloter seuls indéfiniment sans rencontrer personne ?

Nous avons prévu des hub concentrateurs, dans des zones restreintes de la galaxie où les joueurs pourront prendre et faire des quêtes, commercer via des routes de commerces, acheter des équipements spécifiques. Ce sont en partie les systèmes déjà en place dans la bêta et leurs environs proches. Donc non, les joueurs ne seront pas éparpillés sur les 400 milliards de systèmes existants. D'un autre coté, certains joueurs recherchent justement cette immersion dans le jeu par l'exploration en solitaire ou en petit groupe. Et c'est ça qui fait que c'est toujours une expérience très forte lorsqu'on explore la galaxie et que l'on tombe par hasard sur un autre joueur. Que fait-il là ? Pourquoi me scanne-t-il ? Dois-je sortir mes armes ? etc.

Que pouvez vous nous annoncer comme fonctionnalité à venir pour la version finale ?

R : Vous devrez regarder le stream de samedi pour le savoir ! Mais je peux vous dire que la version gamma de samedi sera très proche de la version finale. Les différences seront surtout en terme d'équilibrage. Nous allons implémenter un système de gestion des missions plus complexe, avec embranchements en fonction des choix des joueurs et empilera toutes les conséquences. Par exemple, vous prenez une mission de la fédération qui vous demande d'abattre un vaisseau criminel en particulier. Et au moment où vous trouvez ce vaisseau, une conversation se lance et il vous demande de l'épargner car il est innocent, et il peut le prouver avec votre aide. Il pourra alors vous donner une autre mission pour l'aider. Et selon votre choix vous changerez vos relations avec les différentes factions du jeu, et donc votre évolution dans le jeu par la suite.

Combien de vaisseaux seront prévus à la sortie ?

Vingt-cinq vaisseaux jouables et entièrement personnalisables devraient être là pour la sortie et ils seront rapidement complétés par d'autres. À moyen terme, on vise entre 50 et 60 vaisseaux jouables. Il y aura également des vaisseaux non pilotables (NPC). Si vous suivez notre live sur Twitch samedi prochain, vous devriez en voir de nouveaux.

Les fonctionnalités multijoueurs sont encore absentes du jeu, est-ce qu'elles seront présentes à la sortie et quelles seront-elles ?

Je ne suis pas sûr de pouvoir parler de ça... (regard inquiet sur sa tablette) Non, je ne peux pas. Mais vous avez déjà une gestion de la liste d'amis, avec qui le serveur vous placera en priorité lorsque vous jouer online. Vous aurez aussi des outils pour gérer le jeu en coopératif, échanger avec des joueurs ou discuter avec des groupes de joueurs. Ils ne seront peut-être pas tous présents au lancement du jeu, mais c'est vraiment quelque-chose que nous avons l'intention d'approfondir, l'aspect coopératif du jeu.

À l'avenir, nous aurons aussi des vaisseaux multijoueurs. Vous avez peut-être déjà remarqué que certains vaisseaux ont plusieurs sièges, ou une passerelle à deux étages. Ils ont déjà été développés pour éviter de refaire un travail dessus, mais arriveront dans les futures extensions.

À propos du modèle économique du jeu. Il restera tel quel, à savoir l'achat de la boîte, et un cash-shop pour le cosmétique ?

Absolument, ainsi que les futures extensions du jeu. Le cash-shop ne proposera que des équipements purement esthétiques, nous ne voulons pas donner l'impression d'être un pay-to-win en donnant aux joueurs la possibilité d'acheter de gros vaisseaux.

Concernant ces futures extensions, avez-vous déjà un planning de prévu ? Avez-vous déterminé quelles évolutions de fonctionnalités du jeu seront ajoutées en premier ?

Nous avons un planning prévisionnel, mais que nous ne révélons pas car c'est purement un outil de travail, cependant la première extension devrait voir le jour l'année prochaine. Concernant les fonctionnalités, c'est encore trop tôt pour le dire, nous avons plusieurs pistes mais nous allons voir avec la communauté de joueurs ce qu'elle veut en priorité.

Dernière question, avez-vous soutenu Star Citizen ?

Oui ! (rires) Personnellement bien sûr, parce que j'adore ce genre de jeux qui est resté trop longtemps absent des écrans, mais d'autres membres de l'équipe ainsi que David Braben ont aussi "backé" Star Citizen. De même que Chris Roberts soutient ouvertement Elite ! À la gamescom, nous avons pu les rencontrer et discuter, j'en garde un excellent souvenir !

(*) TAGADA® est une marque enregistrée appartenant à la société HARIBO RICQLES ZAN (et personne d'autres).

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