La « respécialisation » des personnages fait-elle le malheur des joueurs ?

Psychologiquement, l'être humain serait enclin à assumer ses choix quand il les sait immuables. Le fait de pouvoir respécialiser ses personnages de MMO serait donc facteur d'incertitude, voire d'insatisfaction permanente. La respécialisation nous rendrait malheureux.

Aujourd'hui, tous les MMO ou presque permettent aux joueurs de « respécialiser » leur personnage - en modifiant leurs statistiques, en changeant leurs compétences, voire en optant pour une nouvelle classe jouable et commencer une nouvelle carrière. L'option est plus ou moins accessible, impliquant parfois quelques sacrifices voire une facturation de l'éditeur, mais de plus en plus souvent, ces respécialisations n'imposent que peu de contraintes, et peuvent même être réalisées quasiment à la volée. La faute au caractère très évolutif des MMO : le moindre patch peut changer du tout au tout la physionomie d'un personnage et il apparait alors presque nécessaire d'autoriser des modifications plus ou moins profondes pour éviter de subir un nerf trop frustrant.

L'option est aujourd'hui profondément ancrée dans les moeurs des joueur, mais peut-être pour notre plus grand malheur (psychologique). C'est en tout cas la thèse discutée par Jamie Madigan (spécialiste notamment de la psychologie des joueurs appliquée au game design) dans les colonnes de Games Industry.
On connait l'idée commune (étudiée de très longue date en psychologie) selon laquelle « on a peur du changement » et que l'être humain, consciemment ou non, s'accommode plus facilement de sa condition actuelle qu'à l'idée d'en changer. Jamie Madigan définit ce mécanisme comme « une sorte de système immunitaire psychologique nous aidant à assumer nos choix » : dès lors qu'une décision est prise, on vit avec et se convainc que le choix était bon. Et de rappeler l'exemple des expériences de Daniel Gilbert et Jane Ebert : les deux psychologues demandent à un groupe d'étudiants en photographie de sélectionner chacun leurs deux photos préférées. Ils pourront conserver la première et la seconde sera expédiée dans une bouteille à la mer avec son négatif (l'une est conservée, l'autre sera définitivement perdue) et les étudiants ont cinq jours pour faire leur choix. Au terme de l'expérience, il apparait que ceux ayant fait leur choix immédiatement se confortent dans ce choix et apprécient d'autant plus la photo conservée, quand ceux ayant utilisé les cinq jours pour murir leur réflexion avant d'arrêter une décision doutent, voire regrettent et semblent moins apprécier la photo conservée (alors même qu'elle était au moins l'une de leurs photos préférées au début de l'expérience).

Appliquée au MMO, Jamie Madigan s'interroge. Tous les joueurs affirment aimer avoir le choix et apprécier ensuite la flexibilité d'évolution qu'offre un jeu (permettant donc de modifier le choix initial). Mais consciemment ou non, cette possibilité de respécialiser son personnage apparait aussi comme un facteur d'incertitude, voire d'insatisfaction perpétuelle, poussant le joueur à modifier sans cesse son personnage pour n'apprécier réellement aucun des builds testés. Jamie Madigan s'autorise alors une interrogation à destination des développeurs de jeu : dès lors que les joueurs peuvent déjà faire évoluer de nombreux paramètres de leur personnage (via l'équipement notamment), peut-être ne faut-il pas toujours les écouter, puisqu'ils ne sont pas toujours les mieux placés pour déterminer ce qui les rend réellement heureux (avoir toujours le choix d'un build ou assumer ses choix initiaux). Alors, heureux ?

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