De la conception d'une trame épique et héroïque dans un MMORPG

En Corée, le gameplay scénarisé de Blade and Soul a su séduire les joueurs. Dans le cadre de la NDC 2013, l'équipe de développement revient sur les principes narratifs gouvernant le MMO d'action, avec ses codes et ses écueils.

Si de prime abord le MMO ne semble pas taillé pour reposer sur un gameplay linéaire et scénarisé, plusieurs jeux massivement multijoueurs récents articulent (avec plus ou moins de succès) leurs mécaniques ludiques autour d'un contenu narratif. Si l'on pense évidemment à Star Wars The Old Republic en Occident, c'est aussi le cas de Blade and Soul en Asie et voici quelques jours (dans le cadre de la NDC 2013 qui se tenait les 24 et 25 avril dernier en Corée), NCsoft et Nexon consacraient une pleine conférence à l'approche narrative des MMO - avec ses codes, ses atouts et ses écueils à éviter.

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Et pour bien débuter, pour les équipes de Blade and Soul, le scénario d'un MMO rivalise bien souvent avec celui d'un film porno. Un scénario souvent minimaliste, d'un intérêt plutôt limité, reposant sur des codes artificiels et servant tout juste de prétexte, mais qui n'empêche pas le genre de compter de (très) nombreux adeptes et d'être prolifique. Car selon le développeur, ce n'est pas forcément le scénario qui compte (l'histoire), mais la narration (la façon dont l'histoire est racontée).
Et de prendre l'exemple de nombreuses sagas, du Seigneur des Anneaux (c'est l'histoire d'un petit bonhomme devant porter un anneau jusqu'au sommet d'un volcan) à la saga de la Guerre des Etoiles (comment faire exploser l'étoile noire ?) en passant par la série des Die Hard (un « gentil » qui élimine une cohorte de « méchants »). Dans tous ces cas, l'histoire prend de l'ampleur grâce à un univers et grâce à des héros qui contribuent à embarquer le spectateur dans une trame narrative, pour l'immerger dans un monde.

Le personnage principal, d'abord, est déterminant. L'équipe de Blade & Soul indique ainsi s'être appuyée sur les théories de Joseph Campbell et sa mythologie du héros voulant que tout héros suit un processus en trois phases : il est d'abord un personnage ordinaire avant d'être « appelé » par des circonstances extraordinaires l'obligeant à quitter un environnement familier ; il sera ensuite confronté à un « seuil » à franchir (une première épreuve) le révélant à lui-même et lui donnant les armes pour évoluer et se surpasser ; avant enfin de dépasser son maître ou mentor afin d'atteindre une victoire finale.
Selon Joseph Campbell, à des degrés divers, tout héros de toute mythologie moderne ou classique est confronté au moins partiellement à cette évolution (on y retrouve effectivement les codes du périple de Frodon, de Luke Skywalker ou dans une certaine mesure, de l'agent John McClane, entre autres). S'y ajoute ensuite des personnages ou traits de caractères secondaires ayant vocation à susciter l'empathie grâce à des défauts et failles leur donnant de l'épaisseur. Ils n'agissent pas au regard du bien et du mal, mais de leur propre code de conduite, au risque de faire des erreurs mais les assumant et en posant ainsi les bases d'une volonté et d'un engagement fort auxquels le spectateur peut adhérer. Ainsi, Ian Solo, égocentrique et frondeur, se démarque par son attitude cavalière ; tout comme John McClane par son ton bourru et désabusé. Mais c'est en évoluant à l'encontre des règles établies qu'ils forgent leur carrure de héros. Et évidemment, pas de héros sans adversaire emblématique à leur hauteur. Ils affichent bien souvent une relation personnelle ou une connexion avec le héros (construire ou acquise) qui pose les enjeux de la confrontation. Dark Vador est charismatique, mais sa parenté avec Luke Skywalker ajoute un ressort à la trame narrative de la saga. Idem pour Gollum dont la nature intrinsèque (c'est un hobbit, comme Frodon) pimente les enjeux émotionnels de l'histoire imaginée par Tolkien.
L'équipe de développement de Blade and Soul indique avoir construit la trame de son MMO selon ces codes : un héros suivant une quête initiatique (le joueur recherche les assassins de son maître), des personnages secondaires aux caractères bien trempés et des adversaires emblématiques afin d'immerger le joueur au coeur d'une narration dans laquelle il s'implique et dont il devient l'un des acteurs.

Lyn Sword Master

Mais la narration passe aussi par l'immersion dans un monde et la trame suppose de surprendre le joueur / spectateur. Selon le développeur, il convient de mentir ouvertement, de ponctuer le récit de fausses pistes afin de nourrir des rebondissements (dans Die Hard, l'objectif affiché du « méchant » n'est pas celui qu'on imagine initialement ; dans Star Wars, la parenté de Dark Vador et Luke Skywalker est sans doute l'un des secrets le plus marquant de la pop culture). De quoi surtout alimenter un processus de storytelling.
Pour autant, s'il faut bien une histoire (story), il ne faut pas se contenter de la raconter (telling), au risque de voir le joueur décrocher. Selon le développeur, il convient alors dès lors d'utiliser les cutscenes à bon escient, par exemple pour ponctuer les rebondissements de la trame, mais sans exclure le joueur qui doit rester acteur sans devenir spectateur. Les cutscenes pourront ainsi annoncer ou conclure un affrontement épique (une phase d'action) permettant au joueur de se préparer ou de reprendre son souffle, tout comme au théâtre les longs monologues de Shakespeare, par exemple, avaient vocation à offrir ponctuellement un moment de répit aux comédiens entre deux scènes de combat éprouvantes physiquement.

On le sait, le contenu narratif présente un risque dans le cadre d'un MMO dans la mesure où l'histoire est toujours vécue plus rapidement par le joueur qu'elle n'est produite par le développeur. Pour autant, quand elle est bien construite, elle permet aussi de capter les joueurs facilement et manifestement, les joueurs coréens se sont laissés séduire par celle de Blade and Soul (toujours dans le top 5 des MMO les plus populaires en Corée, presque un an après sa sortie et malgré son abonnement mensuel). De quoi imaginer qu'il existe une place pour le MMO narratif (ou qu'il existe un - autre - public pour ce type de gameplay), malgré le résultat en demi-teinte des tentatives occidentales en la matière ? Peut-être.

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